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— Mais alors, ils ne peuvent se déplacer que vers l’arrière ?

— Il suffit d’inverser le système, Excellence.

Le sultan jeta un regard suspicieux à Ismail.

— N’arrive-t-il jamais que l’un de ces navires explose ?

— Cela doit arriver, si quelque chose ne marche pas.

Selim parut satisfait.

— Fort bien, c’est très intéressant ! Alors il suffirait qu’un boulet de canon atteigne leur chaudière pour faire exploser tout le navire !

— C’est plus que probable.

Le sultan était ravi.

— Ce sera parfait pour s’exercer au tir. Viens, suis moi.

Il quitta la pièce suivi de son cortège habituel : gardes du corps, au nombre de six, cuisinier et serviteurs, astronome, valet, et le Chef des Eunuques Noirs, tous lui emboîtèrent le pas, plus le médecin, que le sultan tenait par l’épaule. Il conduisit Ismail par le Portail du Plaisir, dans son harem, sans un mot à ses gardes, laissant derrière lui sa suite se demander qui devait le suivre ou non dans le sérail. Pour finir, seuls un serviteur et le Chef des Eunuques Noirs entrèrent.

Dans le sérail, tout était d’or et de marbre, de soie et de velours. Les murs des antichambres étaient couverts de peintures religieuses et d’icônes datant du temps de Byzance. Le sultan fit un geste, et l’Eunuque Noir hocha la tête en direction de l’un des gardes, en faction devant une porte au loin.

L’une des concubines du harem sortit, escortée par quatre servantes : c’était une jeune femme à la peau laiteuse et aux cheveux roux, et dont le corps luisait à la lumière des lampes à gaz. Ce n’était pas une albinos, mais plutôt une personne au teint naturellement pâle, l’une des célèbres esclaves blanches du sérail, l’une des rares descendantes connues des anciens Franjs. Des générations entières de sultans ottomans avaient continué de les apparier entre eux, s’efforçant d’en garder la lignée pure. Nul en dehors du sérail ne voyait jamais les femmes, et nul, hors du palais du sultan, ne voyait jamais les mâles auxquels on les faisait s’accoupler.

Les cheveux de cette jeune femme étaient d’un roux teinté de reflets d’or, le bout de ses seins était rose, et sa peau d’un blanc si translucide que l’on pouvait voir le réseau de ses veines bleutées, notamment sous ses seins, qui étaient très légèrement gonflés. Le docteur se dit qu’elle devait être enceinte d’environ trois mois. Le sultan n’avait pas l’air de l’avoir remarqué ; c’était sa favorite, et il allait encore avec elle chaque jour.

La si familière routine commença. L’odalisque se dirigea vers la partie d’un lit que l’on pouvait cacher par des rideaux, mais le sultan ne prit pas la peine de les tirer. Les servantes aidèrent la femme à s’installer confortablement, les bras écartés, les cuisses ouvertes et les genoux levés. Selim dit « Très bien » et la rejoignit. Il sortit son membre roide de sa culotte bouffante et s’allongea sur elle. Ils gigotèrent comme il est d’usage, jusqu’à ce que le sultan, dans un frisson et un grognement, fasse sa petite affaire. Il s’assit alors à côté d’elle, et lui caressa le ventre et les jambes.

Puis, comme une pensée lui traversait l’esprit, il se tourna vers Ismail.

— Comment c’est, maintenant, là d’où elle vient ? demanda-t-il.

Le docteur s’éclaircit la gorge.

— Je ne sais pas, Excellence.

— Dis-moi ce que tu as entendu.

— J’ai entendu dire que la Franji, à l’ouest de Vienne, était principalement divisée entre l’Andalousie et la Horde d’Or. Les Andalous occupent les vieilles terres franques ainsi que les îles au nord. Ce sont des sunnites, avec l’habituelle cohorte de soufis et de wahhabites rivalisant pour les faveurs des émirs. L’est est un salmigondis de principautés vassales de la Horde d’Or et des Safavides, la plupart chiites. Les soufis y sont très importants. Ils ont également occupé les îles proches de leurs côtes, ainsi que la péninsule romaine, même si une bonne partie de cette dernière reste entre les mains des Berbères et des Maltais.

— Alors, ils sont prospères, dit le sultan en hochant la tête.

— Je ne sais pas. Il y pleut plus que dans les steppes, mais il y a des montagnes partout, ou des collines. Il y a une plaine sur la côte nord où ils ont des vignobles et des cultures de ce genre. D’après mes informations, l’Andalousie et la péninsule romaine s’en sortent bien. Mais au nord de leurs montagnes, la situation est plus difficile. On dit que la peste sévit encore dans les basses terres.

— Et pourquoi ça ? Que s’est-il donc passé là-bas ?

— Eh bien, il y fait toujours froid et humide. Du moins, c’est ce qu’on dit, ajouta le docteur avec un frisson. En fait, personne n’en sait rien. Il se pourrait que la peau blanche des habitants les rende plus sensibles à la peste. C’est du moins ce que soutient al-Ferghana.

— Mais aujourd’hui de très bons musulmans vivent dans ces régions, et tout va très bien.

— C’est vrai. Les Ottomans des Balkans, les Andalous, les Safavides, la Horde d’Or. Ils sont tous musulmans, à l’exception de très rares juifs, et de Zott.

— Mais l’islam est divisé.

Le sultan réfléchit un instant, tout en caressant machinalement la toison pubienne, rousse, de l’odalisque.

— Dis-moi encore, d’où venaient les ancêtres de cette fille ?

— Des îles qui se trouvent au nord de la côte de Franquie, risqua le docteur. D’Angleterre. Ils étaient tous très pâles là-bas, et quelques-uns des habitants des îles les plus lointaines ont survécu à la peste. Leur peuple a été découvert et réduit en esclavage un siècle ou deux plus tard. On raconte qu’ils ignoraient complètement ce qui s’était passé.

— Ce sont de bonnes terres ?

— Absolument pas. Forêts, rochers… Ils vivaient de l’élevage des moutons, et de la pêche. C’était un peuple de primitifs, un peu comme celui du Nouveau Monde.

— Où ils ont trouvé beaucoup d’or.

— L’Angleterre était plus réputée pour ses mines d’étain que pour ses mines d’or, si je me souviens bien.

— Combien de ces survivants ont été capturés ?

— D’après ce que j’ai lu, seulement quelques milliers. La plupart sont morts, ou se mélangèrent au gros de la population. Il se peut que vous ayez les derniers spécimens de race pure.

— Oui. Et celle-ci est grosse de l’un de ces hommes. C’est ce que je voulais te dire. Nous prenons autant soin des hommes que des femmes, afin que leur lignée ne s’éteigne pas.

— Très astucieux.

Le sultan se tourna vers son Eunuque Noir.

— Je suis prêt pour Yasmina, maintenant.

Entra alors une autre fille, très noire, au corps quasiment identique à celui de la jeune fille blanche, à l’exception du fait qu’elle n’était pas enceinte. Côte à côte, on aurait dit les pièces d’un jeu d’échecs. La fille noire prit la place de la fille blanche sur le lit. Le sultan se prépara à la monter.

— Eh bien, les Balkans sont un endroit fort triste, lâcha-t-il. Mais plus à l’ouest c’est peut-être mieux. Nous pourrions déplacer la capitale de notre empire à Rome, tout comme ils l’avaient eux-mêmes, jadis, déplacée ici.

— Oui. Mais la péninsule romaine est parfaitement repeuplée.

— Venise aussi ?

— Non. Toujours déserte, Excellence. Elle est souvent inondée, et puis elle a été particulièrement ravagée par la peste.

Le sultan se mordit les lèvres.

— Je ne – oh, ah ! – je n’aime pas les marécages !

— Non, Excellence.

— Bon, eh bien, nous les affronterons ici même. Je dirai aux troupes que leur âme, la plus précieuse piécette de leur corps, montera au Paradis des Dix Mille Années s’ils meurent en défendant la Sublime Porte. Ils mèneront la même vie que moi ici. Nous rencontrerons ces envahisseurs quand ils seront au détroit.