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— Pardon. Vous pouvez compter sur moi. Merci pour votre aide.

— Oh là, ça devient dangereux ! Surtout pas de merci. Fais ton travail, et je ferai le mien.

— Très bien.

— Maintenant, le vieux voudra certainement que tu l’aides au magasin. Tu pourras vivre à côté. Il te tapera dessus avec son boulier, comme tu l’as vu faire. Mais ton principal travail consistera à nous servir de messager. Si jamais les Chinois apprennent ce que nous faisons, cela ira très mal, je te préviens. C’est la guerre, tu comprends ? C’est peut-être une guerre secrète, qui se fait la nuit, dans les rues, dans les ports, mais ce n’en est pas moins une guerre. Tu comprends ?

— Je comprends.

Gen riva son regard au sien.

— Enfin, on verra. D’abord, on va retourner dans la vallée. J’ai des amis là-bas, je veux qu’ils sachent ce qui est en train de se passer. Puis on reviendra ici, pour travailler.

— Tout ce que vous voudrez.

Un aide fit faire le tour du magasin à Kiyoaki, qui devait bientôt le connaître dans les moindres recoins. Ensuite, il put retourner à la maison d’hôtes. Peng-ti était en train d’aider la vieille dame à couper des légumes ; Hu Die reposait au soleil, dans une corbeille à linge. Kiyoaki s’assit à côté du bébé, jouant d’un doigt avec lui, tout en repensant à sa journée. Il regarda Peng-ti apprendre les noms japonais des légumes. Elle non plus n’avait pas envie de repartir vers la vallée. La vieille femme parlait assez bien le chinois, et les deux femmes discutaient. Mais, même à elle, Peng-ti ne disait pas plus de choses sur son passé qu’elle n’en avait révélé à Kiyoaki. Il faisait si chaud dans la cuisine que l’air en était presque irrespirable. Il se remit à pleuvoir. Le bébé lui fit un sourire, comme pour le rassurer. Comme pour lui dire que tout irait bien.

Puis ils retournèrent se promener dans le parc de la Porte d’Or, et ils s’assirent sur un banc pour regarder les eaux marron se perdre dans la mer. Kiyoaki prit la main de Peng-ti et lui dit :

— Écoute, je vais m’installer ici. Je repartirai juste une fois dans la vallée, pour rapporter à madame Yao ses vers à soie. Mais je reviendrai vivre ici.

Elle l’écoutait attentivement.

— Moi aussi, lui dit-elle. D’ailleurs, comment quitter un tel endroit ? ajouta-t-elle en lui montrant la baie.

Elle prit Hu Die, sa petite fille, et la leva à bout de bras, de façon à lui faire admirer le panorama, puis la présenta à chacun des quatre vents.

— C’est ton nouveau chez-toi, Hu Die ! C’est là que tu vas grandir !

Hu Die roula de gros yeux ronds en admirant la vue.

Kiyoaki éclata de rire.

— Oui. Elle va se plaire ici. Mais écoute, Peng-ti, je vais entrer dans la…

Il cherchait une façon de le lui dire.

— Je vais faire quelque chose pour le Japon. Tu comprends ?

— Non.

— Je vais entrer dans la résistance. Lutter contre la Chine.

— Je vois.

— Je vais me battre contre la Chine.

Elle serra les dents. Puis elle lâcha, brusquement :

— Qu’est-ce que ça peut me faire ?

Son regard se perdit par-delà la baie, vers la Porte Intérieure, où des vagues brunes frappaient les collines vertes.

— Je suis si heureuse d’être ici.

Elle le regarda dans les yeux, et il sentit son cœur bondir.

— Je suis avec toi, lui dit-elle.

4. L’orage approche

Le nouvel empire chinois était principalement maritime, sa flotte étant redevenue la première du monde. L’accent avait été mis sur les capacités de transport ; ce qui expliquait pourquoi les bâtiments chinois caractéristiques des débuts de la période moderne étaient très gros, et très lents. La vitesse n’était pas la priorité. Ce qui devait leur poser des problèmes par la suite, lors des combats navals avec les Indiens et les musulmans d’Afrique, de la Méditerranée et de Franji. Dans la Méditerranée, la mer d’Islam, les musulmans construisirent des bateaux plus petits mais beaucoup plus rapides et plus maniables que leurs contemporains chinois. Si bien que, lors de plusieurs combats navals décisifs des dixième et onzième siècles, les flottes musulmanes défirent des flottes chinoises beaucoup plus importantes, préservant l’équilibre du pouvoir et empêchant la Chine des Qing de parvenir à l’hégémonie mondiale. De fait, la guerre de course musulmane dans le Dahai constitua l’une des principales sources de revenus des gouvernements islamiques, ce qui fut à l’origine de nombreuses frictions entre l’islam et la Chine, et finalement l’un des nombreux facteurs qui menèrent à la guerre. La mer surpassant, et de loin, la terre en tant que zone d’échanges commerciaux et militaires, la vitesse et la maniabilité supérieures des bâtiments musulmans devinrent l’un des atouts qui leur permirent de disputer la suprématie maritime aux Chinois.

La vapeur et les coques d’acier qui avaient été mises au point à Travancore furent vite reprises par les deux autres principales puissances du Vieux Monde, mais la suprématie de la Ligue indienne dans ce domaine lui permit de tenir tête à ses principaux rivaux des deux côtés de l’océan.

C’est ainsi qu’aux douzième et treizième siècles, selon le calendrier islamique, c’est-à-dire durant la dynastie Qing en Chine, les trois principales cultures du Vieux Monde se livrèrent une compétition croissante pour s’accaparer les richesses du Nouveau Monde, d’Aozhou et du Vieux Monde, maintenant pleinement occupés et exploités.

Le problème était que l’enjeu était devenu trop important. Les deux plus grands empires étaient à la fois les plus forts et les plus faibles. La dynastie Qing continuait d’étendre sa domination, au sud, au nord, dans le Nouveau Monde et en Chine même. Pendant ce temps, l’islam contrôlait une très importante partie du Vieux Monde, et les côtes est du Nouveau Monde. La côte orientale du Yingzhou était occupée par les musulmans, le centre par la Ligue des Tribus, et l’ouest par des colonies chinoises et de nouveaux ports de commerce travancoriens. L’Inka était un champ de bataille entre les Chinois, les Travancoriens et les musulmans d’Afrique de l’Ouest.

C’est ainsi que le monde était divisé entre les deux grandes puissances vieillissantes, la Chine et l’islam, et les deux nouvelles, plus petites, la Ligue de l’Inde et celle du Yingzhou. Par leur politique commerciale et de conquête maritime, les Chinois étendirent lentement leur hégémonie sur le Dahai, colonisant l’Aozhou, les côtes ouest du Yingzhou et d’Inka, et faisant des incursions par voie maritime dans de nombreux autres endroits. L’Empire du Milieu, puisque tel était son nom, devint, de fait, le centre du monde par le nombre aussi bien que par sa puissance maritime. Il représentait à vrai dire un danger pour tous les autres peuples de la Terre, malgré les différents problèmes que connaissait l’administration Qing.

Au même moment, le Dar al-Islam poursuivait son expansion dans toute l’Afrique, sur les côtes orientales du Nouveau Monde, en Asie centrale, aux frontières de l’Inde, qu’il n’avait jamais vraiment quittées, en Asie du Sud-Est, et même jusqu’aux côtes occidentales, isolées, d’Aozhou.

Au milieu de tout ça, prise en tenaille, si l’on peut dire, se trouvait l’Inde. Travancore en était la principale force politique, mais le Panjab, le Bengale, le Rajahstan et tous les autres États du sous-continent étaient prospères et grouillaient d’activités, hors de leurs frontières comme chez eux, pris dans la tourmente et les conflits, toujours en bisbille avec leurs voisins et malgré tout à l’abri des empereurs et des califes. Dans ce bouillonnement, ils étaient à la pointe de la recherche scientifique mondiale, avec des comptoirs commerciaux sur tous les continents, en lutte perpétuelle contre toutes les hégémonies, les alliés de tous contre l’islam, et souvent contre les Chinois, avec qui ils entretenaient des relations difficiles, faites de crainte mêlée de nécessité. Mais alors que les décennies passaient et que les vieux empires musulmans se montraient de plus en plus agressifs dans l’Est, d’un bout à l’autre de la Transoxianie et dans tout le nord de l’Asie, un nombre sans cesse croissant de pays étaient disposés à pactiser avec la Chine, pour faire contrepoids, comptant sur l’Himalaya et les jungles impénétrables de Birmanie pour ne pas se retrouver à la merci du grand parapluie chinois.