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De l’autre côté de la montagne, des éboulis de roches avaient recouvert à plusieurs reprises l’ancienne route, ne laissant, à chaque fois, qu’un étroit chemin pour les ânes, qui tournait à angles droits pour éviter les rochers. La route était difficile, et la sultane dut souvent mettre pied à terre, menant ses femmes sans complaisance ni pour les incapables ni pour celles qui se plaignaient. Elle savait trouver des mots cruels quand elle était énervée. Cruels et durs.

Ibn Ezra inspectait la route, le soir quand ils s’arrêtaient, et les éboulis, quand ils passaient tout près, faisant des croquis de tous les traits saillants du paysage : les terre-pleins, les corniches, les ravines.

— C’est typique des Romains, dit-il un soir auprès du feu alors qu’ils mangeaient du mouton rôti. Ils ont littéralement quadrillé les terres bordant la Méditerranée avec leurs routes. Je me demande si celle-ci était la route principale pour traverser les Pyrénées… Je ne crois pas, c’est beaucoup trop à l’ouest. Elle mène à l’océan de l’Ouest plutôt qu’à la Méditerranée. Mais c’est sûrement la route la plus commode. Il est difficile de ne pas croire que c’est la route principale. Elle est si large.

— Elles sont peut-être toutes comme ça, dit la sultane.

— Peut-être. Ils ont sans doute utilisé des objets comme ces chariots que l’on a retrouvés ; il fallait donc que leurs routes soient plus larges que les nôtres. Les chameaux, bien évidement, n’ont pas besoin de routes. Ou bien c’était vraiment leur route principale. C’était peut-être la route qu’Hannibal avait empruntée pour attaquer Rome, avec son armée de Carthaginois et ses éléphants ! J’ai vu ces ruines, au nord de Tunis. C’était une très grande ville. Mais Hannibal a perdu, Carthage a perdu, et les Romains ont saccagé leur ville et répandu du sel dans leurs champs, asséchant le Maghreb. Plus de Carthage.

— Alors les éléphants ont peut-être emprunté cette route, dit la sultane.

Le sultan considéra gravement la piste, secouant la tête d’un air songeur. C’était le genre de choses que l’un et l’autre aimaient savoir.

En redescendant de la montagne, ils atteignirent un pays plus froid. Le soleil de midi dégagea les pics des Pyrénées, mais à peine. C’était un pays gris et plat, et souvent drapé dans le brouillard. L’océan s’étendait à l’ouest, gris, sauvage et froid, niellé par les vagues.

La caravane atteignit un fleuve qui se jetait dans cette mer. Au bord de l’eau se dressaient les ruines d’une ancienne cité. En approchant, ils virent quelques bâtiments plus petits, nouveaux, des cabanes de pêcheurs apparemment, de part et d’autre d’un pont de bois récent.

— Voyez à quel point nous sommes moins adroits que les Romains, dit ibn Ezra tout en se dépêchant vers ce nouvel ouvrage pour l’observer de plus près.

— Il me semble que cette ville s’appelait Bayonne, dit-il à son retour. J’ai trouvé une inscription sur ce qui reste de la tour du pont, là-bas. La carte indique qu’il y avait une ville encore plus grande, un peu plus au nord, appelée Bordeaux. Au bord de la mer.

Le sultan secoua la tête.

— Nous sommes allés assez loin. Ça ira. De l’autre côté des montagnes, mais à une journée de marche seulement d’al-Andalus. C’est tout à fait ce que je voulais. Nous nous établirons ici.

La sultane Katima l’approuva, et la caravane entreprit le long processus de la colonisation.

8. Baraka

Dans l’ensemble, ils construisirent en amont, à partir des ruines de l’ancienne ville, récupérant les matériaux jusqu’à ce qu’il ne reste plus grand-chose des bâtiments originels, en dehors de l’église – une vaste grange de pierre, dépouillée de toutes ses idoles et de ses images. Ce n’était pas une très belle construction, comparée aux mosquées du monde civilisé. Ce n’était qu’un vulgaire rectangle, massif, trapu, mais de grande taille et situé en hauteur, au-dessus d’une anse du fleuve. C’est ainsi qu’après en avoir discuté avec tous les membres de la caravane, ils décidèrent d’en faire leur grande mosquée, ou mosquée du Vendredi.

Les modifications commencèrent immédiatement. Ce projet devint la principale tâche de Bistami, et il passa beaucoup de temps avec ibn Ezra, décrivant ce dont il se souvenait du mausolée de Chishti et des autres grands bâtiments de l’empire d’Akbar, se penchant sur les croquis d’ibn Ezra afin de voir ce qu’on pouvait faire pour que la vieille église ressemble davantage à une mosquée. Ils s’accordèrent à dire qu’il fallait ouvrir le toit, par lequel on voyait déjà le ciel en de nombreux endroits, et conserver les murs. Ceux-ci serviraient de base à une mosquée circulaire, ou plutôt en forme d’œuf, avec un dôme. La sultane voulait qu’on agrandisse la place sur laquelle donnait la cour de prière, en témoignage de la qualité universelle de leur version de l’islam. Bistami fit de son mieux pour lui complaire, bien que tout indiquât que cette région était pluvieuse, et qu’il y neigerait peut-être même en hiver. Ce n’était pas grave ; le lieu de culte se prolongerait de la grande mosquée sur une place, puis dans la cité au sens large et, par extension, dans le monde entier.

Ibn Ezra conçut joyeusement des échafaudages, des hottes de maçons, des charrettes, des entretoises, des étais, du ciment et ainsi de suite ; et il détermina, d’après les étoiles et les cartes dont ils disposaient, la direction de La Mecque, qui serait indiquée non seulement par le mirab, mais aussi par l’orientation de la mosquée elle-même. Le reste de la ville se déplaça vers la grande mosquée, toutes les pierres des vieilles ruines furent réutilisées pour la nouvelle construction alors que les gens s’installaient de plus en plus près. Les saupoudrages d’Arméniens et de Zott qui vivaient là, dans la ville dévastée, avant leur arrivée, se joignirent à leur communauté, ou s’en allèrent vers le nord.

— Nous devrions garder un espace près de la mosquée pour une madrasa, dit ibn Ezra. Avant que les habitations n’occupent tout le quartier.

Le sultan Mawji pensait que c’était une bonne idée, et il ordonna à ceux qui s’étaient installés près de la mosquée, alors qu’ils y travaillaient, de se déplacer. Certains des ouvriers protestèrent et refusèrent en bloc. Tout net. Lors d’une réunion, le sultan perdit son sang-froid et menaça d’expulser ce groupe de la ville, bien qu’en fait il n’eût sous ses ordres qu’une toute petite garde personnelle – à peine suffisante pour le défendre, d’après Bistami. Celui-ci se rappelait les immenses cavaleries d’Akbar, les soldats des mamelouks ; le sultan n’avait rien de comparable. Il avait affaire à une ou deux douzaines de mornes récalcitrants, dont il n’y avait rien à tirer. L’âme de la caravane, son esprit d’ouverture, était menacée.