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Ils suivirent une piste qui passait devant des champs et des maisons. Les femmes, dans les champs, portaient leurs bébés attachés à des planches, sur leur dos, et filaient la laine tout en marchant. Elles accrochaient leurs métiers à tisser à des cordes nouées dans les arbres, afin d’avoir la tension nécessaire pour tisser. Ils n’avaient pas l’air de connaître d’autres motifs que les damiers, généralement jaunes et noirs, ou rouges et noirs. Leurs champs étaient des buttes rectangulaires, qui émergeaient des terres au bord du fleuve. Ils étaient inondés, comme les rizières, mais ce n’en était pas. C’était probablement là qu’ils faisaient pousser leurs tubercules. Tout était semblable, et en même temps différent. Ici, l’or semblait aussi commun que le fer en Chine, sauf que nulle part on ne voyait de fer.

Le palais qui dominait la ville était énorme, plus gros que la Cité Interdite de Beijing, avec plein de bâtiments rectangulaires disposés en damiers. Tout était sur le même modèle que leurs tissus. Des colonnes de pierre, dans la cour, devant le palais, étaient sculptées de motifs étranges, d’oiseaux et d’animaux mélangés, peints de toutes les couleurs, si bien que Kheim avait du mal à les regarder. Il se demanda si les curieuses créatures qu’ils représentaient vivaient dans l’arrière-pays, ou si c’étaient leurs versions du dragon et du phénix. Il vit beaucoup de cuivre, de bronze et de laiton, mais surtout de l’or. Les gardes, debout en rang autour du palais, tenaient de longues lances à pointe d’or, et des boucliers, également en or. Décoratif, mais pas très pratique. Leurs ennemis ne devaient pas avoir de fer non plus.

À l’intérieur du palais, on les emmena dans une vaste pièce avec un mur ouvert sur une cour, les trois autres étant recouverts de filigrane d’or. Des couvertures étaient étalées par terre, et Kheim, Bouton d’Or et les autres Chinois furent invités à s’asseoir sur l’une d’elles.

L’empereur entra. Tout le monde s’inclina, et s’assit par terre. L’empereur prit place sur un tissu à carreaux près des visiteurs, et dit quelque chose, poliment. C’était un homme d’une quarantaine d’années, beau, avec de belles dents blanches, un front large, des pommettes hautes, proéminentes, des yeux marron clair, un menton pointu et un nez busqué. Il portait une couronne d’or, ornée de petits têtes d’or qui se balançaient dans des trous percés dans la coiffe, comme les têtes de pirates aux murailles de Hangzhou.

Cela aussi mit Kheim mal à l’aise. Il changea son pistolet de place sous son manteau, et regarda subrepticement autour de lui. Il ne vit rien d’autre de troublant. Évidemment, il y avait ces hommes au regard dur, manifestement les gardes de l’empereur, prêts à bondir au moindre signe de danger – ce qui paraissait normal quand il y avait des étrangers dans le coin. Mais en dehors de ça, rien.

Un prêtre portant une cape faite de plumes d’oiseau bleu cobalt entra et se livra à une cérémonie pour l’empereur. Ensuite, ils festoyèrent toute la journée. Ils mangèrent une viande qui ressemblait à de l’agneau, des légumes, et des purées que Kheim ne reconnut pas. En dehors d’un alcool vraiment fort, ils n’eurent à boire que de la bière légère. Kheim finit par se sentir un peu ivre, et il vit que ses hommes n’allaient pas mieux que lui. Bouton d’Or n’aima aucune des saveurs, et mangea et but très peu. Dans la cour, au-dehors, des hommes dansaient au rythme des tambours et des flûtes de roseau. Ils ressemblaient beaucoup aux musiciens coréens, ce qui surprit Kheim ; il se demanda si les ancêtres de ces gens avaient dérivé de Corée plusieurs années auparavant, emmenés par le Kuroshio. Peut-être ce pays tout entier avait-il été peuplé par quelques vaisseaux égarés, il y avait de nombreuse dynasties de cela. D’ailleurs, la musique réveillait des échos d’un autre âge. Comment savoir ? Il en reparlerait à I-Chin en remontant à bord.

Au coucher du soleil, Kheim manifesta le désir de regagner son bâtiment, justement. L’empereur se contenta de le regarder, fit un signe au grand prêtre et se leva. Tout le monde l’imita, puis s’inclina de nouveau. Il quitta la pièce.

Lorsqu’il fut parti, Kheim prit Bouton d’Or par la main et essaya de la ramener par le chemin qu’ils avaient suivi pour venir bien qu’il ne fut pas trop sûr de s’en souvenir ; mais les gardes les empêchèrent de sortir, leur barrant la porte avec leurs lances à pointe d’or, dans une attitude aussi cérémonielle que leurs danses, un peu plus tôt.

Kheim exprima, par gestes, son déplaisir, ce qui n’était pas très difficile, et indiqua que Bouton d’Or serait triste et en colère si on l’empêchait de retourner sur son bateau. Mais les gardes ne bougèrent pas.

Voilà. Ça devait arriver. Kheim se maudissait d’avoir quitté la plage avec des gens aussi étranges. Il pensa au pistolet sous son manteau. Il n’aurait droit qu’à un seul coup. Il n’avait plus qu’à espérer qu’I-Chin réussirait à les sauver. C’était une bonne chose qu’il ait insisté pour que le docteur restât en arrière ; il savait qu’I-Chin était le plus à même d’organiser une opération de sauvetage.

Les captifs passèrent la nuit blottis les uns contre les autres sur leur couverture, entourés de gardes qui ne dormirent pas mais passèrent leur temps debout, à mâcher de petites feuilles qu’ils tiraient de pochons cachés sous leurs tuniques à carreaux. Ils les regardaient, les yeux brillants. Kheim entoura Bouton d’Or de ses bras, et elle se lova comme une chatte contre lui. Il faisait froid. Kheim dit aux autres de se masser autour d’eux, la protégeant par leur seul contact, ou du moins la proximité de leur chaleur.

À l’aube, l’empereur revint, vêtu comme un paon gigantesque, ou un phénix, accompagné par des femmes portant des cônes d’or sur les seins, étrangement formés comme de vrais seins, avec des tétons en rubis. Elles encadraient un enfant, un garçon d’après Kheim, bien qu’il n’en fut pas sûr. En les voyant, Kheim fut pris de l’espoir absurde que tout irait bien. Puis, derrière eux, entrèrent le grand prêtre et un personnage portant un masque à damiers, dont la coiffe était ornée de petits crânes pendouillants. Une image de leur dieu de la mort, à n’en pas douter. Il était là pour les exécuter, pensa Kheim. Cela lui causa un tel choc qu’il fut plongé dans un état de conscience supérieure où l’or, plaqué de blanc par le soleil, et l’espace autour de lui gagnaient en profondeur et en densité. Les indigènes à carreaux y paraissaient aussi réels et vivants que des démons festoyant.

On les conduisit dehors dans la lumière rasante, brumeuse. Ils commencèrent à monter en direction du soleil levant. Ils montèrent toute la journée, et la journée du lendemain aussi, jusqu’à ce que Kheim se sente étouffer. Il s’arrêtait de temps en temps sur une corniche pour regarder, stupéfait, derrière lui, vers le bas, tout en bas, vers la mer, qui était une surface texturée, bleue, extrêmement plate et tellement loin, si LOIN. Il n’avait jamais imaginé pouvoir monter aussi haut au-dessus de l’océan. C’était comme s’il volait. Et pourtant, il y avait des monts encore plus hauts devant eux et, sur certaines crêtes de la chaîne de montagnes, des volcans blancs, massifs, comme des super Fuji.