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De nouveau, le pistolet claqua avec un bruit assourdissant, un vrai coup de tonnerre ; de nouveau, le panache de fumée blanche monta du canon. Le grand prêtre vola en arrière comme s’il avait été frappé par un poing géant, dévala la pente et resta à gigoter dans la neige, sa cape tachée de sang.

Kheim marcha à travers la fumée vers Bouton d’Or. Il la souleva, l’arrachant à ses ravisseurs, qui frémissaient, comme tétanisés. Il descendit la piste en la portant dans ses bras. Elle n’était qu’à moitié consciente – le thé était très probablement drogué.

Kheim s’approcha d’I-Chin qui soufflait et haletait à la tête d’une bande de marins, armés jusqu’aux dents d’un fusil à pierre, d’un pistolet et d’un mousquet.

— On retourne aux bateaux ! ordonna Kheim. Au premier geste suspect, tirez !

La descente fut infiniment plus facile que la montée. En fait, cette impression de facilité était un danger en elle-même, parce que la tête leur tournait, qu’ils étaient à moitié aveuglés et si las qu’ils avaient tendance à déraper – d’autant plus que, la température se réchauffant, la neige se ramollissait et se collait à leurs semelles. En outre, comme Kheim portait Bouton d’Or, il ne voyait pas où il mettait les pieds, et il glissait souvent, parfois lourdement. Heureusement, deux de ses hommes marchaient à ses côtés, le retenant par les coudes. Dans l’ensemble, ils avançaient plutôt bien.

Une foule se massait chaque fois qu’ils approchaient de l’un des villages d’altitude. Kheim confiait alors Bouton d’Or à l’un de ses hommes, de façon à pouvoir lever son pistolet bien haut, pour que tout le monde le voie. Si les gens se mettaient en travers de leur route, il abattait celui qui avait la plus grande coiffe de plumes. La détonation semblait effrayer les indigènes plus encore que la chute soudaine et la mort sanglante de leurs prêtres et de leurs chefs. Kheim en déduisit que, chez eux, les potentats locaux étaient souvent exécutés pour un oui ou pour un non par les gardes de l’empereur.

Quoi qu’il en soit, les gens devant lesquels ils passèrent semblaient surtout pétrifiés par la façon dont les Chinois paraissaient commander au tonnerre – un grand coup de tonnerre, suivi d’une mort instantanée, comme si un éclair avait frappé, ce qui devait arriver assez souvent dans ces hautes montagnes pour leur donner une idée de ce que les Chinois avaient accompli. Un bâton de foudre.

Pour finir, Kheim confia Bouton d’Or à ses hommes et s’avança en conquérant à leur tête, rechargeant son pistolet et tirant sur ceux qui s’approchaient un peu trop, sentant monter en lui une étrange allégresse, éprouvant la force du pouvoir terrible qu’il avait sur ces pauvres sauvages qu’un simple pistolet suffisait à paralyser d’épouvante. Il était leur dieu exécuteur incarné, et il traversait leurs rangs comme s’ils étaient des marionnettes dont on aurait coupé les fils.

À la fin de la journée, ils s’arrêtèrent sur son ordre dans un village, où ils volèrent de la nourriture et mangèrent. Puis ils repartirent jusqu’à la tombée de la nuit. Ils firent halte dans un entrepôt, une immense grange aux murs de pierre et au toit de bois, bourrée jusqu’aux poutres de tissus, de grains et d’or. Kheim les obligea à ne prendre qu’un objet chacun – un bijou ou un unique lingot en forme de disque –, sans quoi ses hommes se seraient tués à porter une tonne d’or sur leur dos.

— Nous reviendrons tous un jour, leur dit-il. Et nous serons plus riches que l’empereur.

Il choisit, pour lui-même, un papillon qui butinait un bouton d’or.

Bien qu’épuisé, il eut du mal à s’empêcher de marcher, et même à se poser. Après un demi-sommeil ponctué de cauchemars, qu’il passa quasi assis à côté de Bouton d’Or, il réveilla tout le monde avant l’aube et ils repartirent vers le pied de la montagne, leurs armes à feu chargées et prêtes à tirer.

Alors qu’ils descendaient vers la côte, il devint évident que des coureurs les avaient précédés dans la nuit et avaient averti les indigènes, en bas, du désastre qui s’était produit au sommet. Une force d’hommes en armes occupait le carrefour juste au-dessus de la grande ville côtière, hurlant au son des tambours, brandissant des massues, des boucliers, des lances et des piques. Ils avaient manifestement l’avantage du nombre sur les Chinois, les hommes qu’I-Chin avait emmenés n’étant qu’une cinquantaine face aux quatre cents ou cinq cents guerriers locaux.

— Déployez-vous, leur ordonna Kheim. Descendez vers eux au milieu de la route en chantant « Encore Ivre Sur le Grand Canal ». Brandissez vos armes devant vous, et quand je vous dirai de vous arrêter, arrêtez-vous et visez leurs chefs – celui qui a le plus de plumes sur la tête. Quand je dirai « feu ! » vous tirerez tous ensemble et vous rechargerez. Rechargez aussi vite que vous le pourrez, mais attendez mon ordre pour tirer. Quand je vous le dirai, tirez et rechargez à nouveau.

Ils descendirent donc la route en chantant à pleins poumons la vieille chanson à boire, puis ils s’arrêtèrent et tirèrent une première salve. Leurs mousquets auraient aussi bien pu être une bordée de canons, parce qu’ils firent le même effet : beaucoup d’hommes tombèrent, foudroyés, couverts de sang, les survivants s’enfuyant à toutes jambes, paniqués.

Une salve avait suffi pour se rendre maîtres de la ville. Ils auraient pu la réduire en cendres, ils auraient pu la piller ; mais Kheim les fit marcher dans les rues aussi vite que possible, en chantant à tue-tête, jusqu’à la plage, où ils retrouvèrent leurs chaloupes. Ils étaient sains et saufs. Ils n’avaient même pas été obligés de tirer une seconde fois.

Kheim s’approcha d’I-Chin et lui serra la main.

— Mille mercis, lui dit-il solennellement devant tous ses hommes. Tu nous as sauvés. Sans vous, ils auraient sacrifié Bouton d’Or comme un agneau, et ils nous auraient tous tués comme des mouches.

Kheim pensait raisonnablement que les indigènes se remettraient bientôt du choc provoqué par les armes à feu, après quoi, ils étaient si nombreux qu’ils auraient l’avantage. Ils se massaient déjà à distance respectable, pour les observer. Alors, après avoir fait monter Bouton d’Or et la plupart des hommes sur les bateaux, Kheim s’entretint avec I-Chin et le cambusier, afin de voir ce dont ils avaient besoin pour retraverser le Dahai. Ensuite, il emmena un groupe de marins en armes sur le rivage, pour une dernière expédition. Les canons tirèrent une salve d’avertissement sur la ville, puis ses hommes et lui marchèrent tout droit sur le palais, au pas et en chantant, au rythme des tambours. Arrivés au palais, ils encerclèrent rapidement les murailles et se saisirent d’un groupe de prêtres et de femmes qui tentaient de fuir par-derrière. Pour faire bonne mesure, Kheim tua un prêtre d’un coup de fusil et demanda à ses hommes de ligoter les autres.

Ensuite, il se planta devant les prêtres et exprima ses exigences à l’aide de gestes. Il avait encore très mal à la tête, mais il planait, en proie à l’étrange exaltation de la mise à mort. Comme c’était facile de traduire par gestes une longue liste d’exigences ! Il se montra du doigt, montra ses hommes, indiqua l’ouest d’une main, et fit voguer l’autre sur le vent. Il leur montra des feuilles de thé, des sacs de nourriture, et leur fit comprendre que c’était ce qu’il voulait. Il mima leur transfert sur la plage. Il s’approcha du chef des otages, mima le fait de le détacher puis un au revoir. Si les marchandises n’arrivaient pas, alors… il pointa le canon de son arme vers chacun des otages. Mais si elles arrivaient, les Chinois libéreraient tout le monde et s’en iraient.

Il joua chaque étape de ce processus sans quitter les otages des yeux, ne parlant qu’en de très rares occasions, pour ne pas les distraire. Puis il ordonna à ses hommes de relâcher les femmes, quelques-uns des hommes qui n’avaient pas de coiffe de plumes, et les envoya, avec des instructions claires, chercher les marchandises requises. Il voyait, à leur regard, qu’ils avaient parfaitement compris ce qu’ils avaient à faire.