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— Apparemment, le son n’existe pas s’il n’y a pas d’air pour nous le faire entendre, commenta Khalid.

Les visiteurs de la madrasa s’empressèrent d’examiner l’appareil, commencèrent à envisager toutes sortes d’essais pour étudier ses nombreux usages, et discutèrent de la nature de ce qui restait – s’il restait quelque chose – à l’intérieur du globe une fois qu’on en avait aspiré l’air. Khalid refusa catégoriquement d’entrer dans quelque polémique que ce fût à ce propos, préférant parler de ce que cette démonstration laissait supposer au sujet du son et de la façon dont il se propageait.

— Les échos pourraient permettre d’élucider autrement cette affaire, dit l’un des cadis.

Il ouvrait des yeux ronds, ravis, intrigués, comme tous les autres visiteurs.

— Quelque chose frappe l’air, le bouscule, et le son est un choc se déplaçant dans l’air – de la même façon que les vagues rident l’eau. Les sons rebondissent, comme des vagues qui reviendraient après avoir heurté un mur. Ce mouvement met un certain temps à parcourir l’espace – d’où l’écho.

— À l’aide d’une falaise faisant écho, dit Bahram, nous pourrions peut-être mesurer la vitesse du son.

— La vitesse du son ! s’exclama Iwang. Comme c’est beau !

— Une idée importante, Bahram, rectifia Khalid.

Il vérifia que son secrétaire notait bien tout ce qui se disait ou se faisait. Il ouvrit complètement le robinet d’arrêt et le retira, afin que tous puissent entendre la forte sonnerie pendant qu’il plongeait la main dans le globe pour l’arrêter. Le silence qui se fit alors leur parut des plus étranges. Khalid se frotta la tête avec son poignet droit.

— Je me demande, dit-il, si nous pourrions calculer la vitesse de la lumière selon le même principe…

— Comment reviendrait-elle ? demanda Bahram.

— Eh bien, peut-être que si nous visions un miroir lointain, mettons… une lanterne, une glace au loin… Avec une pendule qui donnerait l’heure de façon très précise, ou bien encore mieux, que l’on pourrait mettre en marche et arrêter, ou même…

Iwang secouait la tête.

— Le miroir devrait se trouver très loin pour laisser le temps aux savants d’enregistrer un intervalle. En outre, il faudrait attendre, pour faire la lumière, que le miroir soit placé selon le bon angle.

— Et si on mettait une personne à la place du miroir ? suggéra Bahram. Quelqu’un, sur une colline lointaine, verrait la lumière de la première lanterne, allumerait la sienne, et alors quelqu’un à côté de l’homme à la première lanterne noterait le moment auquel la seconde lumière apparaîtrait.

— Excellent, dirent plusieurs personnes en même temps.

— Ce ne sera peut-être pas assez rapide, ajouta Iwang.

— Cela reste à voir, dit Khalid avec entrain.

Sur ce, Esmerine et Fedwa poussèrent un chariot contenant un « assortiment de sharbats », ainsi que les appelait Iwang, sur lesquels la foule se précipita joyeusement, Iwang parlant du croassement ténu des goraks dans le haut Himalaya, où l’air lui-même était rare, et ainsi de suite.

Le khan face au vide

C’est ainsi qu’Iwang tira Khalid de sa noire mélancolie et que Bahram vit la sagesse avec laquelle Iwang s’occupait de son cas. Chaque jour, à présent, Khalid se réveillait, impatient de se mettre à l’ouvrage. La gestion du domaine fut laissée à Bahram et à Fedwa, les vieux ouvriers encadrant chacun un atelier. Quand on venait le consulter pour un problème d’intendance, Khalid ne répondait même pas. Il avait la tête ailleurs. Il passait son temps à concevoir, planifier et effectuer toutes sortes d’expériences avec la pompe à vide, notant scrupuleusement les résultats. Plus tard, avec de nouveaux appareils, ils étudièrent d’autres phénomènes.

C’est ainsi qu’ils allèrent à l’aube, quand tout était tranquille, vers le grand mur ouest de la ville, chronométrer le temps que mettait à leur parvenir le bruit de blocs de bois entrechoqués, puis le temps que mettait l’écho à leur revenir. Ensuite, ils mesurèrent la distance du mur avec une ficelle d’un tiers de li de long. Iwang fit les calculs, et déclara bientôt que la vitesse du son était de l’ordre de deux mille lis à l’heure, une vitesse dont tout le monde s’émerveilla.

— Près de cinquante fois plus rapide que le plus rapide des chevaux, fit Khalid en regardant joyeusement les chiffres d’Iwang.

— Et la lumière doit aller encore beaucoup plus vite, prédit Iwang.

— Nous le découvrirons.

En attendant, Iwang contemplait les chiffres, intrigué.

— Reste la question de savoir si le son ralentit au fur et à mesure qu’il se propage. Ou s’il accélère. Mais s’il change de vitesse, il est plus probable qu’il ralentisse, l’air opposant une résistance au choc.

— Le bruit devient plus faible au fur et à mesure qu’on s’éloigne, souligna Bahram. Plutôt que de ralentir, peut-être qu’il s’affaiblit.

— Mais pourquoi ferait-il ça ? demanda Khalid.

Puis ils se lancèrent, Iwang et lui, dans une grande discussion sur le bruit, le mouvement, les causes et l’action à distance. Très vite, Bahram fut dépassé, n’étant pas un philosophe. Et, à vrai dire, Khalid, n’aimant pas l’aspect métaphysique de la discussion, conclut, comme toujours ces derniers temps :

— Il faut faire des tests.

Iwang était d’accord. En ruminant les chiffres, il déclara :

— Nous aurions besoin de calculs qui pourraient rendre compte non seulement des vitesses fixes, mais de la vitesse à laquelle la vitesse change. Je me demande si les Hindous ont réfléchi à ça.

Il disait souvent que les mathématiciens hindous étaient les plus forts du monde, très loin devant les Chinois. Khalid le laissait depuis longtemps accéder à tous ses livres de mathématiques, et Iwang passait de nombreuses heures dans son bureau à lire, ou à faire d’obscurs calculs et des dessins à la craie sur des ardoises.

On apprit qu’ils avaient une pompe à vide, et ils rencontrèrent régulièrement, à la madrasa, des personnes que cela intéressait – généralement des professeurs de mathématiques et de sciences de la nature. Ces réunions étaient souvent conflictuelles, mais chacun conservait le style d’échange policé, ostentatoire, des débats théologiques à la madrasa.

Pendant ce temps, le caravansérail hindou accueillait souvent des marchands de livres, et ces hommes appelaient Bahram pour qu’il jette un coup d’œil à de vieux parchemins, des livres à couverture de cuir ou de bois, ou des boîtes contenant des pages non reliées.

— Le vieux Une-Main sera intéressé par la théorie de Brahmagupta sur la taille de la Terre, je vous assure, disaient-ils avec de grands sourires, sachant que Bahram était incapable d’en juger.

— Celui-ci contient la sagesse de cent générations de moines bouddhistes, qui ont tous été massacrés par les Moghols.

— Celui-ci renferme les connaissances compilées des Franjs disparus, d’Archimède et d’Euclide.

Bahram jetait un coup d’œil aux pages, comme s’il y comprenait quelque chose, et choisissait les volumes les plus lourds, les plus vieux, et ceux où apparaissaient le plus de chiffres, surtout les chiffres hindis, ou de ces virgules tibétaines qu’Iwang était le seul à pouvoir déchiffrer. S’il pensait que Khalid et Iwang seraient intéressés, il marchandait avec l’entêtement de l’ignare.

— Regardez, ce n’est ni de l’arabe, ni de l’hindi, ni du persan ni du sanskrit. Je ne reconnais même pas cet alphabet. Comment Khalid pourrait-il y comprendre quelque chose ?

— Oh, mais ça vient du Deccan. Les bouddhistes de partout peuvent lire ça. Votre Iwang sera très heureux de s’y plonger !