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Ou bien :

— C’est l’alphabet des Sikhs. Leur dernier gourou leur a inventé un alphabet qui ressemble beaucoup au sanskrit, et leur langue est une forme de penjabi.

Et ainsi de suite. Bahram rentrait à la maison avec ses trouvailles, un peu inquiet d’avoir dépensé du bon argent pour acheter des volumes poussiéreux auxquels il ne comprenait rien. Ensuite, Khalid et Iwang les inspectaient, et soit ils les feuilletaient comme des vautours, auquel cas ils félicitaient Bahram pour son jugement et l’habileté avec laquelle il avait marchandé, soit Khalid le maudissait, le traitant d’imbécile, pendant qu’Iwang le regardait, s’émerveillant qu’il ne sache pas reconnaître un livre de comptabilité d’un armateur de Travancore (c’était le volume du Deccan que n’importe quel bouddhiste pouvait lire).

Leur dispositif suscitait d’autres attentions, dont ils se seraient bien passés. Un matin, Nadir Divanbegi se présenta à leur porte avec quelques gardes du khan. Paxtakor, le serviteur de Khalid, les escorta à travers le complexe, et Khalid, prudemment impassible et affable, demanda qu’on apporte du café dans son bureau.

Nadir était aussi amical qu’on peut l’être, mais il en vint bientôt au fait :

— J’ai dit au khan que ta vie devait être épargnée parce que tu étais un grand chercheur, un philosophe et un alchimiste, un bien précieux pour le khanat, un joyau de la grande gloire de Samarkand.

Khalid hocha la tête, mal à l’aise, en regardant sa tasse de café. Il fit un geste du doigt, comme pour dire « ça suffit », puis il marmonna :

— Je vous suis très reconnaissant, effendi.

— Oui. Il est clair, maintenant, que j’ai eu raison de plaider pour ta survie, avec tout ce que j’apprends de tes nombreuses activités et de tes merveilleuses recherches.

Khalid le regarda en se demandant s’il se moquait de lui, et Nadir leva les mains en signe de sincérité. Khalid baissa les yeux.

— Mais je suis venu te rappeler que, si tous tes essais sont vraiment extraordinaires, le monde est dangereux. Le khanat se trouve au centre de toutes les routes commerciales importantes, et il y a des armées aux quatre points cardinaux. Le khan se soucie de protéger ses sujets de toute attaque, or il existerait des canons capables d’abattre les murailles de notre cité en une semaine, voire moins. Le khan veut que tu l’aides à résoudre ce problème. Il est sûr que tu seras ravi de lui apporter une modeste partie des fruits de ton savoir, afin de l’aider à défendre le khanat.

— Tous les résultats de mes essais appartiennent au khan, répondit gravement Khalid. Mon souffle même appartient au khan.

Nadir hocha la tête en signe d’assentiment devant cette vérité.

— Et pourtant, tu ne l’as pas invité à assister à la démonstration de cette pompe qui crée un vide dans l’air.

— Je ne pensais pas qu’il serait intéressé par une si petite affaire.

— Le khan s’intéresse à tout.

Aucun d’eux ne pouvait dire, en regardant le visage de Nadir, s’il plaisantait ou non.

— Nous serions heureux de lui faire une démonstration de la pompe à vide.

— Parfait. Il appréciera. Mais rappelle-toi qu’il attend par-dessus tout que tu règles cette histoire de canons et de murailles.

Khalid hocha la tête.

— Nous honorerons son souhait, effendi.

Nadir parti, Khalid se mit à marmonner d’un air malheureux.

— Il s’intéresse à tout ! Comment peut-il dire ça sans rire ?

Il envoya néanmoins au khan un serviteur avec une invitation en bonne et due forme à venir voir le nouvel appareil. Et avant la visite, il mit tout le complexe au travail, préparant une nouvelle démonstration de la pompe qui impressionnerait le khan, du moins l’espérait-il.

Quand Sayyed Abdul Aziz et sa suite firent leur visite, le globe qui devait contenir le vide, cette fois, était fait de deux demi-globes dont les bords étaient mortaisés afin de s’emboîter parfaitement. Un fin joint de cuir huilé fut placé à la jonction avant que l’air ne soit aspiré, et de gros étriers d’acier furent fixés à chacun des deux globes, auxquels on pourrait attacher des cordes.

Sayyed Abdul était assis sur des coussins et inspectait soigneusement les deux moitiés du globe. Khalid lui expliqua :

— Quand l’air est enlevé, les deux moitiés du globe adhèrent l’une à l’autre avec une grande force.

Il plaça les moitiés ensemble, les sépara ; les replaça, fixa la pompe au trou prévu à cet office, et fit signe à Paxtakor d’actionner la pompe de façon répétée, une dizaine de fois. Puis il apporta le système au khan et l’invita à essayer de séparer les deux moitiés du globe.

Il n’y arriva pas. Le khan avait l’air ennuyé. Khalid emporta le système dans la cour centrale du complexe, où deux attelages de trois chevaux chacun attendaient. Les harnais furent accrochés de part et d’autre du globe, et les deux attelages éloignés l’un de l’autre jusqu’à ce que le globe se retrouve suspendu entre eux. Quand les chevaux s’immobilisèrent, les palefreniers eurent beau faire claquer leur fouet, et les chevaux piaffer, renâcler et tirer chacun de leur côté, ils dérapèrent, se déplacèrent de droite et de gauche, mais le globe resta suspendu aux cordes horizontales, frémissantes. Les deux moitiés restaient inséparables. Même les brusques départs de galop que les chevaux tentèrent se soldèrent par des arrêts brutaux, titubants.

Le khan regardait les chevaux avec intérêt, mais il paraissait indifférent au sort du globe. Au bout de quelques minutes d’efforts, Khalid fit s’arrêter les chevaux, décrocha le dispositif et l’apporta au groupe où se trouvaient le khan et Nadir. Lorsqu’il ôta le bouchon, l’air entra dans le globe en sifflant, et les deux moitiés se séparèrent aussi facilement que les quartiers d’une orange. Khalid arracha le petit joint de cuir écrasé.

— Vous voyez, dit-il. C’est la force de l’air, ou plutôt l’attraction du vide, qui retient si fortement les moitiés ensemble.

Le khan se leva comme s’il s’apprêtait à partir, et sa suite en fit autant. Il donnait l’impression d’être sur le point de s’écrouler de sommeil.

— Et alors ? dit-il. Je veux pulvériser mes ennemis, pas les maintenir ensemble.

Il eut un geste dédaigneux et s’en alla.

Dans la nuit, la lumière

Cette réaction si peu enthousiaste ennuya Bahram. Le khan ne s’intéressait absolument pas à cet appareil qui avait fasciné les érudits de la madrasa ; au lieu de quoi, il avait ordonné de mettre au point des fortifications et de nouvelles armes qui éclipseraient les recherches assidues des armuriers de tous les temps. S’ils échouaient, les punitions possibles n’étaient que trop faciles à imaginer. La main absente de Khalid semblait les narguer depuis son propre type de vide. Il contemplait son moignon, et disait :

— Un jour, je te ressemblerai tout entier.

Pour le moment, c’est à peine s’il jetait un œil sur le complexe.

— Dis à Paxtakor de se procurer de nouveaux canons chez Nadir pour des essais. Trois de chaque taille, et toute la poudre et les munitions nécessaires.

— Mais de la poudre, nous en avons.

— Je sais, répondit-il en foudroyant Bahram du regard. C’est juste que je veux voir quelle sorte de poudre ils ont, eux.

Les jours suivants, il passa en revue tous les vieux bâtiments du complexe, ceux que ses vieux ferronniers et lui avaient bâtis au tout début, quand ils se contentaient de fabriquer des canons et de la poudre pour le khan. À cette époque, avant que ses hommes et lui n’adoptent le système chinois et ne raccordent le moulin à leurs fourneaux, libérant ainsi pour d’autres travaux bon nombre des jeunes apprentis qui actionnaient les soufflets, tout était petit, rudimentaire. Le fer était plus cassant. Tout ce qu’ils faisaient était grossier, mal fini. Les bâtiments eux-mêmes en témoignaient. Aujourd’hui, les engrenages des moulins ronflaient de toute la puissance du fleuve. Des fumées jaune citron, vert acide, montaient des cuves de produits chimiques. Les souffleurs faisaient des colis, menaient des chameaux et déplaçaient des montagnes de charbon d’un endroit à l’autre du complexe. En voyant cela, Khalid secoua la tête et fit un geste résolu avec son poing fantôme.