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Ensuite, l’équipe des Ours-Loups-Castors-Tortues fit ce qu’elle put pour arrêter Delouest, mais ils étaient troublés par son étrange façon de jouer, et ne parvenaient pas à le contrer correctement. S’ils lui tombaient dessus à plusieurs, il faisait une passe à l’un de ses rapides jeunes équipiers, qui gagnaient en assurance au fur et à mesure de leurs succès. S’ils le prenaient à un seul, alors il se mettait à s’agiter bizarrement, chancelant, feintant, paraissant hésiter, trébucher, tant et si bien qu’il troublait son adversaire, qui ne pouvait l’empêcher d’arriver à portée de tir des buts, vers lesquels il se ruait alors, soudain ressuscité, sa crosse à la hauteur du genou, pour, d’un tour du poignet, lancer la balle entre les deux poteaux comme une flèche. Personne n’avait jamais vu de tirs aussi puissants.

Après chaque tir au but, on regagnait le bord du terrain pour se désaltérer, d’un bol d’eau ou de sirop d’érable. Les équipiers des Ours-Loups-Castors-Tortues s’entretinrent sombrement, et décidèrent de faire des changements. Ensuite, un coup de crosse « accidentel » atteignit Delouest en pleine tête, lui ouvrant le crâne et le laissant couvert de son propre sang. Mais la foule lui accorda un tir au but, qu’il sut transformer depuis le milieu du terrain, arrachant au public une formidable ovation. En outre, cela n’affecta pas son étrange mais particulièrement efficace façon de jouer, ni ne le fit regarder une seule fois ses adversaires ; ce qui tira ce commentaire à Iagogeh :

— Il joue comme si les joueurs adverses étaient des fantômes. Il joue comme s’il était tout seul sur le terrain, et qu’il apprenait à courir de façon élégante.

Excellente connaisseuse du jeu de lacrosse, elle appréciait particulièrement cette partie.

Beaucoup plus vite que d’habitude, le score fut de quatre à un pour l’équipe des jeunes tribus. Les vieilles tribus se réunirent pour revoir leur stratégie. Les femmes distribuèrent des gourdes d’eau et de sirop d’érable, et Iagogeh, qui était elle aussi de la tribu des Faucons, s’approcha de Delouest pour lui tendre un peu d’eau – puisque c’était, avait-elle remarqué, la seule chose qu’il buvait.

— Il te faut quelqu’un maintenant, murmura-t-elle en s’accroupissant à côté de lui. Personne ne peut finir seul.

Il la regarda, surpris. D’un geste de la tête, elle lui désigna son neveu, Doshoweh, Fend-la-Fourche.

— C’est ton homme, dit-elle avant de s’éclipser.

Les joueurs se regroupèrent au milieu du terrain pour le lancer, l’équipe des Ours-Loups-Castors-Tortues ne laissant derrière elle qu’un seul joueur en défense. Ils se saisirent de la balle et coururent furieusement, désespérément, vers l’ouest. Le jeu dura quelque temps, aucune équipe ne parvenant à prendre l’avantage, chacune montant et descendant follement le terrain sans réussir à marquer. Puis l’un des joueurs des Daims-Bécassines-Faucons-Hérons se blessa à la cheville, et Delouest demanda à Doshoweh d’entrer pour le remplacer.

L’équipe des Ours-Loups-Castors-Tortues redoubla d’énergie, harcelant ce nouveau joueur. L’une de leurs passes frôla Delouest, qui l’intercepta en bondissant par-dessus un homme à terre. Il la renvoya à Doshoweh, et tous convergèrent en direction du jeune homme, qui paraissait terrorisé et vulnérable ; mais il eut la présence d’esprit de faire une longue passe à Delouest, qui courait déjà à toute allure de l’autre côté du terrain. Delouest attrapa la balle et tous se ruèrent à sa poursuite. Malheureusement, on aurait dit qu’il disposait d’un supplément secret d’énergie, que personne ne lui aurait soupçonné, et dont il se servait à présent pour distancer tous ses poursuivants et atteindre les buts adverses, où, après une feinte du corps et de la crosse, il tira, envoyant la balle se perdre loin derrière les buts, dans les bois. Fin du match.

La foule hurla de bonheur, et une pluie de chapeaux et blagues à tabac s’abattit sur le terrain. Les joueurs, qui s’étaient allongés sur l’herbe, épuisés, se relevèrent et s’embrassèrent en une joyeuse mêlée, sous les regards attendris des arbitres.

Ensuite, Delouest s’assit au bord du lac avec les autres.

— Quel soulagement, dit-il. Je commençais à fatiguer.

Il accepta que des femmes lui mettent une écharpe brodée sur la tête, sur sa blessure, et les remercia, en baissant la tête.

Dans l’après-midi, les plus jeunes s’amusèrent à envoyer un javelot à travers un cerceau que l’on faisait rouler. On proposa à Delouest d’essayer, et il accepta.

— Rien qu’une fois, dit-il.

Il se tint parfaitement droit, et envoya son javelot d’un tir habile et souple à travers le cerceau, qui continua sa course comme si de rien n’était. Delouest s’inclina et céda sa place à qui la voulait.

— Je jouais à ça quand j’étais petit, expliqua-t-il. Cela faisait partie de l’entraînement pour devenir un de ces guerriers que nous appelons samouraïs. Ce que le corps apprend, il ne l’oublie jamais.

Iagogeh, qui avait assisté à tout, alla trouver son mari, le Gardien du Wampum.

— Nous devrions demander à Delouest de nous parler de son pays, lui dit-elle.

Il hocha la tête, se renfrognant comme à chaque fois qu’elle lui prodiguait un conseil, bien qu’il eût l’habitude, chaque jour, depuis plus de quarante ans, de discuter avec elle des affaires de la Ligue. Le Gardien était ainsi, irritable et mauvais. Mais c’était parce que la Ligue était très importante pour lui. Alors Iagogeh ne disait rien. La plupart du temps.

Les préparatifs étant terminés, chacun se dirigea vers la fête. Comme le soleil disparaissait entre les branches des arbres, des feux se mirent à rugir dans les ombres, les peuplant de lumière. Le terrain cérémoniel, au centre des quatre feux dressés aux quatre points cardinaux, s’emplit d’une foule de plusieurs centaines de personnes faisant la queue pour recevoir des bols emplis d’une bouillie de maïs épicée et de gâteaux de maïs, de soupe de pois, de courge chaude et de tranches de viande de daim, d’élan, de canard et de caille. La foule se mettant à manger, le vacarme diminua. Puis on prit le dessert, du pop-corn et de la gelée de fraise des bois nappée de sirop d’érable, que l’on savourait lentement, et qui faisait le délice des enfants.

Pendant que l’on se délectait de ce festin crépusculaire, Delouest se promena dans les champs, une plume d’oie sauvage à la main. Il se présentait aux gens qu’il ne connaissait pas, écoutant leurs histoires ou répondant à leurs questions. Il s’assit avec les proches des joueurs de son équipe, et se remémora leur triomphe de la journée à la partie de lacrosse.

— Ce jeu ressemble à mon ancien travail, dit-il. Dans mon pays, les guerriers se battent avec des armes qui ressemblent à de grandes lances. J’ai vu que vous en aviez quelques-unes, ainsi que des fusils. Ils ont dû être apportés par l’un de mes frères aînés, ou bien par ceux qui sont venus ici jadis, par la mer, de l’est.

Ils hochèrent la tête, songeurs. En effet, des étrangers venus de l’autre côté de la mer avaient établi un village fortifié non loin de la côte, près de la grande baie où se jetait le fleuve de l’Est. Leurs lances, les fers de certains tomahawks et leurs fusils venaient de chez eux.