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— Les lances sont très utiles, dit Iagogeh. Et ce n’est pas Brise-Lance qui me contredira !

Les gens s’esclaffèrent en regardant Brise-Lance, qui grimaça, embarrassé.

— Mais ce métal vient de certaines roches, très particulières, dit Delouest. Des roches rouges. À l’aide d’un feu suffisamment chaud, dans un grand four en glaise, vous pourriez vous aussi forger ce même métal. Les pierres qu’il vous faut sont juste au sud de vos terres, en bas de la vallée étroite et mamelonnée.

Prenant un bout de bois, il traça une sorte de carte sur le sol.

Deux ou trois sachems écoutaient ce qu’il disait à Iagogeh. Delouest les salua, en s’inclinant.

— Il faut que je parle au conseil des sachems. C’est très important.

— Mais est-ce qu’un four en glaise supportera une chaleur aussi importante ? l’interrogea Iagogeh, en regardant les grosses aiguilles à tricoter qu’elle portait au cou, suspendues à l’un de ses colliers.

— Oui. Et la pierre noire, en se consumant, chauffe autant que du charbon. Je m’en servais moi-même pour forger des épées. Elles ressemblaient à des faux, en plus longues. Comme des brins d’herbes, ou des crosses de lacrosse. Aussi longues que les crosses, en fait, mais aussi affûtées qu’un tomahawk ou qu’un brin d’herbe, lourdes, et solides. On apprend à frapper de taille, fit-il en envoyant une main devant lui, paume contre terre, et hop, plus de tête ! Personne ne peut rien contre vous.

Tous l’écoutaient attentivement. Ils le voyaient encore, agitant sa crosse autour de lui, comme une graine d’orme dansant au gré du vent.

— Sauf un homme équipé d’un fusil, fit remarquer le grand sachem mohawk Sadagawadeh, Humeur-Égale.

— C’est vrai. Mais la majeure partie d’un fusil est composée d’un métal de même qualité.

Sadagawadeh en convint, très intéressé maintenant. Delouest s’inclina.

Le Gardien du Wampum envoya une cinquantaine de jeunes Neutres chercher les différents sachems, et ils durent parcourir le terrain pour les trouver. Quand ils revinrent, Delouest se tenait au milieu d’un groupe, une balle de lacrosse entre le pouce et l’index. Il avait de grandes mains carrées, couvertes de cicatrices.

— Là, imaginons que ceci est le monde. Le monde est couvert d’eau, dans sa quasi-totalité. Il y a deux grandes îles au milieu du lac du monde. La plus grande île se trouve de l’autre côté, par rapport à nous. L’île sur laquelle nous sommes est grande, mais pas aussi grande que l’autre. Moitié moins grande, ou même moins. Quant à savoir à quel point le lac est grand, je ne sais pas trop…

Avec un morceau de charbon, il traça deux traits sur la balle pour indiquer les îles. Puis il donna à Keeper la balle de lacrosse.

— C’est une sorte de wampum.

Keeper eut un sourire.

— On dirait une image.

— Oui, une image. Du monde entier, sur une balle, parce que le monde est une grande balle. Et qu’on peut y tracer les noms des îles et des lacs.

Le Gardien n’avait pas l’air convaincu, mais Iagogeh n’arrivait pas à voir pourquoi. Il dit aux sachems de se préparer pour le conseil.

Iagogeh alla aider les autres femmes à tout nettoyer. Delouest prit quelques bols et les apporta au lac, pour les laver.

— Je vous en prie, dit Iagogeh, gênée. Nous nous en occuperons…

— Je ne suis le serviteur de personne, répondit Delouest.

Et il continua pendant un moment d’apporter les bols aux filles, en leur posant des questions sur leurs broderies. Quand il vit que Iagogeh était allée se reposer un peu à l’écart, sur un talus, il alla s’asseoir à côté d’elle.

— Je sais que la sagesse hodenosaunee est telle, dit-il tout en continuant de regarder les filles, que ce sont les femmes qui décident qui doit épouser qui.

Iagogeh réfléchit un instant.

— Je suppose qu’on peut voir les choses comme ça, répondit-elle enfin.

— Je suis un Portier à présent, et un Faucon. Je passerai le restant de ma vie ici, parmi vous. Moi aussi, j’espère me marier un jour.

— Je vois.

Elle le regarda, puis regarda les filles.

— Pensez-vous à quelqu’un en particulier ?

— Oh non ! s’exclama-t-il. Je n’aurai pas cette hardiesse. C’est à vous de décider. Après le conseil que vous m’avez donné pour le joueur de lacrosse, je suis sûr que vous ferez un très bon choix.

Elle sourit. Elle regarda les robes de fête des filles, dont certaines savaient que leur aînée les regardait, et d’autres pas.

— Combien d’étés avez-vous connus ? demanda-t-elle.

— Trente-cinq, à peu près. Dans cette vie.

— Vous avez eu d’autres vies ?

— Nous en avons tous eu. Vous ne vous souvenez pas ?

Elle le considéra, ne sachant s’il était sérieux.

— Non.

— Je m’en souviens en rêve, le plus souvent. Et parfois un événement se produit, que l’on a déjà vu.

— J’ai déjà eu cette sensation.

— Eh bien, c’est ça.

Elle frémit. Il commençait à fraîchir. Il était temps d’allumer de nouveaux feux. Entre les branches chargées de feuilles, au-dessus d’eux, une étoile, puis une autre scintillèrent.

— Êtes-vous sûr de ne pas avoir de préférence ?

— Aucune. Les femmes hodenosaunees sont les femmes les plus puissantes de ce monde. Non seulement à cause de l’héritage et de la lignée familiale, mais aussi parce qu’elles choisissent leur partenaire. En fait, cela veut dire que c’est vous qui décidez qui reviendra au monde.

Elle gloussa.

— Si les enfants étaient comme leurs parents !

En effet, les enfants qu’elle avait eus avec le Gardien étaient des plus étranges, et dangereux.

— Celui qui vient au monde attendait d’y venir. Mais beaucoup attendent. Ce sont les parents qui décident qui doit revenir.

— Vous croyez ? Parfois, quand je regarde les miens, j’ai l’impression de voir des étrangers – invités à venir passer quelque temps dans la Longue-Maison.

— Comme moi.

— Oui, comme vous.

C’est alors que les sachems les trouvèrent, et emmenèrent Delouest pour le conduire à la cérémonie d’élévation.

Iagogeh s’assura que le rangement était à peu près fini, puis s’en alla rejoindre les sachems, pour les aider à préparer l’accueil du nouveau chef. Elle brossa ses longs cheveux noirs, qui ressemblaient tellement aux siens, et lui fit un chignon au-dessus de la tête, comme il le voulait. Elle considéra son visage souriant. C’était un homme très particulier.

On lui donna les ceintures et les bandeaux adéquats, qui avaient demandé un hiver entier de travail à une brodeuse de talent, et avec lesquels il parut tout à coup des plus élégants. Un guerrier, un chef, malgré son visage lunaire et ses yeux bridés. Il ne ressemblait à personne, et certainement pas aux étrangers venus de l’autre côté de la mer, à l’est, qu’elle avait parfois entr’aperçus. Pourtant, elle commençait à éprouver un sentiment de familiarité. Ce sentiment la troublait.

Il leva les yeux vers elle pour la remercier de l’avoir aidé. Quand elle croisa son regard, elle eut l’impression bizarre de le reconnaître.

Quelques branches et plusieurs grosses bûches vinrent alimenter le feu central, et le son des tambours et des hochets en carapace de tortue monta dans le ciel, alors que les cinquante sachems des Hodenosaunees formaient un large cercle pour la cérémonie. La foule se massa derrière eux, d’abord mouvante, puis s’asseyant pour que tout le monde puisse voir – vallée immense de visages attentifs.