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On demandera pourquoi tous ces gens éprouvent ainsi un irrésistible désir d’habiter ces boites à sudation qu’on appelle prétentieusement maison de campagne. Que voulez-vous ? C’est encore un des effets de cet incessant BESOIN DE POÉSIE qui nous tourmente. Quoi que nous fassions, quoi que nous prétendions, nous sommes harcelés par des aspirations confuses, des espèces de soulèvements de l’âme, par une tendance continue vers des choses ignorées, éthérées, supérieures. Nous cherchons sans cesse à réaliser ces espérances, idéales ; et la campagne, chose poétique, est un des moyens à la portée de tous. Elle est trompeuse comme le reste, comme toutes les poésies. Qu’importe ! Le propriétaire a pour sa maison des yeux d’amant ; il ne la voit jamais dans sa réalité laide.

La campagne, pour le Parisien, c’est Meudon, Saint-Cloud, Asnières ou Argenteuil. Là il se dilate, s’amuse. Mais, si on le transportait dans la vraie campagne, au milieu des champs silencieux, tranquilles, immobiles, où poussent les récoltes épaisses, où seuls, un cri d’oiseau, un mugissement de vache traversent parfois la muette solitude, il serait saisi d’inquiétude et redemanderait bien vite sa petite campagne à canotiers tapageurs à chemins de fer et à bastringues.

Si quelqu’un pourtant veut voir aux environs de Paris un coin de paysage tout particulier, unique, inconnu, je lui indiquerai le pays des lilas, le coteau de la Frette.

En face du pare de Maisons-Laffitte, entre le village de Sartrouville et le hameau de la Frette, s’étend un petit coteau qui suit le cours de la Seine et s’arrondit avec le fleuve. Cette colline, toute verte le reste de l’année, semble aujourd’hui teinte en violet, et quand on se promène à son pied une odeur délicieuse et forte vous pénètre, vous grise ; car c’est là qu’on cultive tous les lilas qui embaumeront Paris dans quelques jours. On y cultive les lilas comme les asperges à Argenteuil, comme la vigne en Bourgogne, comme les blés ou les avoines en Normandie. Ce sont des champs en pente, plantés d’arbustes, maintenus à une taille égale ; et sur toute la surface du coteau s’étend à présent une nappe de bouquets à peine ouverts, que des moissonneuses commencent à cueillir, qu’elles nouent en gerbes et envoient chaque nuit à la halle aux fleurs. De petits chemins se perdent au milieu de ces buissons parfumés ; et parfois une épine épanouie semble une boule de neige au milieu de la côte violette. Dans quinze jours, toute la récolte sera faite et les buissons déflorés n’auront plus que leur feuillage vert où quelques grappes tardives se montreront encore de place en place.

Par un jour de soleil, rien de plus curieux, de plus charmant, que ce coteau garni de filas d’un bout à l’autre. Là seulement, ceux qui ne connaissent pas le Midi, la patrie des parfums, apprennent ce que sont ces senteurs exquises et violentes qui s’élèvent de tout un peuple de fleurs semblables, épanouies par toute une contrée. Là, dans la tiédeur d’une chaude journée, on peut éprouver cette sensation rare, particulière et puissante, que donne la terre féconde à ceux qui l’aiment, cette ivresse de la sève odorante qui fermente autour de vous, cette joie profonde, instinctive, irraisonnée que verse le soleil rayonnant sur les champs ; et on voudrait être un de ces êtres matériels et champêtres inventés par les vieilles mythologies, un de ces faunes que chantaient autrefois les poètes.

Balançoires

(Le Gaulois, 12 mai 1881)

Je ne veux point parler de ces odieux engins de plaisir, la joie des femmes à la campagne, instruments de migraine et de maux de cœur, qui, le dimanche, emplissent la banlieue parisienne de leur mouvement régulier, incessant, monotone, étourdissant, même pour ceux qui passent sur les routes.

Les balançoires que je hais surtout sont les scies et les bêtises éternelles où se berce l’esprit humain, les insipides rabâchages d’idées revenant sans fin, reprenant la foule de temps en temps, emportant chaque fois dans un tourbillon de sottises tous les esprits, tous les journaux, tous les hommes grands ou Petits.

Chacun a la sienne et s’y cramponne, la lance en avant, la lance en arrière, exaspérant ses voisins. Mais à y a aussi les balançoires générales où se suspend tout un peuple ; où l’on est forcé de monter, sous peine de passer pour un être subversif, dangereux, pour un mauvais citoyen.

Parmi ces balançoires nationales, il en est une qui fonctionne en ce moment : la théorie de l’amitié de peuple à peuple. L’Italie, dans un accès de chauvinisme exagéré, s’est crue menacée dans sa dignité, parce que nous avons envoyé trente mille hommes pour s’emparer d’un vieux Kroumir accroupi sur une montagne escarpée. Les feuilles de là-bas sont parties en guerre contre nous, les lecteurs ont suivi ces feuilles ; et on nous a fort maltraités dans les conversations particulières. C’est la balançoire du chauvinisme que le consul Maccio a mise en mouvement. Tout le peuple est monté dessus ; et aussitôt l’impulsion formidable l’a lancée dans un va-et-vient furieux.

Alors nous avons été stupéfaits. Nos journaux se sont écriés : – L’Italie agir ainsi ? Qui l’aurait cru ? L’Italie qui nous doit tant ? Notre amie naturelle ? Notre alliée ? Notre sœur ? Oh ! L’ingrate !

Or, depuis que le monde existe, les choses se sont toujours passées ainsi. Chacun de nous sait, à n’en pouvoir douter, que quiconque oblige quelqu’un garde de la reconnaissance à son obligé pour lui avoir rendu service, mais que l’obligé considère le bienfait comme un fardeau. A plus forte raison, quand il s’agit d’un peuple. Nous savions gré à l’Italie de lui avoir prouvé notre générosité, voilà tout.

Et puis, qu’est-ce que veulent dire ces amitiés de peuple à peuple, cette blague antique qui sert toujours aux gouvernements malins ?

Du moment que vous avez un mur mitoyen qui vous sépare de votre meilleur ami, cet homme pourra demain devenir votre ennemi mortel si votre bonne a jeté un trognon de chou par-dessus ce mur. L’amitié ne tient pas plus que ça. Du moment qu’une frontière commune existe entre deux peuples, entre deux êtres collectifs dont les sentiments sont des courants d’opinion venus des chefs de file, il n’y a ni amitié, ni reconnaissance, ni dévouement, ni générosité, ni rien, rien, qui tienne, quand le chauvinisme est mis en mouvement par un intrigant quelconque. Nous a-t-on balancés, depuis un mois, avec cette amitié des peuples !