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Et voici quelques exemples des antiques gauloiseries, des moins salées, car en général elles s’accommoderaient peu avec la pudeur moderne.

Du Clément Marot :

Tu as tout seul, Jean-Jean, vignes et prés, Tu as tout seul ton cœur et ta pécune, Tu as tout seul deux logis diaprés, Là où vivant ne prétend chose aucune, Tu as tout seul le prix de ta fortune, Tu as tout seul ton boire et ton repas, Tu as tout seul toutes choses, fors une, C’est que tout seul ta femme tu n’as pas.

Du même :

Catin veut épouser Martin, C’est fait en très fine femelle. Martin ne veut point de Catin, Je le trouve aussi fin comme elle.

Voici maintenant du Mellin de Saint-Gelais :

Notre vicaire, un jour de fête, Chantait un agnus gringoté, Tant qu’il pouvait, à pleine tête, Pensant d’Annette être écouté. Annette, de l’autre côté, Pleurait, attentive à son chant ; Dont le vicaire, en s’approchant, Lui dit : Pourquoi pleurez-vous, belle ? — Ah ! Messire Jean, ce dit-elle, Je pleure un âne qui m’est mort, Qui avait la voix toute telle Que vous, quand vous criez si fort !

Et du Racan :

Bien que du Moulin en son livre Semble n’avoir rien ignoré, Le meilleur est toujours de suivre Le prône de notre curé. Toutes ces doctrines nouvelles Ne plaisent qu’aux folles cervelles. Pour moi, comme une humble brebis, Sous la houlette je me range : Je n’ai jamais aimé le change Que des femmes et des habits.

Et du Scarron :

Maynard qui fit des vers si bons Eut du laurier pour récompense ! Ô siècle maudit ; quand j’y pense, On en fait autant aux jambons !

Je n’en finirais point. J’en pourrais citer vingt volumes.

C’est bien bénin, n’est-ce pas, et déplorablement ennuyeux ? Ce sont les « nouvelles à la main » de l’époque, les traits à la mode, la poussière volante de l’esprit français d’alors. C’est usé.

Mais j’ai nommé tout à l’heure Montaigne ! Est-il usé celui-là ? Rabelais a-t-il cessé d’être la quintessence même de l’esprit ? Voltaire a-t-il tant vieilli ? Les Mémoires de Beaumarchais sont-ils devenus illisibles ? Et combien d’autres dont l’esprit est jeune et neuf comme aux jours où ils écrivaient !

Et cette verve enragée de Molière ne nous amuse-t-elle donc plus ? Je ne parle pas de son génie scénique ; mais des mots, rien que des mots ! Son trait ne nous arrache-t-il pas le rire tout comme les meilleures POINTES de n’importe quel contemporain ?

Et parmi les simples mots d’esprit, n’en avons-nous point conservé d’exquis ?

Quand on a dit de l’Académie : « Ils sont là quarante, ils ont de l’esprit comme quatre », n’a-t-on pas prononcé une parole aussi immortelle, dans sa simplicité comique, que l’immortelle assemblée elle-même ?

Et le trait suivant ne sera-t-il pas toujours joli ?

Un gros serpent mordit Adèle. Que pensez-vous qu’il arriva ? Qu’Adèle mourut, bagatelle. Ce fut le serpent qui creva !...

Il est vrai de dire qu’en France nous traitons l’esprit en enfant gâté ; nous lui permettons tout : il tient lieu de tout. C’est pousser trop loin assurément la complaisance et la faiblesse.

Nous le mettons à toutes les sauces, nous en jetons partout, là même où il n’aurait que faire.

Voici par exemple un homme d’un grand et indiscutable talent : M. Alexandre Dumas fils. Son esprit intarissable arrive souvent à gâter son talent. Toutes ses pièces sont si remplies de « mots » arrivant à tout propos, à tort et à travers, que souvent on est exaspéré. Le public aujourd’hui aime ça ; il rit et applaudit sans se demander si l’art véritable, si l’œuvre en elle-même ne souffrent point de cette pluie d’allusions piquantes.

Si l’auteur met en scène un père et une mère au chevet d’un enfant mourant, le père et la mère feront des mots, le médecin survenant entrera sur un mot, et si l’enfant meurt, sa dernière parole contiendra un trait, un mot, quelque chose de spirituel enfin.

Aussi, comme ce genre de pièces vieillit vite, elles se fanent à la façon des nouvelles à la main des feuilles quotidiennes. Quand on les reprend au bout de trois ou quatre ans, le public ne comprend plus ; il applaudit bien encore un peu, par respect et surtout par tradition, mais il faut changer l’affiche au bout de vingt représentations.

Nous avons eu tout récemment un exemple de la puissance de cette espèce d’esprit sur la foule.

M. Edouard Pailleron vient de faire jouer au Théâtre Français, avec un succès éclatant, une très amusante comédie : Le Monde où l’on s’ennuie. Cela est tout à fait charmant, tout à fait gai, agréable au possible ; mais... mais il y a trop d’esprit... courant, et pas assez d’autre chose.

On rit franchement ; je l’avoue. Pourquoi rit-on ? Parce que cette œuvre est pleine d’actualité. On a vu tout le temps des allusions, voulues ou non, à des gens connus. Le public est parti là-dessus, saisissant ou croyant saisir les moindres intentions ironiques, soulignant les nuances, éclatant d’enthousiasme à chaque trait. On se disait :

— Vous avez reconnu M. X ... ? Est-ce assez ça ?

— Et Mme B ... ? Est-elle ressemblante ?

Et on riait, on riait à se tordre.

Mais quand M. X... sera mort, quand Mme B... sera morte, l’autre public, le suivant, comprendra-t-il ? Reprenez un à un tous les mots de cette pièce : chacun semble une actualité de journal, une allusion à des choses d’hier et d’aujourd’hui. Il faut être initié pour comprendre et pour rire. Que restera-t-il de cette œuvre ? Attendons-la, dans trois ans seulement, sur la scène du même théâtre !

Lisez à côté de cela quelque chose de Marivaux, par exemple, de Marivaux, le précieux, le maniéré ; il vous amuse encore, il vous amusera toujours, parce qu’on sent couler en lui ce vif, alerte, exquis, éternel esprit français, qui est le sang même de notre littérature.

Donc, l’esprit est un de nos charmes, une de nos grandeurs, une de nos gloires, mais à force de l’aimer, nous lui donnons des proportions de vice, et nous finissons par mêler L’ESPRIT COURANT avec L’ESPRFT IMPÉRISSABLE des vrais maîtres, mettant l’un à la place de l’autre, confondant le cri drôle d’un gavroche avec le mot immortel d’un Voltaire. Nous grimaçons souvent en croyant rire. N’est-ce point un peu cela qui a fait dire à Schopenhauer :