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Cette nuit-là, précisément, le mari si souvent annoncé arrivait enfin. Il demande la chambre n°4 (celle que sa femme habitait la veille encore) ; on la lui désigne. Il aperçoit une paire de bottes ; frappe violemment à la porte ; le nouveau locataire se réveille, ouvre tout endormi, et reçoit une maîtresse paire de gifles, bientôt suivie d’une volée de coups de canne.

Grande rumeur ; tout l’hôtel se réveille ; on se précipite sur le forcené, qui s’obstinait à vouloir tuer l’inconnu rencontré dans la chambre de sa femme.

Bref, on s’explique ; le mari jaloux se confond en excuses un peu tardives, et le monsieur se recouche sans avoir bien compris le sens, le motif et la raison déterminante de la tripotée qu’il venait de recevoir.

Avant de raconter les anecdotes qui courent, terminons en peu de mots la galerie des célébrités. On rencontre chaque jour sur la terrasse MM. Lehmann, Paccini, Vizentini, Aaron, Nozal (un jeune peintre en train de devenir un grand peintre), Vrignault, Brizard (un homme aimable surnommé l’ami des artistes), et un autre homme, également aimable, M. Mathis, surnommé l’ami des... actrices.

Mlle Dica-Petit promenait la semaine dernière sa royale beauté sur les galets de la plage.

Enfin, pour la joie des spectateurs, un groupe d’anciens beaux, à la moustache teinte, piliers du skating et des Folies-Bergère, rôdent autour de vertus faciles, avec leurs figures grimaçantes de vieux polichinelles obscènes.

La jeunesse gaie est dignement représentée par une bande de joyeux garçons, presque tous artistes. Les peintres Georges Merle, l’archer, Lepoitevin et leur ami, fils de peintre aussi, Armand Ytasse, tirent de bruyants feux d’artifice et promènent à travers le pays des retraites aux flambeaux qui font apparaître aux fenêtres des têtes indigènes en bonnet de coton.

Passons maintenant aux anecdotes.

Un homme, illustre depuis peu, un de ceux qu’autrefois on qualifiait d’« Excellence », M. Constans, « puisqu’il faut l’appeler par son nom », a honoré le pays d’une courte visite. Or, voici ce qu’on raconte. Est-ce vrai ? Mme Constans (qui a laissé d’ailleurs les meilleurs souvenirs ici) s’en fut au Havre chercher son puissant époux. Il faisait fort chaud ce jour-là, et, lorsqu’ils firent dans Étretat leur entrée, que M. le ministre s’imaginait devoir être triomphale, beaucoup de messieurs, exténués par la chaleur, marchaient péniblement, leurs coiffures à la main.

« Des têtes nues ! s’écrie M. Constans ; c’est pour moi, cela. » Et il salue à droite, il salue à gauche, il s’incline, il sourit, se casse les reins, envoie des baisers avec les doigts à la population stupéfaite.

Le soir, il entre au Casino, attendant une ovation.

Rien ! – on a l’air de ne plus le connaître. Il se dit : « C’est une cabale ! » et cherche le Ribourt de l’endroit. Pas le moindre Ribourt visible. Il rentre furieux et se couche, après avoir télégraphié à M. Andrieux de lui envoyer ses meilleurs limiers. Vinrent-ils ? On l’ignore, bien entendu. Toujours est-il que notre dirigeant partit deux jours plus tard, et c’est alors seulement que les habitants du pays apprirent sa présence parmi eux.

Autre racontar. Toujours S.G.D.G.

Mme Constans a des bonnes – qui n’en a pas ? Mais, pénétrée de sentiments démocratiques, Mme Constans ne veut pas s’amuser toute seule pendant que ses bonnes lavent la vaisselle. Donc elle leur dit, un soir de spectacle au Casino : « Mes chères subordonnées, vous allez vous mettre sur votre trente-un, et je vous paye, oui je vous paye la représentation. »

On lâche l’argenterie à moitié faite, et on se frotte les mains au lieu d’essuyer les assiettes ; puis on part, comme un régiment, « colonel », c’est-à-dire « maîtresse » en tête. On entre, on s’installe. Mais un surveillant de la salle, voyant les demoiselles de l’antichambre porter des manteaux sur leurs bras, s’approche sournoisement, leur demande leur profession, et, l’ayant apprise, exhibe le règlement. Il est formel, ce règlement tyrannique, dernier débris des monarchies passées : « Les domestiques, sous aucun prétexte, ne peuvent entrer dans la salle. » – Et l’on expulse les pauvres filles comme de simples Jésuites.

Une nouvelle pour finir :

La vieille église d’Étretat, un bijou roman, possède un orgue essoufflé, languissant, dur de touches et quasi aphone.

La colonie artistique d’Étretat a décidé de le remplacer au moyen d’une souscription. Faure, le grand chanteur, s’est mis à la tête du mouvement et l’on annonce pour le dimanche 21 un concert spirituel dans l’église même.

Faure chantera, et aussi Mlle de Miramont, une artiste de beaucoup de mérite, et qui devrait bien se décider à entrer hardiment au théâtre.

Le fils d’Offenbach, Auguste Offenbach, un jeune virtuose qui pourrait bien devenir un maestro malgré père et mère, fera entendre les derniers soupirs de l’orgue ancien, au profit de l’orgue nouveau.

Les places coûtent 20 et 30 francs.

Il est déjà presque impossible de s’en procurer.

Sur quoi je signe

CHAUDRONS DU DIABLE

Souvenirs d’un an

(Le Gaulois, 23 août 1880)

Un après-midi chez Gustave Flaubert

C’est en 1879, au mois de juillet, un dimanche, vers une heure de l’après-midi, dans un appartement au cinquième étage, rue du Faubourg Saint-Honoré.

Sur la cheminée, un Bouddha doré, dans son immobilité divine et séculaire, regarde avec ses yeux longs. Rien sur les murs, sauf une très belle photographie d’une Vierge de Raphaël et un buste de femme en marbre blanc. A travers les rideaux de toile à ramages et à fleurs, le dur soleil d’un jour d’été envoie sur le tapis rouge une lumière tamisée et lourde. Un homme écrit sur une table ronde.

Dans un fauteuil de chêne à haut dossier, il est assis, enfoncé, la tête rentrée entre ses fortes épaules ; et une petite calotte en soie noire, pareille à celles des ecclésiastiques, couvrant le sommet du crâne, laisse échapper de longues mèches de cheveux gris, bouclés par le bout et répandus sur le dos. Une vaste robe de chambre en drap brun semble l’envelopper tout entier, et sa figure, que coupe une forte moustache blanche aux bouts tombants, est penchée sur le papier. Il le fixe, le parcourt sans cesse de sa pupille aiguë, toute petite, qui pique d’un point noir toujours mobile deux grands yeux bleus ombragés de cils longs et sombres.

Il travaille avec une obstination féroce, écrit, rature, recommence, surcharge les lignes, emplit les marges, trace des mots en travers, et sous la fatigue de son cerveau il geint comme un scieur de long.

Quelquefois, jetant dans un grand plat de cuivre oriental, rempli de plumes d’oie soigneusement taillées, la plume qu’il tient à la main, il prend sa feuille de papier, l’élève à la hauteur du regard, et, s’appuyant sur un coude, déclame d’une voix mordante et haute. Il écoute le rythme de sa prose, s’arrête comme pour saisir une sonorité fuyante, combine les tons, éloigne les assonances, dispose les virgules avec science, comme les haltes d’un long chemin : car les arrêts de sa pensée, correspondant aux membres de sa phrase, doivent être en même temps les repos nécessaires à la respiration. Mille préoccupations l’obsèdent. Il condense quatre pages en dix lignes ; et la joue enflée, le front rouge, tendant ses muscles comme un athlète qui lutte, il se bat désespérément contre l’idée, la saisit, l’étreint, la subjugue, et peu à peu, avec des efforts surhumains, il l’encage, comme une bête captive, dans une forme solide et précise. Jamais labeur plus formidable n’a été accompli par les hercules légendaires, et jamais œuvres plus impérissables n’ont été laissées par ces héroïques travailleurs, car elles s’appellent, ses œuvres à lui, Madame Bovary, Salammbô, L’Éducation sentimentale, La Tentation de saint Antoine, Trois Contes et Bouvard et Pécuchet, qu’on connaîtra dans quelques mois.