— Bien entendu, fit Farkas avec une pointe d’impatience.
— Bueno. Voici donc la nouvelle. La nouvelle qui demande confirmation. J’ai appris, de source tout à fait occasionnelle et, comme je l’ai dit, pour le moins douteuse, qu’un groupe de criminels établi en Sud-Californie s’apprêterait à déclencher sur notre satellite une insurrection contre le pouvoir en place.
— Californie du Sud, dit Farkas.
— Comment ?
— Californie du Sud. C’est ce que l’on doit dire.
— Ha !
— Une insurrection ?
— Ils ont l’intention d’envahir Valparaiso Nuevo et de renverser le Generalissimo. Puis ils comptent établir leur propre gouvernement et rassembler tous les fugitifs venus se réfugier ici. Ensuite, ils les vendront, pour des milliards de dollars Capbloc, aux diverses forces et agences de la Terre avides de mettre la main sur eux.
— Vraiment ? fit Farkas.
C’était une idée fascinante. Dingue, certes, mais fascinante.
— Quelqu’un a véritablement projeté de faire ça ?
— Je n’en sais rien. Mais ce n’est pas irréalisable et l’entreprise serait extrêmement lucrative si elle est menée comme il convient.
— Oui. Je n’en doute pas.
Valparaiso Nuevo était un véritable filon, une mine d’or avec ses fugitifs dont la tête était mise à prix. Mais Callaghan devait bien protéger son trésor et sa propre personne. Surtout sa propre personne. Ce n’est pas pour rien qu’il se faisait appeler le Défenseur. Pour le renverser, le seul moyen serait de faire sauter toute la station.
— Je vois pourquoi vous m’avez parlé d’un sujet délicat, fit Farkas. Mais pourquoi me raconter tout cela, Emilio ?
— D’une part, parce que, s’il existe une menace contre la vie du Generalissimo, il est de mon devoir de prendre des mesures préventives.
— J’entends bien, mais pourquoi me mettre dans le coup ? Croyez-vous que je puisse vous mener aux conspirateurs ?
— Peut-être.
— Bon Dieu, Emilio ! Je vous prenais pour quelqu’un d’intelligent !
— Assez intelligent, je pense.
— Si j’étais mêlé à cette affaire, vous imaginez-vous que je vous en dirais un seul mot ?
— Cela dépend, répondit Olmo. Il y a d’autres facteurs à prendre en considération. Je n’ai pas seulement à me préoccuper de la sécurité du Generalissimo, mais aussi de la mienne.
— Naturellement.
— Je vous suis utile, du moins à votre employeur. Votre employeur est Kyocera-Merck, Victor. Vous n’en faites pas un secret ; à quoi bon le cacher ? Moi aussi, je travaille pour K.M., bien sûr, mais pas aussi ouvertement. Pas du tout, en réalité.
— Exact.
— Le Generalissimo est à la tête de Valparaiso Nuevo depuis trente-sept ans, Victor. Il n’était déjà plus de la première jeunesse quand il a pris le pouvoir et, aujourd’hui, c’est un vieillard. Quand il partira, la Compagnie estime qu’il sera dans son intérêt que je succède au Generalissimo. Mais vous le saviez, n’est-ce pas ?
— Plus ou moins, répondit Farkas.
Il commençait à se lasser des circonlocutions du colonel. Fatigué par la bagarre qui avait eu lieu dans la coque, il n’aspirait qu’à regagner son hôtel.
— Voulez-vous en venir au fait, Emilio ?
— Je vous ai apporté une aide considérable pour réaliser ce que la Compagnie vous avait chargé de faire ici. À vous de m’aider maintenant. Ma requête est raisonnable, entre employés de K.M. Dites-moi la vérité : savez-vous quelque chose sur ceux qui œuvrent pour renverser le pouvoir établi ?
Farkas n’en crut pas ses oreilles ; jamais il n’aurait imaginé qu’Olmo pût être si bête.
— Absolument rien, répondit-il. C’est la première fois que j’entends parler de cette affaire.
— Vous me le jurez ?
— Ne soyez pas stupide, Emilio ! Je pourrais vous jurer tout ce que vous voulez, mais cela n’y changerait rien.
— Je vous fais confiance.
— Vraiment ? Oui, je suppose que vous êtes sincère. Vous ne devriez faire confiance à personne, mais tant pis, si cela peut vous faire du bien. La vérité vraie est que je ne sais absolument rien sur cette affaire. C’est la pure vérité, Dieu m’en soit témoin ! Par les archanges et les apôtres, c’est la première fois que j’en entends parler ! Et je soupçonne qu’il s’agit d’une rumeur dénuée de tout fondement.
— Je ne doute pas de votre franchise, fit Olmo. Mais je crains que cette conspiration ne soit bien réelle et que Kyocera-Merck ne soit derrière. Peut-être en utilisant ces Californiens comme des hommes de paille. Je crains aussi, quand don Eduardo sautera, de sauter avec lui. D’être devenu inutile à la Compagnie ; qu’elle ait décidé de se débarrasser de moi.
— Cela me paraît absurde. Autant que je sache, vous êtes toujours aussi important pour la Compagnie. Et le rôle que vous aurez joué pour faciliter le règlement de l’affaire Wu ne pourra que renforcer votre position à leurs yeux.
— Et le coup d’État ? Imaginons qu’il y ait du vrai dans les histoires que j’ai entendues sur ce groupe de Californiens. Supposons qu’ils existent et qu’ils fomentent réellement une conspiration. Êtes-vous persuadé qu’ils ne seraient aucunement liés à Kyocera-Merck ?
— Comment voulez-vous que je le sache ? Je ne suis pas japonais. Réfléchissez un peu, Emilio ! Je ne suis qu’un expéditeur de la Compagnie, Échelon Neuf. C’est assez haut dans la hiérarchie, mais bien loin des niveaux de décision. Les gars de New Kyoto ne me mettent pas au courant de leurs projets les plus secrets.
— Vous pensez donc que les conspirateurs ne sont qu’une bande de criminels indépendants de Sud-Californie, travaillant uniquement pour leur propre compte ? De Californie du Sud, pardon !
— Seigneur ! soupira Farkas, exaspéré, presque à bout de patience. Ne vous ai-je pas fait clairement comprendre que je ne sais rien d’autre sur ce projet idiot que ce que vous m’en avez dit ? Je n’ai pas la moindre preuve de la réalité d’une telle conspiration et, apparemment, vous ne savez pas grand-chose non plus. D’accord, d’accord… Si cela peut vous rassurer, Emilio, laissez-moi vous dire qu’à mon avis les conspirateurs, s’ils existent et quelle que soit leur identité, préféreront probablement, s’ils ont le moindre bons sens, collaborer avec vous plutôt que vous éliminer. Quand ils s’apprêteront, si cela doit se produire, à passer à l’action, l’attitude la plus intelligente pour eux consisterait à se mettre en rapport avec vous et vous engager pour les aider à renverser le Generalissimo. Vous aurez en outre, quoi qu’il advienne, le soutien de Kyocera-Merck, car la Compagnie, Dieu seul sait pourquoi, tient à attirer cette minable petite station orbitale dans sa sphère d’influence et vous a déjà choisi pour succéder au Generalissimo. Il est donc peu probable qu’elle reste les bras croisés et laisse une poignée de bandits californiens faire passer par la fenêtre l’homme de son choix. D’accord, Emilio ? Vous vous sentez mieux maintenant ?
Olmo garda le silence quelques instants.
— Merci, Victor, dit-il enfin. Si vous apprenez quelque chose sur cette affaire, vous m’en parlerez, n’est-ce pas ?
— Bien entendu.
— Bueno, fit le colonel, une fraction de seconde avant que Farkas ne le dise à sa place. Je vous fais confiance, mon ami. Autant que je puisse faire confiance à quelqu’un.
— C’est-à-dire pas du tout. Exact ?
Olmo se mit à rire de bon cœur. Il paraissait soudain plus à son aise, après l’accès d’irritation de Farkas.
— Je sais que vous ne ferez rien pour me nuire, sauf si vous vous trouvez obligé, dans votre propre intérêt, de vous retourner contre moi.