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— Cela me semble assez juste.

— Oui. Oui.

— Si vous apprenez quoi que ce soit sur cette conspiration, vous me le ferez savoir, c’est bien entendu ?

— Seigneur ! Je vous ai déjà dit que je le ferai. Dans les conditions que vous venez d’exposer. Êtes-vous enfin satisfait ?

— Oui.

— Dans ce cas, nous pouvons revenir à notre affaire. Vous êtes d’accord pour faire en sorte que Wu et Juanito soient promptement expédiés vers le satellite-labo de K.M., comme la Compagnie nous a chargés de le faire ? C’est oui ?

— Absolument.

— Bueno, fit Farkas.

Et ils éclatèrent tous deux de rire.

8

À 19 h 45 précises, Carpenter sortit de son hôtel pour attendre l’arrivée de Rhodes. La nuit était douce, humide, une brise légère soufflait de l’océan. On aurait presque pu croire que la pluie s’annonçait, à moins d’être au fait des prévisions météorologiques pour la côte Ouest ; dans ce cas, on savait que le second avènement du Messie était, ce soir-là, plus probable à San Francisco. Rhodes, comme à son habitude, était en retard et il flottait dans l’air humide une odeur âcre, désagréable, chimique, qui piquait les narines ; Carpenter commença à se sentir inquiet à l’idée de rester longtemps dehors sans masque, malgré tout ce que Nick lui avait dit dans l’après-midi sur l’innocuité relative de l’atmosphère de la baie. Il revint sur ses pas, regagna l’hôtel et se planta devant les hublots du hall. Quand Rhodes arriva enfin, il était à peu près 20 h 10.

Il était au volant d’une grosse automobile au capot renflé, un modèle ancien, qui semblait bourrée à craquer. Carpenter monta à l’arrière, à côté d’une plantureuse créature de type latin, dotée d’une énorme masse de cheveux noirs et souples, qui lui adressa un sourire éclatant, d’une éblouissante blancheur. Le brillant de son œil au globe saillant indiqua immédiatement à Carpenter qu’elle faisait une grosse consommation d’hyperdex. Elle semblait sur le point de se présenter quand, sans lui laisser le temps d’ouvrir la bouche, un homme trapu, au teint basané, assis à l’autre bout du siège, tendit la main devant elle et étreignit celle de Carpenter avec une violence surprenante.

— Mon nom est Meshoram Enron, déclara-t-il d’une grosse voix, grave et puissante, teintée d’un accent européen à l’origine incertaine. Je suis israélien.

Comme si cela pouvait m’échapper, songea Carpenter.

— Paul Carpenter, fit-il. Un ami du docteur Rhodes. Un ami d’enfance, pour être précis.

— Très bien. Je suis absolument ravi de faire connaissance, docteur Carpenter. Je travaille pour Cosmos, j’écris des articles scientifiques et technologiques. Vous connaissez cette revue ? L’une des plus vendues au monde. Je suis basé à Tel-Aviv. Je suis arrivé d’Israël avant-hier, exprès pour m’entretenir avec votre ami.

Carpenter hocha la tête, se demandant combien de phrases Enron commençait par autre chose que le pronom personnel de la première personne du singulier. Une sur trois ? Une sur cinq ?

— Moi, c’est Jolanda, glissa sa plantureuse voisine à la brune crinière, au sourire éclatant et aux yeux globuleux, profitant de ce qu’Enron reprenait son souffle.

Elle avait une voix travaillée, riche et vibrante, s’appuyant sur le diaphragme. Elle semblait émettre en parlant un nuage odorant de phérormones ; Carpenter sentit une réaction immédiate dans son bas-ventre. Mais il avait trop d’expérience pour échafauder là-dessus de réjouissantes Hypothèses. Selon toute probabilité, elle se comportait ainsi avec tout le monde : une grande intensité apparente, pas grand-chose derrière.

— Paul, fit Rhodes sans se retourner, je te présente Isabelle.

La femme assise à l’avant, à côté de Nick, pivota pour esquisser un sourire de politesse, un mouvement fugace, sans chaleur. Carpenter se prit immédiatement pour elle d’une antipathie instinctive. Pendant l’instant où elle se montra avant de se retourner, il vit qu’elle était très séduisante, mais d’une manière étrangement discordante, avec trop de force dans les yeux et trop peu dans le reste du visage, et une couronne de cheveux en bataille, écarlates et crêpelés, témoignant d’un souverain mépris pour les conventions de la beauté ordinaire. Elle doit être insupportable, se dit Carpenter, sans que rien ne vienne étayer ce jugement, un mélange instable de tendresse et de férocité.

Il secoua la tête. Pauvre Nick, il n’a jamais eu de chance avec les femmes.

— Je vous emmène à Sausalito, annonça Rhodes. Un bon restaurant avec une vue merveilleuse. Nous y allons souvent, Isabelle et moi.

— C’est notre endroit à nous, ajouta-t-elle.

Elle avait parlé d’un ton un peu grinçant. Carpenter crut percevoir une pointe de sarcasme dans ses paroles, mais il n’en était pas sûr.

De fait, c’est un lieu agréable et romantique qu’ils découvrirent une heure plus tard, en arrivant enfin au restaurant, de l’autre côté du pont du Golden Gate, après un trajet éprouvant à travers le cœur de la cité. Carpenter avait oublié à quel point Rhodes était un conducteur exécrable ; il ne tenait aucun compte du cerveau de la voiture, imposait son jugement farfelu à chaque échangeur et laissait dans son sillage un chapelet d’automobilistes stupéfaits, actionnant frénétiquement leur klaxon. Carpenter avait de la peine à imaginer comment on pouvait s’égarer entre Frisco et Sausalito, un itinéraire en ligne droite des deux côtés du pont, mais Rhodes réussit à le faire à plusieurs reprises. Le plan en couleurs qui s’affichait sur le tableau de bord préconisait quelque chose, Rhodes s’obstinait à ne pas suivre ses recommandations. Le cerveau de la voiture n’aimait pas cela et des voyants s’allumaient sur le tableau de bord. Rhodes n’en tenait aucun compte. Petite affirmation de son pouvoir.

Rhodes était astucieux, certes, et il vivait depuis assez longtemps à Berkeley pour être persuadé de savoir s’orienter dans San Francisco, mais la voiture, malgré son âge, était encore plus astucieuse dans son domaine particulier et sa mémoire contenait un plan extrêmement détaillé de la cité. Elle guidait Rhodes, l’aidait patiemment à sortir des faubourgs ouest par lesquels il semblait irrésistiblement attiré et le ramenait vers le pont. Tout le monde surmonta l’épreuve, même le cerveau de la voiture, pourtant surmené et sans doute proche de la limite de rupture. Le restaurant, douillettement niché à flanc de colline, dominant le front de mer de Sausalito, leur fit l’accueil chaleureux réservé aux habitués.

La vue était réellement extraordinaire : toute la partie septentrionale de San Francisco ceignant la baie de sa multitude de lumières éclatantes et la splendeur du pont illuminé.

L’apéritif fut servi presque instantanément. Carpenter découvrit que Rhodes était très doué pour cela.

— Il est bien entendu, déclara Enron, que c’est la revue qui régale ce soir, le dîner, tout. Ne vous privez surtout de rien.

En sa qualité d’invité et d’étranger, on lui avait donné une place face à la fenêtre panoramique.

— Décidément, poursuivit-il, San Francisco est une ville magnifique qui me rappelle beaucoup Haïfa, avec ses collines, ses bâtiments blancs, sa végétation. Mais l’air n’est pas aussi sec et il n’y a pas tant de poussière à Haïfa. Loin de là. Êtes-vous déjà allé en Israël, docteur Carpenter ?

— Pas docteur, juste monsieur… Non, je n’y suis jamais allé.

— C’est si beau, vous aimeriez. Des fleurs partout, des arbres, des plantes de toutes sortes. Et c’est la totalité du pays qui est magnifique, comme un grand jardin. C’est le paradis. Chaque fois que je dois partir, je ne puis retenir mes larmes.