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Paolo et l’Échelon Vingt le guidèrent dans une enfilade de portes verrouillées et de couloirs voûtés jusqu’à ce qu’ils débouchent dans une sorte de vestibule gardé par un androïde qui demanda à Farkas une goutte de sang afin de comparer l’empreinte de son sérum avec celle du fichier de la Compagnie, apparemment pour s’assurer qu’il était bien celui qu’il prétendait être et non un imposteur qui se serait fait enlever les yeux pour pouvoir entrer là où il n’avait rien à faire. L’androïde se contrefichait de l’invraisemblance de la chose et que Farkas fût un Échelon Neuf, avec tout le prestige attaché à ce grade. Il avait ses ordres.

— Votre doigt, monsieur, je vous prie.

Soit, se dit Farkas en tendant obligeamment son index. Il avait l’habitude de donner des gouttes de sang à cette fin d’identification. Le mode habituel de vérification de l’identité de la Compagnie était l’examen par scanner de l’empreinte rétinienne, mais il était difficile de l’utiliser dans son cas.

L’androïde préleva sa goutte avec brusquerie et efficacité, puis la plaça sous un scanner.

— Identité confirmée, annonça l’androïde après quelques instants. Vous pouvez entrer, Expéditeur Farkas.

Wu était retenu dans un local à l’aspect un peu plus luxueux qu’une cellule et un peu moins confortable qu’une chambre d’hôtel. Quand Farkas entra dans la pièce, Wu ne bougea pas et demeura assis au bureau placé contre le mur du fond.

Farkas se retourna vers l’Échelon Vingt qui se tenait juste derrière lui, le technicien Paolo à ses côtés.

— J’aimerais m’entretenir en privé avec le docteur Wu.

— Désolée, Expéditeur Farkas. Vous n’êtes pas autorisé à avoir un entretien particulier.

— Vraiment ?

— Nous avons pour consigne d’être présents pendant l’entretien. Je regrette, Expéditeur Farkas.

— Je n’ai pas l’intention de l’assassiner, vous savez.

— Si vous le souhaitez, nous pouvons faire une demande officielle pour obtenir une modification exceptionnelle de nos instructions, mais cela risque de prendre…

— Ce n’est pas la peine, fit Farkas.

Aucune importance. Ils peuvent bien écouter…

— Ravi de vous revoir, docteur, ajouta-t-il, se tournant vers Wu.

— Que voulez-vous de moi ? demanda Wu, qui n’avait pas l’air particulièrement enchanté.

— Ce n’est qu’une visite. Une visite de politesse. J’ai demandé l’autorisation d’avoir une petite conversation avec vous.

— Je vous en prie ! Je suis employé par Kyocera-Merck maintenant et j’ai le droit de ne pas être dérangé pendant mes heures de repos.

Farkas s’installa sur une sorte de canapé bas, près du bureau.

— Je crains qu’il ne vous soit pas loisible de refuser, docteur, répliqua-t-il d’une voix douce. J’ai demandé cet entretien et on a accédé à ma requête. Mais je tiens à ce que ce soit une visite amicale.

— Amicale ?

— Absolument. Et je suis sincère. Nous ne sommes pas ennemis ; comme vous l’avez dit, nous sommes tous deux employés par Kyocera-Merck.

— Que voulez-vous de moi ? demanda de nouveau Wu.

— Je vous le répète, c’est une visite de politesse. Oublions le passé. Comprenez-vous ce que je dis ?

Wu garda le silence.

— Alors, reprit Farkas, comment trouvez-vous votre nouveau logement ? Tout est à votre convenance ? Que pensez-vous du laboratoire que l’on vous aménage ?

— Le logement est tel que vous le voyez. J’ai vécu dans des conditions moins confortables, mais aussi dans de bien meilleures. Quant au laboratoire, il est fort bien équipé. Une grande partie du matériel m’est absolument inconnu.

Wu parlait d’une voix monocorde, morne, éteinte, comme si cela lui eût coûté de moduler aussi peu que ce fût.

— Vous apprendrez à vous en servir, dit Farkas.

— Peut-être. Peut-être pas. Mes connaissances dans ce domaine de recherches sont périmées depuis des années, des décennies même. Rien ne garantit que je sois à la hauteur de ce que la Compagnie attend de moi.

— Peu importe, riposta Farkas. Vous êtes là et vous y serez dorloté jusqu’à ce que vous ayez accompli quelque chose de marquant ou que la Compagnie ne décide que vous ne lui êtes d’aucune utilité. J’ai l’intuition qu’en vous familiarisant avec ce nouveau matériel vous serez enthousiasmé par les progrès accomplis dans votre spécialité depuis votre départ et qu’il ne vous faudra pas longtemps pour réapprendre ce que vous avez oublié et assimiler les nouvelles découvertes. Après tout, docteur, que risquez-vous ? Vos travaux seront effectués dans la plus stricte légalité.

— Mes travaux ont toujours été effectués dans la plus stricte légalité, répliqua Wu du même ton morne et mécanique.

— Ah ! nous y voilà ! C’est de cela que je voulais vous parler.

Wu garda le silence.

— Vous est-il jamais venu à l’esprit, poursuivit Farkas, que vos sujets d’expérience, dans votre laboratoire de Tachkent, ne tenaient pas véritablement à ce que leur matériel génétique soit modifié ?

— Rien ne m’oblige à parler de ça. Vous avez dit vous même que le passé était oublié.

— Rien ne vous y oblige, c’est vrai, mais j’aimerais que vous le fassiez. Je n’ai aucun désir de vengeance, mais j’éprouve une certaine curiosité. Une très forte curiosité, je l’avoue, de certaines choses que vous pourriez m’apprendre sur vous-même.

— Pourquoi devrais-je vous répondre ?

— Parce que vous m’avez fait quelque chose de monstrueux, répondit Farkas d’une voix toujours calme, mais qui, pour la première fois, se faisait plus sèche, cinglante comme un coup de fouet. Cela me donne le droit, pour le moins, d’entendre des réponses de votre bouche. Dites-moi quelque chose, par simple compassion humaine. Vous êtes humain, docteur Wu, je ne me trompe pas ? Vous n’êtes pas seulement une sorte de créature sans âme, une manière d’androïde doué d’intelligence ?

— Vous me tuerez, n’est-ce pas, quand mon travail sur ce satellite sera terminé ?

— Vous croyez ? Je n’en sais rien. Je ne vois pas ce que cela pourrait m’apporter et ce serait une attitude bien mesquine. Mais, bien sûr, si jamais vous souhaitez que je vous tue…

— Non. Non.

— Vous savez, poursuivit Farkas en souriant, si j’avais vraiment voulu vous tuer, docteur, je l’aurais fait à Valparaiso Nuevo. Je ne suis pas inféodé à Kyocera-Merck au point de faire passer aveuglément les intérêts de la Compagnie avant les miens. Il est donc évident que je n’ai vu aucune raison de vous tuer quand j’en ai eu l’occasion. Je me suis contenté de remplir la mission pour laquelle on m’avait envoyé à Valparaiso Nuevo, à savoir vous amener à Cornucopia afin que vous puissiez mener à bien, pour le compte de la Compagnie, certaines recherches pour lesquelles vous aviez des compétences hors du commun.

— Bon, vous avez fait votre boulot. C’est très important, pour vous, de bien faire votre boulot. Mais, quand la Compagnie n’aura plus besoin de moi, vous me tuerez. Je le sais, Farkas. Pourquoi devrais-je parler avec vous ?

— Pour me donner des raisons de ne pas vous tuer quand la Compagnie n’aura plus besoin de vos services.

— Comment pourrais-je faire cela ?

— Eh bien, répondit Farkas, nous pouvons toujours essayer. Si je parvenais à comprendre un peu mieux votre point de vue, je serais un peu plus porté à la clémence. Par exemple, pendant vos expériences sur les fœtus, à Tachkent, que ressentiez-vous exactement au fond de vous-même, dans votre cœur, à propos de la nature de vos travaux ?