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Enron l’observa attentivement. Elle était déjà passablement excitée : la chaleur du soir, le vin, la réaction sans doute apparente suscitée par La Tour du cœur, tout avait contribué à éveiller le désir de Jolanda. Il se pencha vers elle et posa la main sur la sienne.

— Maintenant que j’ai reconnu être un espion, fit-il d’une voix insinuante, sur le ton de la confidence, tu ne m’en voudras pas de me livrer à mes louches activités. D’accord ? Bon.

Elle sembla prendre cela pour un jeu. Très bien ; il était content de l’amuser.

— Réponds-moi, veux-tu ? reprit-il. Que penses-tu de Rhodes, sincèrement ? Est-il sur la bonne voie ? Vont-ils réussir à produire dans son labo un être humain d’un genre nouveau ?

— Mais tu ne plaisantais pas ! Tu es vraiment un espion !

— Je ne l’ai jamais nié, que je sache. Allez, réponds-moi.

Enron lui caressa le bras. Sa peau était d’une étonnante douceur, la plus douce qu’il eût jamais touchée. Il se demanda si elle avait fait recouvrir son corps d’un de ces produits synthétiques, comme le faisaient certaines femmes.

— Que peux-tu me dire sur lui ? Que sais-tu de ses travaux ?

— Rien, répondit-elle. Je te jure que c’est la vérité, Marty.

Il lui avait demandé de l’appeler « Marty », car « Meshoram » avait pour elle des consonances trop étrangères. Elle se mit à pouffer. L’idée de devenir une source de renseignements ne lui déplaisait peut-être pas.

— Je te dirais ce que je sais si je savais quelque chose, mais ce n’est pas le cas. C’est à Isabelle que tu aurais dû faire du plat, si c’est tout ce que tu cherchais. De temps en temps, Nick lui parle un peu de son travail, mais elle ne me raconte rien, du moins rien qui puisse t’être utile. Ce que je sais est très fragmentaire.

— Par exemple ? demanda-t-il en suivant du plat de la main la courbe de sa poitrine, ce qui la fit frémir et se trémousser légèrement. Vas-y, insista-t-il. Dis-moi ce que tu sais.

Elle ferma les yeux un instant, comme pour réfléchir.

— Eh bien, je sais qu’il y a un jeune chercheur du labo qui est sur la voie d’une découverte capitale, quelque chose qui permettra de modifier notre sang qui, de rouge, deviendra vert. Et cela entraînera d’autres changements, mais je ne sais pas lesquels. Je t’assure que je ne sais pas… Tiens, reprends un peu de vin. Il est bon, non ? Du sang vert ! Je suppose que c’est mieux que d’être obligé de boire du vin vert.

Enron fit semblant d’avaler une gorgée. Du sang vert… Une sorte d’adaptation de l’hémoglobine ? Mais il comprit qu’elle lui disait la vérité : elle ne savait rien d’autre. Il était probablement inutile d’essayer d’obtenir des détails.

— Connais-tu le nom de ce chercheur ? demanda-t-il par acquit de conscience. Le jeune ?

— Moi, non, mais Isabelle le connaît peut-être. Tu devrais lui parler.

— C’est une femme au caractère très difficile. Je ne suis pas sûr qu’elle se montrerait coopérative.

— Oui, fit Jolanda, les yeux baissés sur son verre, tu as certainement raison. Après tout, si Israël souhaite mettre au point sa propre technologie de l’adaptation et si tu es venu déterminer l’état des recherches de Samurai dans ce domaine, Isabelle soutiendrait en t’aidant la cause de cette technologie. Et tu connais sa position là-dessus.

— Oui.

— Qui, d’ailleurs, est aussi la mienne. Je trouve cela absolument terrifiant. Franchement, cela me fait froid dans le dos.

Ils avaient déjà parlé de ça. Enron s’arma de patience.

— Mais, si c’est indispensable, si c’est le seul moyen qui nous reste pour préserver notre espèce sur la Terre…

— Est-il si important que l’espèce humaine reste sur la Terre, si la planète est complètement bousillée ? Nous pourrions tous émigrer vers les stations orbitales.

Il lui versa du vin. Le soleil s’était couché et le ciel virait rapidement au noir. Au fond de la baie, les lumières de San Francisco commençaient à apparaître, brillant par intermittence dans la brume épaisse. La main d’Enron parcourut négligemment le corps plantureux de Jolanda : les seins, le ventre, un arrêt sur le genou avant de remonter le long de la cuisse. Ces préliminaires semblaient avoir pour effet de lui délier la langue. Il continua de la caresser. La tête rejetée en arrière, elle avait fermé les yeux. L’un des chats bondit à côté d’Enron et commença de se frotter la tête contre son bras. Il écarta prestement l’animal d’un petit coup de coude.

— Nous aimons notre patrie, reprit-il d’une voix douce. Nous avons lutté pendant des siècles pour en prendre possession. Nous n’accepterons jamais de l’abandonner maintenant, même pour un Nouvel Israël dans les étoiles.

— Les Japonais ont bien quitté leur pays. Les riches, en tout cas. Ils sont aujourd’hui dispersés aux quatre coins de la planète. L’amour de la patrie était aussi fort chez eux qu’il l’est chez vous, mais ils sont partis. S’ils l’ont fait, pourquoi ne pourriez-vous en faire autant ?

— Ils sont partis, c’est vrai, mais parce que leurs îles étaient englouties par la montée des eaux. Parce qu’ils ont perdu toutes leurs terres fertiles et la majorité de leurs villes, et qu’il ne restait plus que des sommets incultes. Sinon, ils ne seraient jamais partis ; ils continueraient de s’accrocher à chaque pierre. Mais ils n’ont pas eu le choix. Pas plus que nous, il y a bien longtemps, deux ou trois mille ans, quand nos ennemis nous ont forcés à quitter Israël pour un long exil. Mais, un beau jour, nous sommes revenus. Nous nous sommes donné du mal, nous avons souffert, construit, combattu. Et aujourd’hui, nous vivons au jardin d’Éden. La pluie bienfaisante nous arrose, le désert s’est mué en plaines verdoyantes. Nous ne repartirons pas.

— Mais à quoi bon rester, si tout doit changer radicalement ? demanda Jolanda d’une voix ténue aux intonations étranges, comme si elle venait de très loin. Si nous nous transformons en bizarres créatures mutantes, pourra-t-on encore parler d’humanité ? Seras-tu encore un juif, si tu as le sang vert et des branchies ?

— Je pense que rien n’est dit dans la Bible, répondit Enron en souriant, sur la couleur que doit avoir notre sang. Il y est simplement écrit que nous devons observer la loi et mener une vie honorable.

Jolanda réfléchit un petit moment.

— Le métier d’espion est-il honorable ? demanda-t-elle enfin.

— Bien sûr. C’est une tradition très ancienne. Quand Josué s’apprêta à nous faire traverser le Jourdain, il envoya deux espions sur l’autre rive. Ils revinrent annoncer à Josué que nous pouvions traverser le fleuve sans risque, que les habitants de ce pays étaient pétrifiés de terreur, car ils avaient compris que le Seigneur avait donné leur terre aux Israélites. La Bible ne mentionne pas le nom de ces deux espions, mais ils furent les premiers agents secrets.

— Je vois.

— Aujourd’hui encore, poursuivit Enron, nous envoyons les nôtres à la recherche des dangers. Il n’y a rien de déshonorant à cela.

— Ceux de ton peuple voient des ennemis partout, n’est-ce pas ?

— Nous voyons des dangers.

— S’il y a des dangers, il doit y avoir des ennemis. Mais le temps des guerres entre les nations est révolu. Il n’y a plus d’ennemis. Nous sommes tous alliés aujourd’hui dans un même combat pour sauver la planète. Se pourrait-il que ces ennemis qui vous tracassent tant n’existent que dans votre imagination ?