— Tu imagines ? Faire jurer le secret à un espion ! Mais tu seras parti dans quelques jours et tout cela n’a aucun intérêt pour toi. Cela ne concerne en aucune manière Israël.
— Dans ce cas, tu peux tout me raconter.
— Bon, très bien, fit-elle avec son air de fillette malicieuse. Je vais tout te dire. Mais tu ne dois en parler à personne. D’accord ?
J’ai un secret que je vais partager avec toi, mais rien que toi, parce que tu es mon ami et que je te trouve très mignon.
— Je le jure, dit-il.
— Tu ne t’es pas trompé en disant que Valparaiso Nuevo est un sanctuaire, peuplé de criminels de tout poil qui paient les autorités locales pour les protéger contre les différents organismes chargés de faire respecter les lois. Le gouvernement est dirigé par un vieux dictateur latino-américain, à moitié cinglé, qui se maintient au pouvoir depuis l’An Un.
— Je ne vois toujours pas où tu veux en venir. En quoi cela te concerne-t-il ?
— J’ai un ami à Los Angeles, expliqua Jolanda, qui fait partie… disons d’une sorte de guérilla. Un groupe qui projette de s’infiltrer dans la station orbitale et d’en prendre le contrôle. Quand ils auront réussi, ils rassembleront tous les fugitifs pour les livrer et toucher les récompenses. Il y a une fortune colossale à gagner. Et, après, ils vivront comme des princes : de l’eau et de l’air purs, une nouvelle vie.
Ses yeux, étrangement fixes, brillaient d’un éclat encore plus vif que son regard habituel de camée. Elle semblait regarder derrière lui, ou à travers, vers quelque royaume lumineux de fantasmes assouvis.
— Mon ami m’a demandé si je voulais me joindre à eux, reprit-elle. Nous serions milliardaires, nous aurions notre propre petite planète. Il paraît que c’est très beau, là-haut, ces satellites L-5.
Enron s’était dégrisé d’un coup.
— Et quand tout cela doit-il arriver ? demanda-t-il.
— Très prochainement. Je crois qu’ils ont parlé de…
Jolanda s’interrompit et porta la main à sa bouche.
— Seigneur ! souffla-t-elle. Qu’est-ce que j’ai fait là ? Jamais je n’aurais dû te parler de ça !
— Si, Jolanda, c’est très intéressant.
— Écoute, Marty, ce n’est pas vrai ! Il n’y a rien de vrai, pas un mot ! C’est juste une histoire, une idée de scénario sur laquelle ils travaillaient, il n’y a rien de réel ! Il ne faut pas prendre ça au sérieux ! Ce n’est pas vrai !
Elle le regardait d’un air horrifié.
— Tu n’aurais pas dû me laisser boire tant de vin, reprit-elle d’une voix grave et morne. Je te demande d’oublier tout ce que je viens de dire sur Valparaiso Nuevo. Tout. Je pourrais avoir de très graves ennuis, si… si…
Elle fondit en larmes, tout le corps secoué de longs sanglots. La main encore prise dans l’étau des jambes parcourues de mouvements convulsifs, Enron se mit à craindre pour son poignet.
— Calme-toi, Jolanda. Tu n’as aucune inquiétude à avoir. Je ne dirai pas un mot à quiconque.
Une lueur d’espoir brilla dans les yeux de Jolanda, mais l’expression terrifiée ne s’effaça pas de son visage.
— Tu me le jures ? Ils me tueraient, tu sais !
— Un bon espion doit protéger ses sources, mon chou. Et je suis un très bon espion.
Elle continua pourtant de trembler.
— Mais il faut que tu fasses quelque chose pour moi, poursuivit Enron. Je veux rencontrer ton ami de Los Angeles. Je veux parler avec lui, avec ceux de son groupe. Je veux travailler avec eux.
— Tu es sérieux ?
— Je suis toujours sérieux, Jolanda.
— Mais ce que je viens de te raconter n’a rien à voir avec ton…
— Bien sûr que si. Je suis persuadé qu’il y a à Valparaiso Nuevo des gens qui intéressent énormément l’État d’Israël. S’il est vraiment possible de mettre la main sur eux en payant, nous aimerions entrer en contact avec les vendeurs dès le début de l’opération. Nous serions d’autre part probablement en mesure de fournir à tes amis un soutien de nature très matérielle pour la réalisation de leur entreprise. Comment s’appelle ton ami, celui qui est à Los Angeles ?
Jolanda hésita un instant avant de répondre.
— Davidov. Mike Davidov.
— Juif ? demanda Enron dont le pouls s’accélérait.
— Je ne pense pas. Je crois que c’est un nom russe. Il ressemble un peu à un Russe.
Enron dégagea sa main des cuisses de Jolanda et commença à lui caresser la poitrine.
— Emmène-moi avec toi à Los Angeles, implora-t-il d’un ton charmeur. Présente-moi à ton ami Mike Davidov.
— Je ne sais pas, Marty… Je ne crois pas que ce soit…
— Demain matin, par la navette de 9 heures.
Le ton n’était plus charmeur, mais impérieux.
— C’est inutile, fit-elle. Il est déjà parti à Valparaiso Nuevo. Ceux qui ont un rôle important sont déjà sur place pour reconnaître le terrain.
— Ha ! fit Enron. Je vois.
Il garda le silence un moment, plongé dans ses réflexions.
Jolanda sauta sur l’occasion qu’il lui offrait.
— Tu sais ce que je voudrais maintenant ? Je voudrais cesser de parler de tout ça, d’accord ? Je suis un peu soûle… plus qu’un peu. J’ai trop parlé et je n’en ai plus envie.
— Mais si tu pouvais seulement…
— Non, Marty, c’est trop dangereux. Tout ce que tu veux, c’est profiter de ce que je te raconte. J’aimerais que tu profites de moi d’une autre manière.
— Profiter de toi ?
— Tu veux que je te fasse un dessin ? Attends, je vais te mettre sur la voie.
Elle le prit par les épaules et le fit rouler par terre avec elle, bras et jambes emmêlés. Ils éclatèrent de rire, mais il s’enfonça rapidement au plus intime de ce corps luxuriant. Un mélange entêtant d’odeurs émanait d’elle, vin, désir et sueur mêlés : Enron crut même reconnaître les effluves de l’Écran qu’elle utilisait pour protéger sa peau merveilleusement satinée. C’est bon, songea-t-il en s’abandonnant. Ils avaient assez parlé. Il s’était retenu pendant des heures, jouant patiemment à l’espion, mais il était temps d’oublier un moment l’exercice de sa profession.
— Oh ! Marty ! commença-t-elle à répéter d’une voix gémissante.
Il prit gloutonnement dans sa bouche les globes des seins lourds comme des melons et plongea avec le zèle d’un prophète brandissant sa lance dans les profondeurs mystérieuses, apparemment insondables, de son sexe frémissant.
— Marty ! Marty ! Marty !
La taille cambrée, elle gardait les jambes très écartées, les pieds battant l’air derrière lui, et faisait claquer ses cuisses sur les flancs de Marty à chacun de ses coups de reins. Baiser Jolanda, c’est comme explorer un continent inconnu, se dit-il. Vaste, moite, étrange, regorgeant de merveilles et de nouveautés. Il en allait toujours ainsi, pour lui, à chaque nouvelle femme. Tels Balboa le juif, Mungo Park, un autre juif, Orellana ou Pizarro progressant inlassablement dans une succession de jungles touffues, inexplorées, dans leur quête éternelle des trésors inconnaissables enfouis au cœur brûlant et palpitant de la forêt. Mais il se trouvait là devant l’une des plus grandes énigmes. C’était le mystérieux royaume de l’Eldorado, la fabuleuse contrée perdue.
Quand tout fut terminé, ils restèrent allongés côte à côte, le corps nu luisant de sueur dans la chaleur de la nuit, riant doucement.
— Il est trop tard pour trouver un endroit où dîner, dit-elle. Je vais préparer quelque chose ici. Ça te convient ?
— Comme tu voudras.
— Et puis, si tu veux, tu pourras jeter un coup d’œil à la troisième sculpture, Agamemnon. Tu aimerais ?