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Appelle un ami. Un autre que Nick Rhodes.

Il pensa d’abord à Jolanda. La gentille, pulpeuse et opulente Jolanda qui ne le jugerait pas. Appelle-la, emmène-la dîner, raccompagne-la chez elle, quelque part à Berkeley, et baise-la comme un malade, le reste de la nuit. L’idée lui plaisait, mais il lui revint à l’esprit que Jolanda était partie faire la tournée des L-5 avec son Israélien.

Appelle quelqu’un d’autre.

Pas nécessairement à Frisco ou autour de la baie. Quelqu’un qui vit loin d’ici. Oui, se dit-il, va-t’en. Va-t’en loin. Prends tes jambes à ton cou. Offre-toi une petite balade.

Va voir Jeanne, par exemple. Oui, la douce Jeanne Gabel, qui vit à Paris ; la bonne copine, toujours pleine de compréhension.

C’est elle qui l’avait fait nommer capitaine au long cours. Elle ne devrait pas trop lui reprocher le gâchis dont il s’était rendu coupable. Et pourquoi ne pas profiter des trente jours où il bénéficierait encore de ses privilèges d’Échelon Onze pour prendre un billet d’avion pour Paris aux frais de la princesse et s’offrir quelques bons dîners dans les petits restaurants des bords de Seine ?

Carpenter composa le numéro de l’international de Samurai et demanda Paris, le service du personnel. Un rapide calcul lui indiqua qu’il devait être minuit passé en France, mais ce n’était pas grave. Il était dans une mauvaise passe ; Jeanne comprendrait.

L’ennui était que Jeanne Gabel ne travaillait plus au bureau de Paris. Selon la bonne vieille coutume de Samurai Industries, elle avait été mutée à Chicago.

Carpenter demanda au réseau téléphonique de suivre sa trace. Il ne fallut que quelques instants pour la retrouver.

— Gabel, annonça une voix de femme dès que la communication fut établie.

Il vit apparaître sur le viseur le visage enjoué et ouvert, aux mâchoires carrées, aux yeux noirs empreints de franchise.

— Ça, alors ! Le marin est de retour !

— Jeannie, j’ai des ennuis. Je peux passer te voir ?

— Quoi ?… Comment…

Mais elle revint rapidement de sa surprise.

— Bien sûr, Paul.

— Je saute dans le premier avion pour Chicago, d’accord ?

— Bien sûr. Tu peux venir tout de suite. Ce qu’il y a de mieux pour toi.

Mais la carte de crédit de la Compagnie ne permettait plus à Carpenter, semblait-il, de prendre un billet d’avion. Après deux ou trois tentatives, il renonça et essaya de louer une voiture. À l’évidence, ce service n’avait pas encore été supprimé, car il obtint une réservation du premier coup. Ce ne serait certainement pas très drôle de gagner Chicago par la route, mais, s’il roulait bien, il devait pouvoir faire le trajet en deux jours, trois au plus. Il rappela Jeanne pour lui dire de l’attendre en milieu de semaine. En le quittant, elle lui envoya un baiser.

La voiture arriva au Dunsmuir quarante minutes plus tard. Carpenter attendait devant l’hôtel, sa valise à côté de lui.

— Nous partons vers l’est, dit-il à la voiture. Prenez la direction de Walnut Creek et continuez.

Il mit le véhicule sur conduite automatique, s’enfonça dans son siège et ferma les yeux tandis que la voiture prenait la route des collines. De toute façon, il n’y avait rien à voir, rien d’autre que le noir rideau de pluie ininterrompu.

21

Seul dans sa chambre d’hôtel, après le dîner avec Meshoram Enron et Jolanda Bermudez, Farkas marcha de long en large pendant dix ou quinze minutes, assemblant dans sa tête les pièces du puzzle et les séparant pour les ordonner différemment. Puis il appela Emilio Olmo sur sa ligne brouillée.

— J’ai commencé à humer l’air, déclara-t-il au chef de la Guardia Civil. J’ai flairé de-ci, de-là comme un parfum de conspiration.

— Ah oui ? Moi aussi.

— Vraiment.

— À vous de commencer, Victor. Qu’avez-vous appris ?

— Sur le groupe de Californiens à propos desquels courent certains bruits ? Ils existent. Disons, plus précisément, que j’ai eu vent de leur existence par une nouvelle source.

— Une source digne de foi ?

— Relativement. L’ami d’une amie. Quelqu’un qui est fort bien renseigné en matière de circulation de l’information.

— Ah ! fit Olmo. Ainsi donc la rumeur se propage. Voilà qui est intéressant. Que pouvez-vous m’apprendre d’autre, Victor ?

— Rien, pour ainsi dire.

Farkas ne voyait pas, dans l’immédiat, la nécessité de fournir à Olmo des détails sur la participation d’Israël à la conspiration contre le Generalissimo. Cela eût été prématuré ; il était évident qu’Enron avait des propositions précises à lui faire et Farkas voulait savoir de quoi il s’agissait avant de mettre Olmo au courant. S’il devait un jour le mettre au courant. Il avait toujours la possibilité de laisser le chef de la Guardia Civil sur la touche, si l’association avec Israël se révélait réellement prometteuse. Il avait peut-être plus à gagner en laissant le coup d’État se réaliser qu’en aidant Olmo à l’étouffer. Le colonel serait peut-être plus utile d’une tout autre manière qu’en qualité de chef de la police du Generalissimo Callaghan. Le plan de Kyocera visant à faire de lui le successeur de don Eduardo à la mort du vieux dictateur inciterait Olmo à faire les bons choix. Mais Farkas ne savait pas encore dans quel camp il allait se ranger et il convenait donc, à ce stade, de rester vague.

— Comme je vous l’ai dit, reprit-il, je tiens mes informations d’une tierce personne. Mais j’ai pensé que vous aimeriez savoir que l’on parle de ce projet en différents endroits.

— En effet, fit Olmo. Mais je crois être un peu plus avancé que vous. Non seulement les Californiens qui ont conçu ce projet existent bel et bien, mais certains d’entre eux ont fait récemment un séjour à Valparaiso Nuevo, afin de reconnaître le terrain.

— Vous tenez cela de source sûre ?

— Une tierce personne, comme vous, répondit Olmo. Je ne les ai pas vus de mes propres yeux, mais je sais qu’ils étaient ici. Nous nous efforçons de retrouver leur trace, mais nous avons certaines difficultés. Ils sont probablement déjà repartis sur la Terre. Si c’est le cas, nous guetterons leur retour.

— Eh bien, fit Farkas, je reconnais que vous êtes plus avancé que moi. Désolé de vous avoir fait perdre votre temps, Emilio.

— C’est toujours un plaisir de parler avec vous, Victor.

— Je vous rappellerai, si je découvre quelque chose de plus précis.

— S’il vous plaît.

Le moment était peut-être venu d’appeler New Kyoto pour transmettre l’affaire à ses supérieurs hiérarchiques. Farkas pesa le pour et le contre, et décida de n’en rien faire dans l’immédiat. Pour qui n’avait pas la chance d’être japonais, le seul moyen de grimper dans la hiérarchie était de prendre l’initiative dans des situations exigeant hardiesse et esprit de décision, puis, quand les choses avaient pris forme, de faire étalage des excellents résultats obtenus.

Il se coucha et laissa ses idées se décanter. À son réveil, les choses commençaient à prendre tournure dans son esprit. Avant de sortir pour le petit déjeuner, il composa le numéro de la chambre d’hôtel que Jolanda partageait avec Enron.

La colonne de verre sombre représentant Meshoram Enron apparut sur le viseur.

— Jolanda n’est pas là, commença l’Israélien, un peu trop vite, sans même essayer de masquer l’hostilité qui perçait dans sa voix. Elle est en bas, au club de gymnastique.

— Parfait, fit Farkas. C’est à vous que je voulais parler.