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– Sacrifier mes armes! répondit le chasseur avec émotion.

– Mon ami, si je te le demande, c’est que ce sera nécessaire.

– Samuel! Samuel!

– Tes armes, tes provisions de plomb et de poudre peuvent nous coûter la vie.

– Nous approchons! s’écria Joe, nous approchons!»

Dix toises! La montagne dépassait le Victoria de dix toises encore.

Joe prit les couvertures et les précipita au dehors. Sans en rien dire à Kennedy, il lança également plusieurs sacs de balles et de plomb.

Le ballon remonta, il dépassa la cime dangereuse, et son pôle supérieur s’éclaira des rayons du soleil. Mais la nacelle se trouvait encore un peu au-dessous des quartiers de rocs, contre lesquels elle allait inévitablement se briser.

«Kennedy! Kennedy! s’écria le docteur, jette tes armes, ou nous sommes perdus.

– Attendez, monsieur Dick! fit Joe, attendez!»

Et Kennedy, se retournant, le vit disparaître au dehors de la nacelle.

«Joe! Joe! cria-t-il.

– Le malheureux!» fit le docteur.

La crête de la montagne pouvait avoir en cet endroit une vingtaine de pieds de largeur, et de l’autre côté, la pente présentait une moindre déclivité. La nacelle arriva juste au niveau de ce plateau assez uni; elle glissa sur un sol composé de cailloux aigus qui criaient sous son passage.

«Nous passons! nous passons! nous sommes passés!» cria une voix qui fit bondir le cœur de Fergusson.

L’intrépide garçon se soutenait par les mains au bord inférieur de la nacelle; il courait à pied sur la crête, délestant ainsi le ballon de la totalité de son poids; il était même obligé de le retenir fortement, car il tendait à lui échapper.

Lorsqu’il fut arrivé au versant opposé, et que l’abîme se présenta devant lui, Joe, par un vigoureux effort du poignet, se releva, et s’accrochant aux cordages, il remonta auprès de ses compagnons.

«Pas plus difficile que cela, fit-il.

– Mon brave Joe! mon ami! dit le docteur avec effusion.

– Oh! ce que j’en ai fait; répondit celui-ci, ce n’est pas pour vous; c’est pour la carabine de M. Dick! Je lui devais bien cela depuis l’affaire de l’Arabe! J’aime à payer mes dettes, et maintenant nous sommes quittes, ajouta-t-il en présentant au chasseur son arme de prédilection. J’aurais eu trop de peine à vous voir vous en séparer.»

Kennedy lui serra vigoureusement la main sans pouvoir dire un mot.

Le Victoria n’avait plus qu’à descendre; cela lui était facile; il se retrouva bientôt à deux cents pieds du sol, et fut alors en équilibre. Le terrain semblait convulsionné; il présentait de nombreux accidents fort difficiles à éviter pendant la nuit avec un ballon qui n’obéissait plus. Le soir arrivait rapidement, et, malgré ses répugnances, le docteur dut se résoudre à faire halte jusqu’au lendemain.

«Nous allons chercher un lieu favorable pour nous arrêter, dit-il.

– Ah! répondit Kennedy, tu te décides enfin?

– Oui, j’ai médité longuement un projet que nous allons mettre à exécution; il n’est encore que six heures du soir, nous aurons le temps. Jette les ancres, Joe.»

Joe obéit, et les deux ancres pendirent au-dessous de la nacelle.

«J’aperçois de vastes forêts, dit le docteur; nous allons courir au-dessus de leurs cimes, et nous nous accrocherons à quelque arbre. Pour rien au monde, je ne consentirais à passer la nuit à terre.

– Pourrons-nous descendre? demanda Kennedy.

– À quoi bon? Je vous répète qu’il serait dangereux de nous séparer. D’ailleurs, je réclame votre aide pour un travail difficile.»

Le Victoria, qui rasait le sommet de forêts immenses, ne tarda pas à s’arrêter brusquement; ses ancres étaient prises; le vent tomba avec le soir, et il demeura presque immobile au-dessus de ce vaste champ de verdure formé par la cime d’une forêt de sycomores.

XLII

Combat de générosité. – Dernier sacrifice. – L’appareil de dilatation. – Adresse de Joe. – Minuit. – Le quart du docteur. – Le quart de Kennedy. – Il s’endort. – L’incendie. – Les hurlements. – Hors de portée.

Le docteur Fergusson commença par relever sa position d’après la hauteur des étoiles; il se trouvait à vingt-cinq milles à peine du Sénégal.

«Tout ce que nous pouvons faire, mes amis, dit-il après avoir pointé sa carte, c’est de passer le fleuve; mais comme il n’y a ni pont ni barques, il faut à tout prix le passer en ballon; pour cela, nous devons nous alléger encore.

– Mais je ne vois pas trop comment nous y parviendrons, répondit le chasseur qui craignait pour ses armes; à moins que l’un de nous se décide à se sacrifier, de rester en arrière… et, à mon tour, je réclame cet honneur.

– Par exemple! répondit Joe; est-ce que je n’ai pas l’habitude…

– Il ne s’agit pas de se jeter, mon ami, mais de regagner à pied la côte d’Afrique; je suis bon marcheur, bon chasseur…

– Je ne consentirai jamais! répliqua Joe.

– Votre combat de générosité est inutile, mes braves amis, dit Fergusson; j’espère que nous n’en arriverons pas à cette extrémité; d’ailleurs, s’il le fallait, loin de nous séparer, nous resterions ensemble pour traverser ce pays.

– Voilà qui est parlé, fit Joe; une petite promenade ne nous fera pas de mal.

– Mais auparavant, reprit le docteur, nous allons employer un dernier moyen pour alléger notre Victoria.

– Lequel? fit Kennedy; je serais assez curieux de le connaître.

– Il faut nous débarrasser des caisses du chalumeau, de la pile de Bunsen et du serpentin; nous avons là près de neuf cents livres bien lourdes à traîner par les airs.

– Mais, Samuel, comment ensuite obtiendras-tu la dilatation du gaz?

– Je ne l’obtiendrai pas; nous nous en passerons.

– Mais enfin…

– Écoutez-moi, mes amis; j’ai calculé fort exactement ce qui nous reste de force ascensionnelle; elle est suffisante pour nous transporter tous les trois avec le peu d’objets qui nous restent; nous ferons à peine un poids de cinq cents livres, en y comprenant nos deux ancres que je tiens à conserver.

– Mon cher Samuel, répondit le chasseur, tu es plus compétent que nous en pareille matière; tu es le seul juge de la situation; dis-nous ce que nous devons faire, et nous le ferons.

– À vos ordres, mon maître.

– Je vous répète, mes amis, quelque grave que soit cette détermination, il faut sacrifier notre appareil.

– Sacrifions-le! répliqua Kennedy.

– À l’ouvrage!» fit Joe.

Ce ne fut pas un petit travail; il fallut démonter l’appareil pièce par pièce; on enleva d’abord la caisse de mélange, puis celle du chalumeau, et enfin la caisse où s’opérait la décomposition de l’eau; il ne fallut pas moins de la force réunie des trois voyageurs pour arracher les récipients du fond de la nacelle dans laquelle ils étaient fortement encastrés; mais Kennedy était si vigoureux, Joe si adroit, Samuel si ingénieux, qu’ils en vinrent à bout; ces diverses pièces furent successivement jetées au dehors, et elles disparurent en faisant de vastes trouées dans le feuillage des sycomores.