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Je la peignai. Je maniai je ne sais comment cette chevelure de glace. Je la tordis, je la renouai et la dénouai ; je la tressai comme on tresse la crinière d’un cheval. Elle soupirait, penchait la tête, semblait heureuse.

Soudain elle me dit : « Merci ! » m’arracha le peigne des mains et s’enfuit par la porte que j’avais remarquée entrouverte.

Resté seul, j’eus, pendant quelques secondes, ce trouble effaré des réveils après les cauchemars. Puis je repris enfin mes sens ; je courus à la fenêtre et je brisai les contrevents d’une poussée furieuse.

Un flot de jour entra. Je m’élançai sur la porte par où cet être était parti. Je la trouvai fermée et inébranlable.

Alors une fièvre de fuite m’envahit, une panique, la vraie panique des batailles. Je saisis brusquement les trois paquets de lettres sur le secrétaire ouvert ; je traversai l’appartement en courant, je sautai les marches de l’escalier quatre par quatre, je me trouvai dehors et je ne sais par où, et, apercevant mon cheval à dix pas de moi, je l’enfourchai d’un bond et partis au galop.

Je ne m’arrêtai qu’à Rouen, et devant mon logis. Ayant jeté la bride à mon ordonnance, je me sauvai dans ma chambre où je m’enfermai pour réfléchir.

Alors, pendant une heure, je me demandai anxieusement si je n’avais pas été le jouet d’une hallucination. Certes, j’avais eu un de ces incompréhensibles ébranlements nerveux, un de ces affolements du cerveau qui enfantent les miracles, à qui le Surnaturel doit sa puissance.

Et j’allais croire à une vision, à une erreur de mes sens, quand je m’approchai de ma fenêtre. Mes yeux, par hasard, descendirent sur ma poitrine. Mon dolman était plein de longs cheveux de femme qui s’étaient enroulés aux boutons !

Je les saisis un à un et je les jetai dehors avec des tremblements dans les doigts.

Puis j’appelai mon ordonnance. Je me sentais trop ému, trop troublé, pour aller le jour même chez mon ami. Et puis je voulais mûrement réfléchir à ce que je devais lui dire.

Je lui fis porter ses lettres, dont il remit un reçu au soldat. Il s’informa beaucoup de moi. On lui dit que j’étais souffrant, que j’avais reçu un coup de soleil, je ne sais quoi. Il parut inquiet.

Je me rendis chez lui le lendemain, dès l’aube, résolu à lui dire la vérité. Il était sorti la veille au soir et pas rentré.

Je revins dans la journée, on ne l’avait pas revu. J’attendis une semaine. Il ne reparut pas. Alors je prévins la justice. On le fit rechercher partout, sans découvrir une trace de son passage ou de sa retraite.

Une visite minutieuse fut faite au château abandonné. On n’y découvrit rien de suspect.

Aucun indice ne révéla qu’une femme y eût été cachée.

L’enquête n’aboutissant à rien, les recherches furent interrompues.

Et, depuis cinquante-six ans, je n’ai rien appris. Je ne sais rien de plus.

4 avril 1883

La porte

Ah ! s’écria Karl Massouligny, en voici une question difficile, celle des maris complaisants ! Certes, j’en ai vu de toutes sortes ; eh bien, je ne saurais avoir une opinion sur un seul. J’ai souvent essayé de déterminer s’ils sont en vérité aveugles, clairvoyants ou faibles. Il en est, je crois, de ces trois catégories.

Passons vite sur les aveugles. Ce ne sont point des complaisants d’ailleurs, ceux-là, puisqu’ils ne savent pas, mais de bonnes bêtes qui ne voient jamais plus loin que leur nez. C’est, d’ailleurs, une chose curieuse et intéressante à noter que la facilité des hommes, de tous les hommes, et même des femmes, de toutes les femmes à se laisser tromper. Nous sommes pris aux moindres ruses de tous ceux qui nous entourent, de nos enfants, de nos amis, de nos domestiques, de nos fournisseurs. L’humanité est crédule ; et nous ne déployons point pour soupçonner, deviner et déjouer les adresses des autres, le dixième de la finesse que nous employons quand nous voulons, à notre tour, tromper quelqu’un.

Les maris clairvoyants appartiennent à trois races. Ceux qui ont intérêt, un intérêt d’argent, d’ambition, ou autre, à ce que leur femme ait un amant, ou des amants. Ceux-ci demandent seulement de sauvegarder, à peu près, les apparences, et sont satisfaits de la chose.

Ceux qui ragent. Il y aurait un beau roman à faire sur eux.

Enfin les faibles ! Ceux qui ont peur du scandale.

Il y a aussi les impuissants, ou plutôt les fatigués, qui fuient le lit conjugal par crainte de l’ataxie ou de l’apoplexie et qui se résignent à voir un ami courir ces dangers.

Quant à moi, j’ai connu un mari d’une espèce assez rare et qui s’est défendu de l’accident commun d’une façon spirituelle et bizarre.

J’avais fait à Paris la connaissance d’un ménage élégant, mondain, très lancé. La femme, une agitée, grande, mince, fort entourée, passait pour avoir eu des aventures. Elle me plut par son esprit et je crois que je lui plus aussi. Je lui fis la cour, une cour d’essai à laquelle elle répondit par des provocations évidentes. Nous en fûmes bientôt aux regards tendres, aux mains pressées, à toutes les petites galanteries qui précèdent la grande attaque.

J’hésitais cependant. J’estime en somme que la plupart des liaisons mondaines, même très courtes, ne valent pas le mal qu’elles nous donnent ni tous les ennuis qui peuvent en résulter. Je comparais donc mentalement les agréments et les inconvénients que je pouvais espérer et redouter quand je crus m’apercevoir que le mari me suspectait et me surveillait.

Un soir, dans un bal, comme je disais des douceurs à la jeune femme, dans un petit salon attenant aux grands où l’on dansait, j’aperçus soudain dans une glace le reflet d’un visage qui nous épiait. C’était lui. Nos regards se croisèrent, puis je le vis, toujours dans le miroir, tourner la tête et s’en aller.

Je murmurai :

— Votre mari nous espionne.

Elle sembla stupéfaite.

— Mon mari.

— Oui, voici plusieurs fois qu’il nous guette.

— Allons donc ! Vous êtes sûr ?

— Très sûr.

— Comme c’est bizarre. Il se montre au contraire ordinairement on ne peut plus aimable avec mes amis.

— C’est qu’il a peut-être deviné que je vous aime ?

— Allons donc ! Et puis vous n’êtes pas le premier qui me fasse la cour. Toute femme un peu en vue traîne un troupeau de soupireurs.

— Oui. Mais moi, je vous aime profondément.

— En admettant que ce soit vrai, est-ce qu’un mari devine jamais ces choses-là ?

— Alors, il n’est pas jaloux.

— Non… non…

Elle réfléchit quelques instants, puis reprit :

— Non… Je ne me suis jamais aperçue qu’il fût jaloux.

— Il ne vous a jamais… jamais surveillée.

— Non… Comme je vous le disais, il est très aimable avec mes amis.

À partir de ce jour, je fis une cour plus régulière. La femme ne me plaisait pas davantage, mais la jalousie probable du mari me tentait beaucoup.

Quand à elle, je la jugeais avec froideur et lucidité. Elle avait un certain charme mondain provenant d’un esprit alerte, gai, aimable et superficiel, mais aucune séduction réelle et profonde. C’était, comme je vous l’ai dit déjà, une agitée, toute en dehors, d’une élégance un peu tapageuse. Comment vous bien l’expliquer ? C’était… c’était… un décor… pas un logis.