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Elle opine brièvement.

— Une tentative de vol, ça rentre selon vos critères dans les délits très graves, commissaire ?

— Je pense qu'on peut en absoudre votre pensionnaire.

— Merci. J'ai confiance en vous.

Toujours des petits préambules dans les cas délicats. Un confus marchandage. Faut promettre des choses, verser des arrhes, chipoter. Rien n'est simple !

Bon, elle va la cracher, son arête, la Miss Mademoiselle ?

Je ne puis m'empêcher de virguler une œillerie à ma montre. Pas poli mais éloquent. Une personne qui te bavasse dans les trompes, tu frimes ta tocante et la voilà qui pousse la manette des gaz.

— Imaginez-vous, commissaire, que mon petit Riton a voulu « repiquer » à la drogue, comme il dit. S'il m'en avait parlé, j'aurais pu lui acheter une ou deux lignes de coke pour calmer un peu sa triste fringale, mais non, le coquin n'a rien trouvé de mieux que de s'introduire par effraction dans une pharmacie pour y voler de la came !

— Ils sont nombreux dans son cas, soupiré-je.

Elle interprète ma réflexion comme la marque de mon absolution et opine avec véhémence.

— Et alors, mademoiselle de Saint-Braque, qu'en a-t-il résulté ?

— Quelque chose d'assez terrifiant, commissaire. Riton est allé au coffre où, généralement, les pharmaciens conservent les produits à haute toxicité et les drogues dures. Seulement, le garnement s'est trompé. II faut dire qu'il n'a rien d'un professionnel de la cambriole, heureusement. Il a pris pour le coffre en question le réfrigérateur de l'arrière-boutique, tout simplement parce que celui-ci fermait à clé. Riton s'était muni d'un passe-partout chipé au serrurier venu réparer la grande serre de mon potager. II a pu ouvrir sans peine le réfrigérateur en question. Et alors…

Là elle déglutit, Francine.

— Et alors ? répété-je en écho afin de l'encourager.

— Il a trouvé des débris humains, reprend-elle.

— Quel genre de débris ? questionné-je sans sourciller.

Sa voix flanche, blanchit, fait des couacs :

— Des sexes masculins, commissaire.

Là, on place un léger temps mort pour donner à la révélation le temps d'étendre ses ondes de choc. Puis elle reprend :

— Aux dires de Riton, chacun des sexes était enfermé dans un sac de plastique et il y en avait une bonne douzaine. Sur le moment, il a douté de la chose et a cru, je vous demande pardon, qu'il s'agissait de cous de poulets. Mais en y regardant à deux fois, la sinistre vérité s'est imposée. C'était bel et bien des organes d'hommes : verges et testicules, sectionnés au ras de ceux-ci.

Parfait, très bien ; des trucs aussi énormes, j'en ai déjà entendu balancer pas mal. Peut-être des plus carabinés encore. J'imagine le petit malfrat en quête de blanche qui ouvre un frigo et trouve des bites en sachet, empilées gentiment. Et puis l'image me fait rigoler doucement. Tu vois un pharmago collectionner des chibres, toi ? Gardant cette étrange « marchandise » dans son officine ? A quelles fins ? Mystère ! M'est avis qu'il a perdu les pédales, le petit « miraculé à sa sauveuse ». Doit avoir des visions. Son casse solitaire lui aura filé les flubes et perturbé la vue. Il a pris des tétines de biberon pour des zobs, probable. Il avait dû se shooter au beaujolais, histoire de se donner du cran, ou bien gober quelques pilules hallucinogènes en arrivant chez le potard.

Elle doit suivre mes pensées dans mon œil limpide car elle remarque, d'un ton légèrement pincé :

— Vous ne paraissez pas accorder un grand crédit à la chose, commissaire ?

— A vrai dire, elle me laisse quelque peu sceptique, mademoiselle. Concevez-vous qu'on ait pu pratiquer sur une douzaine d'individus l'ablation de leurs attributs sans que cette monstruosité fût connue ? Si l'on excepte l'hypothèse d'un maniaque violeur de sépultures, il est impossible de prélever en si nombreuse quantité ce genre d'éléments humains avec discrétion. Même dans l'amphithéâtre d'un hôpital, douze sexes ne sauraient être « dérobés ». Un à la rigueur, je ne dis pas, le fait s'est d'ailleurs produit ; mais douze, mademoiselle de Saint-Braque ! Douze ! Et que feraient ces débris dans le réfrigérateur d'un pharmacien de grande banlieue, car la pharmacie où s'est introduit votre jeune ami se trouve dans la périphérie, je suppose ?

— C'est celle de Vilain-le-Bel, un gros bourg proche de Con-la-Ville.

— Alors, je pense que vous connaissez le pharmacien ?

— C'est une pharmacienne.

— A plus forte raison ! Quel genre de personne est-ce ?

— Une femme âgée qui songe à vendre son officine.

— De mieux en mieux. Et vous admettez que cette vieille personne blanchie sous le harnois empile dans son frigo des sexes sous cellophane ?

Elle hausse les épaules.

— Ecoutez, commissaire, je sais bien que cette affaire paraît folle, pourtant Riton est formel. Si vous saviez à quel point il était traumatisé en rentrant de son expédition nocturne ! Il était blême et défaillait. Il est venu me réveiller en pleine nuit. Je vous assure qu'il ne s'agit pas d'un mythomane.

— Ce n'est pas un mythomane, mais, selon vos propres déclarations, c'est un drogué en manque, mademoiselle.

— Je voudrais que vous l'entendiez, commissaire. Vous acceptez ?

— C'est que j'ai beaucoup à faire, et…

— II est en bas, dans ma voiture.

Bon, pas mèche d'y couper.

— En ce cas, allez le chercher.

Dommage qu'il cafouille, Riton, car c'est un garçon plutôt pas mal. Grand, mince, avec une longue chevelure dans le cou et un regard langoureux de clébard.

Mlle de Saint-Braque fait les présentations et s'apprête à volubiler, mais je lui coupe ses effets péremptoirement.

— Pardonnez-moi, lui dis-je, mais il est indispensable que nous ayons une conversation en tête à tête, ce jeune homme et moi. Vous voulez bien nous attendre dans la salle, au bout du couloir ?

Elle semble choquée d'être aussi catégoriquement shootée, néanmoins elle s'emporte sur ses talons plats. Le môme semble affolé de se retrouver face à moi. Je le fixe un instant sans grande urbanité. Ces jeunes connards paumés qui mettent leur vie en portefeuille me filent dans une rogne sombre, et j'aimerais pouvoir leur administrer autant de mandales qu'ils en méritent, mais ça ferait « bavure » et c'est ma pomme qui écoperait, en fin de compte…

Il se tient debout devant mon bureau, à se faire des nœuds aux doigts. Il a un tic qui le fait renifler toutes les dix secondes.

— T'as des parents ? l'à brûle-pourpoins-je.

Il est déconcerté, ne s'attendait pas à une question de ce type. Il acquiesce.

— Où demeurent-ils ?

— Flins.

— Et qu'est-ce qu'ils font ?

— Mon père travaille chez Renault, ma mère est à mi-temps dans une boucherie.

— Des frères et sœurs ?

— Une sœur.

— Pute ?

— Non, pourquoi ? Elle va encore à l'école.

— Et toi, tu faisais quoi avant de tomber ?

— Mécanicien.

— Pour quelle raison t'a-t-on emballé ?

— J'ai piqué la caisse d'un pompiste pot m'acheter de la came.

Tiens, c'est donc ça qu'elle appelle se faire arrêter pour trafic de drogue, la mère Francine de Saint-Braque ! Un peu indulgente avec ses protégés !

— C'est bien, la vie de château ?

Il danse d'un pinceau sur l'autre, puis opine.

— Oui, très.

— Tu y fais quoi, chez la mère de Saint-Braque ?

Il hésite, cherche, ne trouve pas et finit par chuchoter :

— Rien.

— Chouette occupation ! Vous êtes nombreux à suivre ces cours de « réinsertion » ?

— Cinq.

— Dis donc, c'est un tout petit pensionnat. Réservé à une élite. Ces dames sont gentilles avec vous ?