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« Mais enfin, chacun sa chiasse, Riton. On ne peut pas forcer les gens à être heureux contre leur gré. Si t'aimes te faire bronzer à travers des barreaux, libre à toi ! »

Un long silence.

Tu sais quoi ? Il se mord les lèvres, le gosse, si fort qu'il va se sectionner un bout de bidoche. Deux larmes perlent au bord de ses cils, s'y agrippent longtemps avant de tomber.

Je laisse le silence nous jouer sa petite musique d'âme.

Il murmure :

— Vous savez, monsieur le commissaire… Je… je vous trouve au poil… II faut absolument que vous me croyiez. C'est pas du bidon, l'affaire des pafs ! Pourquoi j'aurais inventé ça ? Pourquoi j'avouerais avoir craqué cette pharmacie, ce qui aurait pu me faire retomber ? Ce serait de la dinguerie, non ?

— En effet, conviens-je, ébranlé. Mais tu vois, pour te livrer le fond de ma pensée, je m'obstine à croire que tu as confondu quelque chose qui ressemblait à des sexes avec d'authentiques chopines. C'est trop énorme, tu le sens bien, tellement impossible… que C'EST IMPOSSIBLE !

— C'était des queues, commissaire ! s'écrie-t-il avec force. Toutes sortes de queues des longues, des grosses, des tordues, des pointues du bout, des arrondies. La plupart étaient couleur peau morte, sauf quelques-unes q restaient violacées. Il y avait du sang à l'intérieur des sachets…

— Dis-moi, Riton, as-tu refermé le frigo à clé avant de repartir ?

— Non, j'étais trop affolé. J'ai juste repoussé la porte. Faut dire que je l'avais forcée avec un tournevis extra-fin ; par contre j' refermé la porte de la pharmacie.

— Tu as conservé la clé ?

— Oui.

— Cette nuit, tu vas faire rebelote, môme.

— Comment ça ?

— Tu vas retourner au frigo.

— Je pourrais pas, commissaire ! Impossible.

— Avec moi ! ajouté-je.

Ses protestations lui meurent dans le gosier.

— Avec vous ?

Il a un maigre sourire :

— Comme ça, d'accord !

GRANDEUR ET MISÈRE D'UN COUPLE

En cette saison, ces banlieues campagnardes sentent le chèvrefeuille, la nuit venue. Les roses des jardins tentent de jouer également leur partition, mais ne livrent que des bouffées, de brèves exhalaisons chahutées par les brise capricieuses.

J'ai donné rencard à Riton devant le panneau annonçant le nom de la localité « Vilain-le Bel ». Et il est là, au clair de lune, Pierrot anxieux au visage blafard creusé d'ombres. Je stoppe ma Maserati à sa hauteur, et il hésite, ne s'attendant pas à voir arriver un perdreau dans une tire de ce calibre. Et puis il me reconnaît et se débat avec la poignée de la lourde.

— Je t'ai fait attendre, petit mec ? lui dis-je.

— Mais non, j'étais en avance. Vous en avez une belle bagnole, commissaire !

— J'aime les tires puissantes, c'est mon luxe.

Il s'installe d'une fesse timide sur le cuir de la banquette. La portière est si massive qu'il doit s'y prendre à deux fois pour la claquer. Je décarre d'une allure de dragueur au Bois. La croix verte de la pharmacie brille à l'autre extrémité de la Grand-rue.

— Et si on se faisait piquer ? murmure le petit frimant ; ça la foutrait mal pour vous, non ?

— Je me suis déjà trouvé dans des situations plus délicates, rassuré-je.

On est déjà arrivés. Dans ce genre d'expédition, l'horloge du clocher ramène toujours sa fraise ; cette nuit, elle ne manque pas à la tradition et virgule un grand coup ample et creux dans la paix villageoise. Il peut être minuit et demi, une heure ou une heure et demie. Tout un chacun roupille à Vilain-le-Bel, ne reste que M. Crépelin, l'instituteur, qui regarde un documentaire extrêmement tardif sur la pêche aux nœuds volants à la télé.

— Tu as la clé, Riton ?

Il me tend un bout de fer assez informe, bricolé à la lime, que j'engage dans la serrure. Ça joue. Petit coup de périscope par acquit de conscience : c'est le désert, y a même pas un chat en rut dans le secteur. On pénètre.

— Guide-moi, enjoins-je.

Ça schlingue bon la pharmacie. Elles ont toujours la même odeur composite, les officines, sur tous les continents, dans tous les pays. Le môme contourne le vaste comptoir-vitrine pour passer dans la réserve où s'étagent d'étroits tiroirs sur les murs. Au fond, à gauche, se trouve un vaste lavabo et, à côté de celui-ci, le réfrigérateur. J'en actionne la poignée. Il n'est pas fermé à clé. En s'ouvrant, la porte déclenche une forte lumière dans l'armoire frigorifique. J'avise une pyramide de sachets de plastique contenant des choses rougeâtres, aux formes allongées. De la chair ! Avec une répugnance indescriptible j'en saisis un pour l'examiner. Puis un second. Derrière moi, à bonne distance, Riton m'interprète un solo de castagnettes avec ses mandibules.

— Tu es certain de les avoir regardées de près, tes biroutes, Ducon ?

Je volte et lui brandis les deux sachets sous le nez. Il recule en poussant un petit cri de frayeur.

— Tu m'as pas dit que la vieille pharmago élevait des chats ? Voilà leur bouffement pour deux ou trois jours ; de la triperie en bas morcifs : du mou, du foie, de la tétine découpés en larges bandes.

Je remets les deux sachets dans le frigo. Claque la porte et sors. Le Riton de mes adorables deux me suit, penaud. On relourde. Je glisse sa clé d'infortune dans ma vague. Il reste indécis sur le trottoir.

— Ben monte ! lui dis-je.

Il reprend sa place de naguère.

— C'est de quel côté le manoir de la mère Saint-Braque ?

— Tout droit ; au prochain carrefour il faudra prendre à droite.

— Tu sais, je murmure, c'est pas encore demain que tu seras capable d'aller chouraver la réserve d'or des U.S.A. à Fort Knox.

Il reste silencieux. Juste il m'indique la route à prendre, du geste. Je l'amène jusqu'à la grille du parc. A travers des frondaisons, on aperçoit le manoir dans la façade duquel brillent çà et là quelques lumières.

— Salut, gamin ! Fais-toi bien reluire avec ces vieilles névrosées.

Il descend. Juste avant de rabattre la portière, il passe sa petite gueule de loustic dans l'habitacle et lance d'une voix pathétique :

— L'autre nuit, c'était des bites, commissaire ! Des vraies bites, je le jure sur ma vie !

La porte claque et il s'éloigne dans l'allée cavalière du domaine, les mains aux poches, petit voyou humilié.

Ça se passe trois jours plus tard.

C'est la fin de l'aprème et je rentre chez nous à Saint-Cloud. Personne. Sur la table de la cuisine, un billet de Félicie, maintenu par un de ses angles avec un pot de confiture de reines-claudes (tu ne trouveras jamais mieux comme presse-papelards) :

Mon Grand,

On m'a téléphoné tantôt pour m'apprendre que tante Clarisse est à l'hôpital de Chambéry avec une phlébite ; comme elle est très âgée et n'a plus que moi, je pars à son chevet. Si tu as un peu de temps, occupe-toi de Toinet. Il m'inquiète depuis quelques jours ; je t'expliquerai (je crois que nous allons devoir nous séparer de Maria).

M. Bérurier te cherche, il a téléphoné à trois reprises.

Je reviendrai le plus vite possible. Je t'embrasse.

Ta maman

« Ta maman » !

Les deux mots me réchauffent le cœur. Il y a tout dans ce « ta maman ». C'est une maison, c'est à manger, c'est une veilleuse à ton chevet, c'est une église, c'est Noël, c'est une cassette de Mozart, c'est le soir qui tombe sur un étang de chez nous, avec les grenouilles qui réclament, c'est des croissants chauds. Ta maman, si tu ne le sens pas en plein, si tu ne le vis pas complètement, t'es qu'une raclure, un éclat de foutre, de la sous-merde.