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Je grimpe à l'étage. Toc, toc !

— Qui est là ? fait la grand-mère.

Que lui répondre ? Que c'est le Petit Chaperon rouge ou bien le Grand Méchant loup ? Ce sera à elle de décider.

— Le commissaire San-Antonio ! lancé-je.

Elle m'ouvre. Son regard éclaté par l'épaisseur des verres de lunettes semble avoir été peint par Picasso. Elle pue de plus en plus le rance, l'urine, l'éther, les chats.

— On peut bavarder encore un peu, madame Purgon ?

Là, elle est à la limite de la politesse. Me fait comprendre par son expression figée, hostile, que je commence à lui pomper l'air, voire à la faire chier. Les vioques, à un moment donné, elles raffolent qu'on leur foute la paix. Elles ont besoin de s'écouter vieillir dans la sérénité grisâtre de leurs pauvres habitudes.

Tout de même, en dame bien éduquée, elle me précède au salon.

Et tu sais quoi ? Non, sans charre, comme quoi il est bien branché sur le divinatoire, ton Antoine, baby ! Elle dit :

— J'étais à préparer le thé, vous en voulez une tasse ?

Manière d'entrer dans ses bonnes grâces et bien qu'abhorrant cet insipide breuvage, je réponds « qu'extrêmement volontiers, c'est très gentil à vous, merci ».

Elle s'affaire dans la cuisine, devant sa cuisinière électrique.

— Vous aviez besoin de quelque chose ? s'informe-t-elle.

— Non, de quelqu'un.

— De qui ?

— Toujours pareil de votre frère.

— Je vous ai dit qu'il était parti !

— Il n'a pas pris sa voiture, non plus que la vôtre. Il n'a pas pris le bus. II n'est pas parvenu à Houdan où il avait retenu une chambre…

Elle s'avance, aigrelette :

— Comment le savez-vous ? Mon téléphone est sur écoute ?

Au lieu de répondre, je soupire :

— Il n'a pu que faire du stop. Mais j'imagine mal un médecin militaire, portant une sacoche pleine de sexes, en train de brandir son pouce dans la rue du village. Cela dit, tout est possible. Pourtant, il m'est venu une autre idée, madame Purgon.

— Vous le prenez fort ou léger ? coupe la pharmagote.

— Comme vous ! Je vous disais que j'entrevoyais une autre hypothèse, madame Purgon.

— Lait ou citron ?

— Citron. Vous savez à quoi j'ai pensé ?

— Combien de sucre, monsieur le policier ?

Je me retiens de lui répondre « le plus possible », car cela m'aiderait à avaler son breuvage britannique. Pour moi, le thé, c'est du foin sur lequel on a pissé.

— Deux, s'il vous plaît ! Je me suis dit, madame Purgon que, si votre frère Maurice n'a pas pris sa voiture, ni la vôtre, ni le bus, c'est tout simplement parce qu'il n'est pas parti. C.Q.F.D. ! Je suis prêt à parier qu'il a pris le parti le plus sage : celui de se terrer sur place. Se sachant démasqué et bientôt traqué, il a compris qu'il n'irait pas loin. Pensant que ce téléphone était sur écoute, il a retenu une chambre dans une hostellerie et vous a priée d'y téléphoner plus tard, cela afin d'accréditer l'idée de son départ. Mais il est toujours à Vilain-le-Bel, ma chère dame. Et vous allez me dire où. Vous devez bien avoir un grenier, une cave, un quelconque entrepôt où stocker des marchandises ? Ne me dites pas le contraire j'ai eu des amis pharmaciens, je sais de quelle manière fonctionne votre commerce. II y a des caisses en réserve, des bonbonnes, que sais-je. Toutes choses plus ou moins volumineuses nécessitant une resserre. Vous voulez parier avec moi que Maurice s'y trouve ? II y attend des jours meilleurs. Il y attend l'oubli ! Ce grand allié de l'humain l'oubli ! Alors, vous savez ce que nous allons faire ? On va boire le thé gentiment. Ensuite vous me conduirez à lui et lui direz d'ouvrir la porte. A quoi bon livrer un siège ? Dites-vous bien qu'il ne risque pas grand-chose. Son avocat plaidera la démence, si tant est qu'il soit déféré devant une cour d'assises. Il terminera paisiblement sa vie dans une maison de repos où vous lui assurerez un maximum de confort.

Elle n'a pas dit un mot. M'apporte, sur un mignon plateau d'argent, ma tasse de thé, la petite cuiller et un biscuit. Ce biscuit m'émeut. Je ne sais pas, pourquoi. Un biscuit, avec tout ce qui se passe. Dérisoire ! Tu comprends ça, toi ?

LES ROUSTONS DE RITON

— Vous n'aimez pas mon thé ? demande l'aimable et inconsciente vieillounette.

Comment lui expliquer, tasse en main, que ce n'est pas son thé que je déteste, mais le thé tout court. Je m'abstiens à cause de la jolie petite cuiller d'argent et surtout à cause de l'émouvant biscuit.

Curieux instant. Je viens cueillir son frère meurtrier lequel — j'en suis convaincu maintenant — se terre à quelques mètres de là et, au lieu de me précipiter sur le violeuricide, je feins de déguster l'eau chaude que me propose sa sœur.

— Il est délicieux, mens-je en soufflant sur ma tasse brûlante.

— Je fais moi-même ces biscuits, dit-elle. Ce sont des sablés légèrement parfumés à l'anis, ils accompagnent très bien le thé.

J'y goûte : pas mal. Goût poupette. Et puis c'est con, un biscuit ; le parent pauvre du gâteau. Ensuite je plonge mon pif dans le breuvage. Autant s'enquiller la tisane d'un coup. Lorsque, jadis, m'man me flinguait les entrailles à l'huile de ricin, je perdais pas mon sens gustatif à jouer les tâte-vin, j'avalais l'infection d'un coup sec, après quoi je me précipitais sur le cacao onctueux dont elle la faisait suivre.

Là, je gloupe le contenu de la tasse et clape le biscuit. Ouf ! Mission remplie !

— Et maintenant, chère madame Purgon, si on causait ?

Elle est comme absente, le regard perdu dans le liquide ambré qui fume au bout de ses doigts arrondis.

— Pardon ? murmure-t-elle d'un ton lointain.

— Si nous revenions à nos préoccupations ? fis-je.

Elle me regarde. Je suis frappé par le brusque éclat de ses prunelles. Des yeux bizarres. Des yeux « de flagrant délit ». Pourquoi cette expression me vient-elle ? De flagrant délit.

— Vous savez, madame Purgon…

Je me tais. Zébré ! Fouaillé ! Court-juté ! L'étau. Impossible de respirer ! Je vois trouble. Presque double ! Un immense cri de terreur naît en moi, dans mon ventre, qui ne parvient pas à grimper jusqu'à ma bouche, ni même à mes cordes vocales.

Et le regard intense, le regard fou de Mme Purgon est pareil à l'océan. Il se précipite sur moi. Me submerge.

« Oh ! mon Dieu ! me dis-je, tu as commis la faute de ta vie, Antoine, en acceptant cette tasse de thé ! Ce n'est pas Anne-Marie Purgon qui est en face de toi, mais Maurice Purgon. C'est le fou. Le tueur ! Le découilleur ! » Et, dans mes limbes infinis, retentit un air d'accordéon fameux : Le Dénicheur. Je le chante avec d'autres paroles : « On l'appelle le découilleur »… Con de Sana ! Con de Sana ! Con de Sana…

Ad libitum.

Amen.

Je presse mes mains sur mon thorax. Elles retombent.

Tout s'écroule, s'obscurcit. Juste je distingue dans un halo pourpre la fausse Mme Purgon qui retrousse sa blouse blanche et cueille dans une poche de sa jupe un rasoir à manche de nacre avec des incrustations dorées. Elle l'ouvre. La lame en est très étroite et très affilée.