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Je…

Non, rien ! Noir total.

— Respirez ! Respirez fort !

Mes poumons, je vais te dire, c'est comme un sac en papier froissé dans lequel on se met à souffler. Il se gonfle un peu, seulement il est crevé et l'air repart. Il en faut beaucoup pour compenser la fuite.

— Je vais lui faire une autre piqûre ! fait une voix féminine qu'il me semble avoir déjà entendue ; je prends le risque.

Le contact froid d'un tampon imbibe d'alcool dans la pliure de mon bras. Une aiguille rampe sur ma veine, s'y plante doucement. Je perçois l'injection du liquide. Ou bien est-ce l'effet de ma prodigieuse imagination ?

— Mettez-lui un oreiller sous la tête !

Un instant passe. Je plane dans une nuit noire, sans étoiles. Quelqu'un soulève ma tête. Un volume moelleux s'insère sous ma nuque. Le trou du sac a dû être colmaté car l'oxygène qui m'est dispensé par un masque se met à les gonfler pour de bon.

Une idée s'épanouit doucement partout dans ma tronche et mon corps, comme si je réfléchissais aussi avec ma viande usuelle.

Cette pensée, c'est « je vis ».

De bonheur, je parviens à ouvrir les yeux. Ce qui me permet de retrouver le salon tristounet de la mère Purgon. Deux personnages sont agenouillés de mon part et d'autre, tels le bœuf et l'âne du petit Jésus. Il y a là Germaine, la préparatrice, et le cousin Gonzague.

Germaine Letailleur tient encore sa seringue d'une main et, comme l'aurait écrit Ponson du Sérail, me surveille de l'autre.

— Ça va mieux ? chuchote la brave femme.

Elle visionne autre chose que mon visage. Je baisse les yeux et je m'aperçois que je suis déculotté et que ça saigne autour de mon zob. Je pige que le fou allait me saccagner Popaul. Déjà, il avait commencé de m'entailler le bas-bide.

— Nous sommes arrivés à temps ! dit Gonzague de Vatefaire. Vous avez eu une sacrée chance, commissaire. Rien de grave : une entaille.

Réalisant que je suis en état de tout comprendre il raconte :

— Figurez-vous qu'au bout de quelques kilomètres, je me suis aperçu que vous aviez oublié un petit paquet dans ma voiture. Vous l'aviez déposé à vos pieds sous le tableau de bord et il a glissé dans un virage. Vous voyez de quel paquet je parle ? Un sac de plastique dans lequel vous avez placé une chose heu… plutôt abominable trouvée chez ma cousine. Ça y est ? Bon. Vous pensez bien que, peu soucieux de conserver « ÇA » par-devers moi, je me suis empressé de rebrousser chemin. Je suis donc revenu à la pharmacie et j'ai demandé après vous. Madame (il me désigne Germaine) m'a dit de monter à l'appartement. J'ai frappé, mais ça n'a pas répondu. Je suis redescendu et madame (re-Germaine) est alors montée avec moi, elle a appelé. La vieille est venue ouvrir. Une vision de cauchemar. Des yeux de folle. Les mains sanglantes ! Je ne suis précipité dans son logement et je vous ai trouvé là où vous êtes : inanimé, le pantalon baissé avec une entaille au pubis… C'est alors que la vieille femme a poussé un cri sauvage et s'est ruée sur nous en brandissant un rasoir. Dieu merci, j'ai beaucoup pratiqué le karaté pour vaincre ma timidité. En deux solides manchettes je l'ai neutralisée.

— Où est-elle ? exhalé-je.

— Dans la chambre, avec sa sœur jumelle qu'elle a chloroformée et ligotée, puis poussée sous le lit. Rassurez-vous, j'ai également attaché cette vieille folle.

— Merci…, cousin, balbutié-je.

Dire que je pouvais pas le souder, ce gus ! Et voilà qu'il me sauve la vie. Grâce à Riton, si tu réfléchis bien. La somme de hasards qu'il aura fallu pour que se produise le retour de Vatefaire !

Si je n'étais pas retourné au château la veille. Si Francine ne m'avait pas aguiché et entraîné dans sa chambre ! Si elle n'avait pas glissé la main sous son traversin ! Si je m'étais débarrassé plus tôt du relief humain ! Si je n'avais pas prêté ma Maserati à M. Blanc ! Si j'avais commandé un taxi au lieu de me faire piloter par le cousin ! Si je n'avais pas oublié le sac dans sa tire ! S'il ne l'avait retrouvé que plus tard. Tout ça… Un enchevêtrement d'instants, de faits, de hasards, de gens.

— On va appeler une ambulance pour vous faire conduire à l'hôpital, déclara Germaine. Heureusement qu'il a laissé le flacon du produit que vous avez absorbé à la cuisine et que nous l'avons repéré. Du gardéno-pantéola-fissuré ! Vous pensez ! A base de curare ! Si l'on n'administre pas son antidote dans le quart d'heure qui suit, il n'y a plus rien à faire. Votre salut s'est joué sur une poignée de minutes ! Heureusement que j'avais du privaton-filoché 18 à la pharmacie.

— Merci, ma bonne Germaine. Pas d'ambulance ni d'hosto, je vais remonter le coup tout seul.

— Pas question ! tonitrue la gaillarde. Mon devoir…

— Ton devoir est de ne pas te faire enfiler comme une vache par un flic surmembré, la Grosse ! Qu'est-ce qu'il dirait, ton taximan s'il apprenait la chose ?

Là, je suis carrément dégeu, je le sais. Paraît que ce sont les effets secondaires du gardéno-pantéola-fissuré. C'est un produit qui rend irascible. Elle explique ça au cousin. En tout cas, elle s'abstient d'alerter les ambulanciers et c'est tout ce que je demande. Je pense à Félicie, comme toujours après une rude alerte.

— Tiens ! tu es encore dans nos murs ! ricane le commissaire Mazurier en me voyant sortir de l'immeuble au côté de Maurice Purgon, menottes aux poignets.

— Plus pour longtemps, promets-je.

— Qui est cette vieille dame que tu emballes ?

— Un vieux monsieur.

— Travelo ?

— Pas par vocation. II a pris l'identité de sa sœur jumelle pour essayer de se planquer, allant même jusqu'à molester cette dernière qui commençait à renâcler.

— Qu'est-ce que tu lui reproches ?

— Une douzaine de meurtres suivis de mutilations. Regarde !

Je dépose sur le trottoir un caisson frigorifique découvert dans la cave de dame Purgon où le dingue conservait sa collection de pafs.

— Ouvre !

Il.

— Nom de Dieu ! balbutie mon (extrêmement) confrère.

— Si tu veux aller à la pêche aux écrevisses, pioche dedans, invité-je avec ce cynisme outrancier qui tant fait glapir les cons. T'attaches ça dans les balances et c'est la ruée à reculons des décapodes !

Je referme le caisson.

— Ah ! que je te dise encore, grand : tu peux stopper ton enquête sur le meurtre du docteur Pardevent ; c'est également monsieur qui en est l'auteur !

— Co… comment ?

— Tu liras tout ça dans les journaux ; Mazuroche. II a avoué sans difficulté. Au début, cet homme agissait dans un esprit de justice pour venger les mémoires de sa mère et de sa jeune sœur qui furent violées et massacrées en Afrique, autrefois. Mais le danger l'a incité à une extension de son « œuvre ». Maintenant, il tue tout ce qui constitue une menace pour sa sécurité. Chose impensable, il serait arrivé à tuer même sa jumelle s'il avait eu du temps devant lui.

Il hébète, Mazurier. La jalousie est une mère constituée par une accumulation d'acétobacters, et qui change le vin en vinaigre. Ma réussite transforme le tempérament de Mazurier en vinaigre. Il me hait d'urgence, fiévreusement. Aimerait pouvoir m'arracher les yeux et enfoncer chacun de mes testicules dans les cavités après avoir préalablement craché dedans. Ensuite, me pisser contre. Et sans doute des tas d'autres trucs moins recommandables.

Il risque :

— C'est bien sûr qu'il a buté la doctoresse ?

— Demande-lui.

Il se tourne vers Maurice Purgon. Ce dernier ressemble à un pigeon malade, engoncé dans son jabot.

— Avec quoi l'avez-vous tuée ? aboie-t-il.

Et l'autre :

— Mon vieux revolver de l'armée.