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Malgré ses efforts pour scruter l’obscurité, tout était noir devant lui. Il entendit le claquement d’un pistolet automatique qu’on armait. Une odeur âcre de sueur lui parvint entre les divers effluves de la ruelle. Il retint son souffle jusqu’à en avoir les poumons douloureux.

Un point lumineux, vert, clignota dans l’ombre.

Il comprit en une fraction de seconde : un téléphone portable accroché à une ceinture. Une autre seconde lui suffit pour passer à l’action.

Il se repoussa du pied contre le mur, épaule en avant, et se jeta sur la lumière avec un rugissement. Bousculant une hanche, il entendit une exclamation, sentit l’homme vaciller. Son élan le projeta contre un autre corps en entraînant le premier avec lui, une voix roula en écho dans la ruelle tandis qu’ils s’écrasaient tous les trois contre le mur opposé.

Une déflagration se fit entendre. Après le bruit assourdissant, Fegan perçut un gémissement aigu qui l’accompagnait dans sa chute. Il attrapa des pieds et, plus haut, du tissu et de la peau. Un homme s’abattit sur lui de tout son poids. À tâtons, il palpa un torse peu musclé, trouva une gorge vulnérable et y asséna un coup avec la tranche de la main. Le corps qui était couché en travers du sien se tordit.

La gueule d’un canon s’alluma dans la ruelle, une balle ricocha par terre près de sa tête. Les oreilles bourdonnantes, il tourna le corps sur lui pour s’en couvrir. Encore deux éclairs et le corps fut pris de convulsions. Suivant le bras jusqu’à trouver la main, Fegan s’empara du pistolet que serraient les doigts crispés, le braqua sur le canon à présent invisible et pressa la détente, trois fois. Comme à la lumière d’un stroboscope, il vit un homme, les bras levés, qui tombait à la renverse.

Fegan s’extirpa de dessous le corps, gagna le mur en rampant et se retourna pour guetter ce qui pourrait bouger dans le noir. Rien. Mais il entendit une sorte de bégaiement, noyé par un gargouillis. Il visa, prêt à tirer encore.

Les hommes de Doyle avaient-ils entendu les coups de feu dans Hester Street ? Encaissée entre les immeubles, la ruelle avait peut-être étouffé le son en l’envoyant vers le haut, mais Fegan ne pouvait prendre le risque. Inutile donc de grimper l’escalier de secours à la sauvette. Il se releva et s’approcha de la porte de service, dos au mur.

Après la brique, sa main tâta la porte métallique, froide et humide dans l’obscurité. Il distinguait à peine l’ampoule cassée au-dessus du battant qu’il martela de ses poings puisque le bruit ne lui importait plus. La petite chambre misérable de M. Lo se trouvait juste à côté.

Fegan écouta. Rien. Il cogna à nouveau.

« Allez vous faire fout’, dit une voix étouffée. J’ai déjà appelé police.

— Monsieur Lo ? »

Silence. Puis : « Qui est là ?

— Gerry… Paddy. Paddy Feeney.

— Qui ?

— Paddy Feeney, du septième. Ouvrez-moi.

— Qu’est-ce vous faites derriè’. Où est clé ?

— J’ai un souci. Laissez-moi entrer. Je rassemble mes affaires en cinq minutes et je m’en vais.

— Souci ? J’ai entendu pistolet. Pas question d’ouvri’. J’appelle police. Police vous met en prison.

— Vous l’avez déjà appelée.

— J’ai menti. Partez, vit’.

— S’il vous plaît. » Fegan appuya son oreille contre la porte. « J’ai besoin de votre aide. Je vous ai payé six mois de loyer en avance, non ?

— Et alors ? fit M. Lo.

— Je pars ce soir. Vous pouvez garder l’argent.

— Bien sûr, je garde, cria M. Lo. Le bail dit trois mois préavis.

— C’est pas vrai… », soupira Fegan. Des hommes allaient venir pour le tuer, et pendant ce temps, il était coincé au fond d’une ruelle avec un Chinois qui mégotait sur son loyer. « On s’en fout du préavis. Gardez ce qui reste et je vous donnerai deux cents dollars cash.

— Allez vous faire fout’. Je prends pas une balle pour deux cents dolla’.

— Quoi, alors ?

— Cinq cents », répondit M. Lo avec la voix pétulante d’un gamin.

Fegan pensa au sac en plastique contenant une liasse de billets, scotché sous la commode de sa chambre. M. Lo profitait de la situation, mais il n’avait pas le choix. « D’accord, cinq cents. Mais vous ouvrez cette putain de porte tout de suite. »

Les verrous claquèrent, les barres de sécurité furent ôtées. M. Lo apparut par le battant entrebâillé.

« Venez. »

23

Assis, la tête dans ses mains, Lennon craignait de regarder Gordon ou Uprichard. Ses supérieurs croyaient que l’affaire était bouclée et n’apprécieraient sûrement pas de voir qu’il ne se rangeait pas à leur avis. Mais il parla malgré tout.

« Je ne pense pas que ce soit le gamin.

— Il est trop tôt pour penser », répliqua Gordon. Il s’était fait monter un petit-déjeuner traditionnel de la cantine et plongeait un morceau de saucisse dans son jaune d’œuf.

Debout contre le radiateur, l’inspecteur principal Uprichard le regardait manger. Il avait eu un infarctus mineur l’année précédente, et on racontait que sa femme l’obligeait à manger du muesli le matin. « Attendez l’autopsie, même si vous espérez que la police scientifique découvre quelque chose.

— On sait qu’il n’était pas seul.

— Il y avait un autre jeune, soit, dit Gordon, la bouche pleine de saucisse et d’œuf. Cela ne signifie pas que celui qu’on a trouvé n’est pas coupable. Ni qu’il l’est, du reste. Vous tirez vos conclusions beaucoup trop vite, inspecteur Lennon. Il va falloir que vous appreniez à prendre du recul et à considérer les faits comme un tout. Moi qui suis dans la partie depuis trente ans, je peux vous assurer d’une chose. » Il pointa sa fourchette sur Lennon pour appuyer ses paroles. « Vous tournerez en rond si vous menez vos enquêtes avec un ordre du jour.

— Pardon ?

— En voyant Quigley, vous avez aussitôt déclaré : “Ça ne peut pas être une coïncidence.” Ce genre de réaction affectera toute votre carrière ici si vous ne montrez pas plus de prudence. »

Lennon dut admettre que Gordon avait raison. « Un point pour vous, concéda-t-il. Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

— Je vous suggère de rentrer chez vous et de vous reposer un peu, dit Uprichard. Vous avez l’air épuisé. On ne peut guère progresser avant d’avoir reçu le compte rendu d’autopsie et le rapport de la police scientifique. »

Gordon postillonna quelques miettes de son pain grillé en parlant. « Nous avons mis trois équipes sur l’enquête de voisinage pour savoir avec qui le jeune garçon était ami. On vous appellera si on apprend quelque chose.

— Très bien. » Lennon se leva et se dirigea vers la porte.

« N’essayez pas de trouver ce qui n’existe pas, lança Gordon. Vous risquez de passer à côté de la vérité à force de traquer le mensonge, comme tous les débutants. »

Lennon resta allongé sur le dos pendant une heure à attendre le sommeil, une menace de migraine derrière les yeux. Rattraper les heures de la nuit le soulagerait, mais il ne se faisait pas d’illusions. Plus il désirerait plonger dans une douce et noire torpeur, moins elle lui serait accordée.

Encore le silence. Trop de silence, rompu par trop de pensées. La plupart tournaient autour de Marie et d’Ellen. Juste après leur disparition, il rassembla toutes les informations, suppliant ses relations, interrogeant chacune de ses connaissances. Partout, c’était la même histoire : Marie ne se sentait plus en sécurité après le sauvage assassinat de son oncle et avait choisi de se retirer dans un endroit qu’elle tenait secret. Lennon finit par renoncer. Mieux valait accepter que sa fille était bel et bien perdue pour lui. Peu importait qu’elle vécût à Belfast ou quelque part de l’autre côté de la mer ; de toute façon, il ne la connaîtrait jamais.