Выбрать главу

— Tout juste. »

Orla raccrocha et jeta le téléphone sur son lit. Elle écrasa sa cigarette, regarda sa montre. C’était l’heure de changer la poche de son père. Le vieil homme refusant de confier cette tâche aux infirmières, elle devait elle-même détacher l’appareillage contenant les matières fécales, puis s’en débarrasser, après en avoir posé un autre sur la stomie pratiquée dans l’abdomen de son père. Les premières fois, elle avait pleuré. À présent, elle accomplissait les gestes machinalement, sans prêter attention à l’odeur.

Elle descendit deux volées de marches pour gagner le premier étage, emprunta le couloir suspendu qui surplombait le vestibule et frappa à la porte de la chambre de son père.

« Qui est-ce ?

— C’est moi.

— Entre », dit O’Kane.

Il y avait une urgence inquiétante dans sa voix. Orla ouvrit la porte, se dirigea vers le lit. À mi-chemin, elle s’immobilisa.

« Ne reste pas plantée là comme une imbécile, lâcha O’Kane. Viens m’aider. »

Il était assis sur le bord du lit, ses jambes enveloppées dans les couvertures et les draps tachés d’orange et de rouge. Un bol en plastique gisait à terre, ainsi qu’un verre vide. Le plateau était appuyé contre la table de nuit.

Orla s’approcha. « Enfin, papa, pourquoi tu n’as pas appelé une des infirmières ?

— Parce que je n’aime pas les voir tournicoter autour de moi. Tu m’aides, oui ou non ? »

Elle s’agenouilla et attrapa le plateau pour y replacer le bol et le verre. L’odeur était forte ici, si près de lui. Tirant une poignée de serviettes en papier de la boîte posée sur la table de nuit, elle tamponna la soupe et le jus d’orange répandus par terre.

« Il faut que tu laisses les infirmières t’aider, de temps en temps. C’est pour ça qu’on les paye. Je ne peux pas toujours être derrière toi.

— Je ne veux pas qu’elles m’approchent, répliqua le Bull. Si je ne peux même pas compter sur ma propre fille, bon sang, qu’est-ce qui me reste ? »

Avant de pouvoir se contrôler, Orla sentit la colère monter et elle explosa : « Alors, fais gaffe à tes gestes, un peu ! »

La gifle la déséquilibra. Elle se reçut sur l’épaule, l’oreille brûlante, étourdie par le sifflement strident qui résonnait dans sa tête, et resta étendue sur le sol jusqu’à ce que sa respiration se fût calmée.

L’œil fixe du vieil homme se perdait dans le vague. « Ma propre fille », répéta-t-il.

Orla se mit à genoux pour ramasser les serviettes en papier, les posa sur le plateau, puis se leva et quitta la pièce en emportant le tout. Son oreille bourdonnait, les larmes lui brûlaient les yeux. Une fois dans le couloir, elle lança le plateau contre le mur et regarda les dernières gouttes de soupe et de jus d’orange dégouliner sur le papier peint pendant que bol et verre roulaient au plancher.

25

Les hommes des Doyle se dispersèrent dès qu’ils entendirent la sirène. Emportant tout ce dont il avait besoin dans un sac de sport, Fegan s’éloignait dans Hester Street en direction de l’est quand les gyrophares bleu et rouge éclairèrent les immeubles derrière lui. Il tourna dans Forsyth Street et continua sa route vers le sud jusqu’au terminal du ferry. Les passagers qui rentraient chez eux après leur service de nuit ne lui prêtèrent aucune attention, de même qu’il leur accorda à peine un regard tandis que le bateau à destination de Staten Island glissait sur les eaux de la baie. Après avoir débarqué, il reprit sa marche. Il s’effondra, une fois, en proie à la vision de flammes qui dévoraient une fillette. Renversant la tête en arrière, il hurla au visage de l’aube puis repartit, inondé de sueur.

Sans se l’avouer complètement, Fegan savait dans ses tripes qu’il rentrait chez lui. Il y avait du sang séché entre les touches du portable qu’il gardait toujours dans sa poche et l’écran était rayé, mais l’appareil marchait encore. Il l’entendait souvent sonner en rêve, bien qu’il ignorât s’il éprouvait alors de la terreur ou un soulagement. La réponse lui viendrait bientôt, il le pressentait.

26

Lennon gara l’Audi dans la rue perpendiculaire qui bordait le pub de McKenna. Le bruit de la circulation lui parvenait depuis Springfield Road, quelques mètres plus loin. Oserait-il exécuter son plan jusqu’au bout ? Sa main s’attarda sur la poignée de la portière pendant trente longues secondes avant qu’il ne se décide. Une fois sa résolution prise, il descendit de voiture, verrouilla le véhicule et s’approcha du pub. Les clients, rares à cette heure de l’après-midi, se turent quand il entra. Ce n’était pas le genre d’endroit où les étrangers sont les bienvenus. Il soutint les regards braqués sur lui et gagna le comptoir.

« Une pinte de Stella », dit-il.

Le barman approcha le verre du robinet et le remplit à ras bord. Lennon sortit son portefeuille pour poser un billet de cinq livres sur le bar. La bière fraîche lui piqua la gorge. Pendant qu’il buvait, le barman lui rendit la monnaie.

« Tom Mooney, c’est ça ? interrogea Lennon.

— Oui. Et vous, vous êtes qui ? »

Lennon ouvrit son portefeuille et le présenta discrètement.

Mooney rentra aussitôt la tête dans les épaules. « Qu’est-ce que vous voulez ? »

Lennon rangea le portefeuille. « Vous connaissez Marie McKenna ?

— Évidemment. Son père était le proprio.

— Non, corrigea Lennon. Son oncle. La licence portait le nom de son père, mais c’est Michael McKenna qui était propriétaire.

— Plus maintenant, marmonna Mooney.

— En effet. C’est curieux, d’ailleurs, ce qui est arrivé à Michael. Et puis cette histoire avec Paul McGinty à la ferme de Middletown.

— Un traquenard.

— Oui… Vous avez eu des nouvelles de Marie, récemment.

— Elle a déménagé. C’est tout ce que je sais.

— Où ça ? Vous avez une idée ?

— Oh non. Aucune.

— Vraiment aucune ? Vous n’avez rien entendu ? Des rumeurs ? »

Mooney se pencha en avant. « Je suis dur de la feuille, dit-il. Je n’entends pas les rumeurs. »

Lennon lui sourit. « C’est personnel. Rien d’officiel. Elle n’a rien fait de mal, je veux juste lui parler. A-t-elle dit où elle allait ?

— Absolument pas, répondit Mooney, plus détendu. Même sa mère n’en sait rien. Marie lui a téléphoné un jour pour annoncer qu’elle était partie, c’est tout. Vous savez que son père a eu une attaque il y a quinze jours ?

— Non, je l’ignorais.

— Il est au Royal. Je suis allé lui rendre visite. Il est paralysé d’un côté, avec la gueule à moitié ouverte… Incapable de parler. C’est pitoyable. Il y a des gens dans la famille de Marie qui l’ont mauvaise, parce qu’elle n’est pas venue le voir. Si vous voulez mon avis, elle a pris peur à cause de cette rixe et elle a fait ses valises. On ne peut pas le lui reprocher, dans le fond.

— C’est vrai.

— Vous avez autre chose à me demander ?

— Oui, rapidement… Vous êtes l’un des derniers à avoir vu Michael McKenna en vie. Il est parti avec un ivrogne, l’a déposé chez lui, et ensuite on l’a retrouvé sur les quais, la cervelle explosée. D’après les rapports d’enquête, il vous a téléphoné juste avant.

— J’ai déjà répondu aux questions, dit Mooney. J’ai témoigné. Tout a été enregistré. Si vous voulez un renseignement, regardez dans le dossier. Maintenant, finissez votre bière et fichez le camp. »

Lennon but une gorgée. « Donnez-moi une autre Stella.

— Vous n’avez pas fini celle-là.