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Saisi d’un nouvel accès de démangeaisons, il cligna de l’œil. Un liquide tiède lui coula le long de la joue. « Eh merde. »

Il attrapa une serviette en papier dans la poche de la portière pour s’essuyer. Un fragment se déchira et resta collé à ses cils en dansant dans son champ de vision. Sa paupière s’affola. « Merde, répéta-t-il. Sale connasse de vieille pute. »

Renversant la tête en arrière, il papillonna des yeux. Il dut tirer fort pour détacher le morceau de papier. Après avoir trouvé à tâtons la bouteille d’eau dans la portière, il dévissa le bouchon et, aveuglé, versa de l’eau dans sa paume, s’en aspergea l’œil, puis s’essuya du revers de la main et de la manche. Entre deux cillements, il recouvrait en partie la vue. Lorsqu’il put allumer le plafonnier, son reflet troublé apparut et lui échappa tour à tour dans le rétroviseur. Ce n’était pas beau à voir. Il avait la paupière enflée, le blanc de l’œil strié de rouge. Peut-être devait-il encore appliquer plus de pommade. Il chercha le tube qu’il avait laissé tomber quelque part.

C’est alors qu’il vit Patsy Toner qui le regardait, debout sur le trottoir en face.

Il lâcha un juron et passa la main entre ses jambes pour chercher le Desert Eagle qu’il avait glissé sous le siège, mais ne trouva que le tapis humide, semé de détritus.

Toner ne resta pas longtemps pétrifié. Il partit en courant vers la porte de son immeuble. Le Voyageur s’érafla les doigts sur les rails métalliques du siège et poursuivit son exploration au fond de l’étroit espace tout en surveillant Toner. Les gémissements plaintifs de l’avocat couvraient à peine le bruit de la clé qu’il insérait dans la serrure.

Le Voyageur se contorsionna en enfonçant davantage la main. Son épaule blessée renâclait à l’effort mais il fut récompensé en sentant le froid de l’arme sous ses doigts. Il attrapa l’Eagle, sortit d’un bond de la voiture, se campa solidement sur ses jambes, engagea une cartouche, visa.

La porte de Toner se referma avec un claquement.

Le Voyageur jura encore. Il courut à la porte et la frappa du pied, une fois, deux fois. Le battant résistait. Toner habitait au dernier étage. Le Voyageur sonna à l’appartement du premier. Il balança à nouveau son pied dans la porte, puis la serra de près pour le cas où l’occupant du premier jetterait un coup d’œil en bas par la fenêtre. À l’intérieur, des pas se firent entendre dans l’escalier.

Une femme d’une quarantaine d’années ouvrit, visiblement en colère. « Qu’est-ce que… »

Le Voyageur lui fendit le nez avec la crosse du pistolet. La femme tomba à la renverse, sa tête heurta le plancher ciré. Elle gémit, cracha du sang en toussant, et ne bougea plus. Pourtant, elle respirait. Le Voyageur envisagea de l’achever, mais le temps pressait. Il l’enjamba et se dirigea vers l’escalier qu’il gravit quatre à quatre jusqu’au dernier étage.

La porte de Toner s’ouvrirait sans résistance, il en était certain. Il marqua une pause, prit une profonde inspiration et s’essuya les yeux avec sa manche. Son œil droit voyait trouble. Il cligna des paupières pour faire le point. Tenant l’Eagle dans une solide prise de combat, une main soutenant l’autre, il envoya un coup de pied sous la poignée de la porte qui s’ouvrit et fut projetée violemment contre le mur. Il distingua un vieux divan élimé dans la pénombre. Des assiettes, des bouteilles et les restes de plusieurs repas à emporter s’entassaient sur une table basse. Il entra prudemment. Une brise lécha son visage moite de sueur.

« Putain de connard d’enfoiré. »

Au coin de la kitchenette, une porte était entrouverte sur un escalier en métal qui descendait dans le jardin, deux étages plus bas. Il poussa un juron. Un escalier de secours.

Sa paupière battait, son œil le brûlait, il voyait flou. Un liquide chaud coulait sur sa joue. Son épaule gauche lui faisait mal.

« Saleté de merde de fils de pute. »

30

Dans la chambre d’un motel bas de gamme situé près de l’aéroport de Newark, Fegan se redressa sur son lit en respirant avec difficulté. Le téléphone avait-il vraiment sonné ? Il attrapa à tâtons son portable sur la table de nuit et appuya sur une touche. Une lueur se fit dans l’obscurité.

Aucun appel. Il reposa l’appareil et se rallongea sur les couvertures. L’oreiller était humide de sueur. Il avait rêvé d’un incendie, d’une fumée épaisse engloutissant une petite fille dont les cris se transformaient en sonnerie de téléphone. L’enfant s’appelait Ellen McKenna. Elle devait avoir presque six ans maintenant. Quelques mois plus tôt à peine, Fegan l’avait emportée loin du cadavre des hommes qu’il avait tués. Elle fermait les yeux comme il le lui avait ordonné et se blottissait contre son cou. Sa peau était chaude.

La dernière fois qu’il l’avait vue, à l’arrière de la voiture de sa mère sur le quai de Dundalk Port, elle agitait la main pour lui dire au revoir. Cela lui paraissait si loin, dans une autre vie. Si Marie McKenna était en danger, elle pouvait l’appeler sur le portable qu’il gardait contre sa hanche sans jamais s’en séparer. Il se frotta l’épaule gauche. Sa cicatrice le démangeait comme si de minuscules araignées grouillaient sous le trait de peau rose et brillant.

Il s’absorba dans ses pensées. Les rêves pouvaient-ils déborder sur les heures d’éveil ? Il savait d’expérience que l’ici se confondait parfois avec d’autres ailleurs. C’est pourquoi rêver d’incendies et de fillettes prises dans les flammes le terrifiait, à en avoir le ventre noué et les jambes flageolantes.

La mère d’Ellen n’apparaissait jamais dans ces rêves. Fegan devait parfois faire un effort pour se rappeler les traits de Marie McKenna. Il la revoyait sur le quai, lui interdisant de revenir, mais son visage avait perdu toute réalité. Comme quelqu’un qu’il aurait seulement imaginé, qui n’avait jamais vraiment existé. Quand son téléphone sonnerait, et il n’en doutait pas, elle redeviendrait réelle. Il redoutait ce moment.

Mais si Marie appelait — quand elle appellerait —, il irait la rejoindre. Il lui avait juré qu’elle serait en sécurité, ainsi qu’Ellen. Bien qu’il eût répandu le sang autour de lui pendant une grande partie de sa vie, il se reprochait surtout d’avoir entraîné Marie et Ellen dans la violence qui semblait invariablement graviter autour de lui. Par sa faute, la mort avait frappé à leur porte ; il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour l’empêcher d’entrer.

La chambre vibra au passage d’un avion. L’appel viendrait bientôt, il en était sûr. Ensuite, il achèterait un billet pour Belfast à l’aéroport. Il retournerait chez lui, dans la ville qu’il pensait ne jamais revoir, et il finirait ce qu’il avait commencé.

31

« Que faisiez-vous hier chez Jonathan Nesbitt ? » demanda l’inspecteur principal Gordon, les mains croisées sur le bureau.

Dan Hewitt se taisait, debout au coin de la pièce.

Lennon regarda les deux hommes tour à tour. « Je voulais juste l’interroger.

— À propos de quoi ? »

Lennon chercha à inventer un prétexte. Mais Gordon enchaînait déjà : « Je vous ai renvoyé chez vous hier pour que vous vous reposiez, pas pour harceler un honnête homme comme Jonathan Nesbitt.