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Sixième et dernier étage. Il scruta le couloir par la vitre de la porte. Éclairage tamisé, pas le moindre mouvement. Il ouvrit le battant, le plus doucement possible, mais celui-ci craqua malgré tout. À part ça, aucun bruit. Rien ne bougeait derrière la première des quatre portes, sous laquelle passait un rai de lumière. Sans lâcher la poignée, il s’engagea dans le couloir et avança à pas feutrés sur l’épaisse moquette.

Deuxième porte à droite ; il reconnut un 4 et un B. Il s’approcha en surveillant le mince trait faiblement éclairé. Aucun bruit ne montait de l’autre côté du battant, pas même celui d’une télévision. Il colla son oreille contre le bois. Silence. Par l’œilleton, il ne vit que des ombres déformées. Il recula pour examiner la porte. Solide. En chêne, apparemment, différente des autres. Sans doute de fabrication spéciale.

Il inséra la première clé dans la serrure et fit la grimace en entendant le cliquetis du pêne. La porte accusa le lest. Il se prépara à utiliser la clé qui faisait coulisser le cylindre central. Elle entra sans heurt, tourna aisément. La porte s’ouvrit. Et buta moins de cinq centimètres plus loin. Un braillement d’enfant à l’intérieur, une voix qui lui chuchotait de se taire. Le Voyageur poussa plus fort… Une chaîne, tirée à son maximum.

Un chuchotement effrayé, l’enfant qui pleurait, une course de pieds en chaussettes sur le tapis. Il donna un coup dans la porte de son épaule valide. Autant s’en prendre à un mur. C’était une chaîne solide, du bon boulot de serrurier, pas la daube qu’on trouvait au rabais dans les grandes surfaces. Des portes claquèrent de l’autre côté, puis encore des pas. Il regarda par l’ouverture. Les ombres s’agitaient à présent.

« J’ai une arme, cria la voix de la femme.

— Moi aussi. Je parie que la mienne est plus grosse.

— J’ai appelé la police.

— Vous avez fait vite.

— Je suis en train.

— Ça ira, avec le flingue et le téléphone en même temps ? »

Le Voyageur leva le Browning. Il recula, engagea une cartouche dans la chambre, puis, solidement campé sur ses jambes, tira dans la porte en visant la chaîne de l’autre côté. Une autre cartouche, une deuxième explosion… Quand la fumée se dissipa, il s’aperçut qu’il n’avait pas causé autant de dégâts qu’il l’imaginait. Il s’approcha pour examiner le trou, de petite taille. Le bois était fendu tout autour mais l’acier résistait. Il regarda à l’intérieur.

Sur le seuil d’une pièce, une main tremblante tenait un pistolet. Un Glock ressemblant à celui que Hewitt lui avait donné. Il distinguait mal la silhouette de la femme dans l’encadrement de la porte et entendit une respiration sifflante, un gémissement. Un éclair jaillit de la gueule du pistolet. Il s’écarta d’un bond. Pas la peine. La balle toucha l’acier à plus de trente centimètres au moins de l’endroit où se trouvait son œil un instant auparavant.

« Faudrait vous entraîner un peu, avec ce machin, fit-il remarquer. Vous tirez comme un pied. Ça sert à rien d’appeler les flics maintenant. Je suis sûr que les voisins vous ont doublée.

— Alors, allez-vous-en, dit-elle d’une voix mal assurée.

— Non, je crois pas… Ouvrez-moi cette porte et je serai pas trop méchant avec la petite. Je peux pas vous promettre plus. »

Encore une détonation, comme un coup de poing dans la porte. Il entendit des sanglots déchirants. « Bon, je vous ai laissé une chance. »

En inspectant la porte, il vit où était accrochée la chaîne. Il leva son Browning, chargea, tira deux fois. Le métal commençait à se tordre. Il rechargea, à l’affût du bruit des sirènes malgré l’écho assourdissant qui s’attardait dans ses oreilles. L’enfant poussait des cris stridents au fond de l’appartement, auxquels se mêlait le gémissement aigu causé par le coup de fusil. Ces salopards de flics lui avaient piqué ses bouchons d’oreilles.

La plainte fut noyée par la sonnerie d’un portable.

Le Voyageur fit un pas en arrière, puis se projeta en avant et envoya son pied droit de toutes ses forces dans la porte. Le battant s’ouvrit et alla cogner contre le mur. Il rechargea, à demi aveuglé par la fumée. La sonnerie se tut. Il leva son arme en repérant la femme qui s’était reculée craintivement vers le salon.

Elle ne bougeait pas. Il s’approcha et distingua les taches rouges qui criblaient sa joue. Une fleur d’un rouge plus vif au-dessus de son sein droit. Elle inspira, toussa. Les yeux qu’elle fixait sur lui étaient pleins de peur et de haine.

Derrière elle, dans le salon, le portable sonna à nouveau. L’écran teintait la pièce d’une lueur blafarde. L’appareil en vibrant glissait sur la table basse.

« Laissez, je vais répondre », dit le Voyageur.

72

Lennon garda le téléphone à l’oreille pendant que l’Audi accélérait. Il le coinça contre son épaule pour changer de vitesse, faillit le perdre et le rattrapa juste à temps. Encore la messagerie. Il passa la troisième, abordant la jonction de York Street avec le Westlink à presque cent à l’heure. Quand le feu devint rouge, il maintint le klaxon enfoncé en ralentissant à peine tandis que les autres conducteurs nocturnes pilaient pour l’éviter. Les indicateurs de contrôle de la traction clignotèrent au tableau de bord, la voiture dérapa en virant pour s’engager sur la M2. Les roues heurtèrent le trottoir et un crissement de pneus s’éleva au moment où l’aile arrière raclait un lampadaire. Lennon rattrapa la chaussée.

Il fit une troisième tentative. « Allez… décroche… », murmura-t-il.

Pas de sonnerie. La messagerie, directement. À qui parlait-elle ? Était-elle en train de le rappeler ?

« Marie, si tu as ce message, rappelle-moi tout de suite. Tout de suite, tu m’entends ? »

Il raccrocha. Regardant tour à tour l’écran du portable et la route devant lui, il composa le numéro de son commissariat. La sonnerie s’interrompit, trois fois, indiquant plusieurs transferts successifs. À cause du drame qui s’était produit dans la zone de détention, personne ne se trouvait à son poste. Le commissariat le plus proche récupérerait l’appel. « Passez-moi Carrickfergus », dit-il lorsqu’il obtint enfin une réponse.

73

Portable à l’oreille, Fegan arpentait la chambre de la guesthouse en écoutant la sonnerie à laquelle personne ne répondait. Sa peur se nourrissait d’elle-même, chaque fois renouvelée et grandissant toujours davantage. Il avait essayé de dormir, mais la vision de l’incendie, l’odeur de la chair et des cheveux qui brûlaient, les hurlements d’un enfant, venaient de le réveiller. Les vêtements trempés de sueur, il s’était rué sur le téléphone.

La sonnerie s’arrêta, remplacée par une respiration régulière.

« Marie ? demanda-t-il, la voix aiguisée par la peur.

— Elle ne peut pas répondre pour l’instant. »

Une voix d’homme. Le genre de voix que Fegan ne connaissait que trop bien. La tête lui tourna. Il s’assit sur le bord du lit.

« Où est-elle ?

— Juste là, répondit la voix. Avec la petite.

— Qui es-tu ? »

Il y eut un silence. « Et toi ? Tu serais pas le célèbre Gerry Fegan ?

— Ne les touche pas.

— J’ai beaucoup entendu parler de toi, continua la voix. Je meurs d’envie de te rencontrer en chair et en os. Quelque chose me dit qu’on serait comme les deux doigts de la main. »