Выбрать главу

Marie toussa, gémit de douleur. Elle parvint à reprendre son souffle. « Qu’est-ce que vous racontez ?

— À ce qu’y me paraît, c’est une brute. Un tueur. » Il observa son visage où les lumières du village jetaient des ombres mouvantes. « Exactement comme moi. Qu’est-ce qui fait qu’il est bon ? Et pourquoi je suis mauvais, moi ? »

Le visage de la femme repassa dans l’ombre. Ses yeux scintillaient en clair-obscur. « Vous me tenez en otage avec mon enfant, et vous posez cette question ? »

Plus loin, d’autres villages, et au-delà, la ville de Lurgan, avec ses rues tortueuses et ses feux rouges et ses flics. Il tourna à gauche sur une route étroite de campagne. Le monde s’obscurcit.

« M. Gerry Fegan, y a un moment que j’aimerais le rencontrer », dit-il. Il grimaça dans le miroir, même s’il ne distinguait plus la femme et la fillette dans le noir. « On risque de ne pas en avoir l’occasion, maintenant. Dommage. Ce serait marrant de voir ce qu’il a là-dedans. À ce qu’y paraît, ce serait pas facile. Il se battrait. »

Il attendit une réponse. Aucune ne vint, sauf le sifflement dans la poitrine de la femme.

« Ça me plairait, reprit-il. C’est peut-être un barge de première, mais moi aussi. J’ai jamais connu quelqu’un que j’aie pas réussi à mater. Et j’aime les défis, vous savez ? »

Il scruta le rétroviseur, ne trouva rien. Il n’entendait même plus la respiration oppressée de la femme.

« Vous pouvez être sûre d’une chose, continua-t-il. Votre copain Gerry va payer pour ses fautes. Que ce soit moi ou les flics, il passera un sale quart d’heure. Il partira pas sans souffrir. Il a fait chier trop de monde pour s’en tirer si facilement. La seule question, c’est de… »

Une douleur effroyable lui zébra le cuir chevelu. De petites mains agrippaient sa tête vers l’arrière. Un hurlement strident lui perça l’oreille gauche. Les mains tordaient et arrachaient. Il voulut les saisir de la main droite, mais la ceinture le bloqua et ses doigts n’attrapèrent que des mèches de cheveux. La voiture fit un écart en heurtant le bas-côté, le volant fila. La femme poussa un cri et la fille fut jetée sur un côté, mais elle ne lâcha pas prise pour autant et continua à le lacérer. Il hurla. Sa main blessée quitta à son tour le volant et chercha désespérément à toucher l’enfant qui criait toujours ; la ceinture de sécurité lui barra la poitrine, sa tête fut projetée en avant puis partit en arrière ; le noir, calme et silencieux, hormis une sonnerie insistante apportée par une brise froide qui soufflait loin derrière lui.

75

Lennon attendait, seul dans la cuisine. Un agent de police de Carrickfergus traînait dans le couloir de l’immeuble pendant qu’un sergent recevait les dépositions des résidents des étages inférieurs. Tout le personnel disponible se trouvait sur les lieux du meurtre de l’inspecteur principal Gordon. Le commissariat de Carrickfergus avait envoyé son unique voiture en la rappelant d’une patrouille dont le but consistait à dépister les conducteurs ivres. Lennon arriva le premier et monta directement à l’appartement, où il trouva la porte explosée, les pièces désertes.

L’inquiétude et la peur se disputaient en lui comme des chats errants. Son esprit ne se concentrait pas assez longtemps, il était incapable de préparer un plan d’action. Il appela à nouveau le commissariat pour joindre l’inspecteur principal Uprichard. Quand l’agent de service finit par répondre, ce fut pour expliquer que Uprichard était trop occupé, que Lennon devait rester sur place et sécuriser les lieux jusqu’à ce qu’on débloque une équipe du District D.

« Je ne peux pas ne rien faire, dit Lennon. Il tient ma fille. L’homme que vous aviez mis en garde à vue il y a trois heures.

— Je comprends, répondit l’agent de service, mais un officier a été assassiné. Tous ceux qu’on réussit à contacter donnent un coup de main. En plus, vous savez que Carrickfergus dépend du District D ; on leur refile des hommes seulement pour les cas d’urgence. Sinon, il vous faudra attendre une équipe de Lisburn.

— Les cas d’urgence ? Mais qu’est-ce que vous racontez, putain ? C’est ma fille. L’homme qui a tué Gordon l’a chopée.

— Mais il ne la détient pas là-bas », répliqua l’agent de service.

Lennon n’avait pas de réponse, aucun mot pour exprimer sa frustration.

« Pour que ça serve à quelque chose, poursuivit l’agent de service, vous avez besoin d’une unité de la MIT et de techniciens. Eux, ils sont retenus ici pour l’instant, et Lisburn enverra ses gars dès que possible. Je suis désolé, monsieur. Je ne peux pas faire mieux en ce moment. Maintenant, si vous voulez bien m’excuser. C’est la pagaille. »

Lennon raccrocha. Il marcha en rond dans la petite cuisine, s’arrêta au lavabo, ouvrit le robinet, s’aspergea le visage, s’essuya sur sa manche. En sortant, il vit son Glock par terre. L’arme n’avait pas beaucoup aidé Marie. Il se pencha pour la ramasser.

L’agent de police se déplaça gauchement sur un pied et toussa à la porte. Wallace, il s’appelait. Il regarda Lennon avec un respect teinté d’inquiétude. Dans le service depuis peu, apparemment, et sans doute terminant sa période d’essai, on l’avait mis en équipe avec un vieux sergent pour lui enseigner les ficelles.

« Est-ce que vous devriez prendre ça, inspecteur ? » demanda-t-il en désignant le Glock. Il se décomposa quand Lennon le fusilla du regard. « Je veux dire… C’est une preuve sur les lieux du crime, non ? »

Lennon lui tapota l’épaule et sortit dans le couloir de l’immeuble. « Vous irez loin, agent Wallace. »

Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent, livrant passage au sergent Dodds. Il consultait son calepin en marchant.

« Alors ? demanda Lennon.

— Rien d’utile. Trois appartements seulement sont occupés. Tout le monde a entendu les coups de feu et deux personnes ont appelé la police. Ils se sont tous enfermés derrière leur porte en baissant la tête jusqu’à ce qu’ils entendent notre sirène. Personne n’a rien dit. »

Lennon s’y attendait. « Très bien. » Il partit vers l’ascenseur. « Une unité de la MIT va arriver de Lisburn, quand ils auront constitué une équipe, avec des techniciens dès qu’ils pourront se libérer. Wallace, vous restez ici. Dodds, attendez en bas à l’entrée. Ne laissez personne utiliser l’escalier, si vous pouvez. »

Dodds suivit Lennon dans l’ascenseur. « Et vous, vous allez où ?

— Voir quelqu’un.

— Qui ?

— Quelqu’un. » Lennon pria pour que Roscoe Patterson ait envie de boire ce soir.

76

Le Voyageur posa l’épaule contre la portière et poussa. Le métal s’ouvrit à peine ; la haie résistait. « Saloperie de merde. » Il se glissa sur le siège opposé en franchissant l’accoudoir, tête la première. Le levier de vitesses se logea entre ses couilles, il gémit. Dans une seconde ou deux, la douleur irait rejoindre celle qui palpitait dans sa poitrine, à l’endroit où la ceinture de sécurité l’avait écrasé en lui coupant le souffle. Son cou aussi lui faisait mal, depuis l’épaule jusqu’à l’arrière de son crâne, puis plus haut encore, sur le front.

Il sortit par la portière passager, attrapa le portable de Marie et appuya sur une touche. L’écran s’était fendu mais l’appareil marchait encore et jetait une faible lumière. Il s’en servit comme d’une lampe torche pour inspecter les dégâts subis par la voiture. Ce n’était pas aussi terrible qu’il le craignait. La haie avait amorti le choc sur le talus, la vieille Volkswagen tenait le coup. Il éclaira les pneus. La terre n’était pas trop mouillée ; il réussirait à s’extirper de la végétation en marche arrière.