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Il perçut la seconde explosion à travers la semelle de ses espadrilles, et revit le sourire idiot gravé dans la masse de plastic posée sur la console de cyberspace de Ramirez. Il n’y eut aucun éclair, rien qu’un bruit et la déflagration transmise à travers le béton du parking.

Puis il se retrouva dans le poste de pilotage, humant l’odeur de voiture neuve caractéristique des monomères à longue chaîne, le parfum familier de la technique de pointe, et la fille était derrière lui, poupée maladroite étalée dans l’étreinte du filet anti-g que Conroy avait acheté à un trafiquant d’armes de San Diego pour l’installer derrière la nacelle du pilote. L’appareil vibrait, chose vivante, et tout en se faufilant dans sa propre nacelle, il chercha à tâtons le câble d’interface, le trouva, retira de sa prise le microgiciel pour insérer à la place la fiche terminale du câble.

Les données s’allumèrent en lui comme dans un jeu de bistrot et il bondit en avant, habité par l’aérodynamique de l’appareil, sentant la structure flexible des surfaces portantes se reconfigurer pour le décollage tandis que la bulle se refermait sur ses vérins dans un doux gémissement. Le filet anti-g se gonfla autour de lui, emprisonnant ses membres, sa main qui n’avait pas lâché le pistolet.

— Allez, décolle, bordel !

Mais l’appareil savait déjà, et l’accélération l’écrasa dans les ténèbres.

— Vous avez perdu conscience, dit l’avion.

La voix synthétique ressemblait vaguement à celle de Conroy.

— Longtemps ?

— Trente-huit secondes.

— Où sommes-nous ?

— Au-dessus de Nagos.

L’affichage tête haute s’illumina, une douzaine de chiffres en constante évolution au-dessous d’une carte simplifiée de la frontière Arizona-Sonora.

Le ciel devint blanc.

— Qu’est-ce que c’était ?

Silence.

— Qu’est-ce que c’était ?

— Les détecteurs indiquent une explosion, annonça l’avion. La magnitude suggère une tête nucléaire tactique mais il n’y a aucune impulsion électromagnétique. L’épicentre correspond à notre point de départ.

La lueur bleue s’atténua puis disparut.

— Annulation de la route, ordonna-t-il.

— Route annulée. Nouveau cap, SVP ?

— C’est une bonne question, dit Turner.

Il ne pouvait pas tourner la tête pour regarder la fille derrière lui. Il se demanda si elle était morte.

BOÎTE

Marly rêvait d’Alain, pénombre dans une prairie de fleurs sauvages. Il lui maintenait délicatement la tête, puis il la caressa et lui brisa le cou. Elle gisait inerte mais savait ce qu’il faisait. Il la couvrait de baisers. S’emparait de son argent et des clés de sa chambre. Les étoiles étaient immenses à présent, immobiles au-dessus des champs illuminés, et elle pouvait encore sentir ses mains sur son cou…

Elle s’éveilla dans un matin qui sentait bon le café et vit les carrés de lumière solaire étalés sur les livres jonchant la table d’Andréa, entendit le bruit réconfortant de l’habituelle toux matinale d’Andréa, tandis qu’elle allumait une première cigarette au brûleur frontal de la cuisinière. Elle secoua la tête pour effacer les couleurs sombres du rêve et s’assit sur le canapé d’Andréa, serrant le plaid rouge sombre autour de ses genoux. Après Gnass, après la police et les journalistes, elle n’avait jamais rêvé de lui. Ou alors, elle avait, d’une manière ou d’une autre, censuré les rêves, les avait effacés avant son réveil. Elle frissonna, bien que le matin fût déjà chaud, et gagna la salle de bains. Elle ne voulait plus rêver d’Alain.

— Paco m’a dit qu’Alain était armé lorsqu’on s’est rencontrés, lui dit-elle lorsqu’Andréa lui tendit une tasse à café émaillée bleue.

— Alain, armé ? (Andréa partagea l’omelette dont elle fit glisser la moitié sur l’assiette de Marly.) Quelle idée bizarre… Ce serait comme… comme d’armer un pingouin. (Elles rirent.) Pas le genre d’Alain, observa Andréa. Je le vois bien s’envoyer une balle dans le pied au milieu de quelque déclaration passionnée sur l’état de l’art et le montant de sa note de restaurant. C’est la grande gueule, Alain, mais on peut pas dire que ce soit nouveau. À ta place, je m’attendrais à plus d’ennuis de la part de ce Paco. Quelle raison as-tu de croire qu’il bosse pour Virek ?

Elle prit une bouchée d’omelette et saisit la salière.

— Je l’ai vu. Il était dans la reconstitution de Virek.

— Tu as vu quelque chose – rien qu’une image, l’image d’un enfant – qui n’avait qu’une ressemblance avec cet homme.

Marly regarda Andréa manger sa moitié d’omelette, tandis qu’elle laissait la sienne refroidir dans l’assiette. Comment pouvait-elle expliquer l’impression qu’elle avait éprouvée en s’éloignant du Louvre ? Cette conviction maintenant d’être cernée, surveillée avec une précision négligée ; d’être devenue le point focal d’au moins une partie de l’empire de Virek.

— C’est un homme très riche, commença-t-elle.

— Virek ? (Andréa reposa dans son assiette couteau et fourchette et leva sa tasse de café.) C’est le moins que je dirais. Si tu crois ce que racontent les journalistes, c’est l’individu le plus riche du monde, point final. Aussi riche que certains zaibatsus. Mais voilà, il y a un hic : est-il vraiment un individu ? Au sens où nous le sommes, toi ou moi ? Non. Tu ne manges pas ?

Marly se mit machinalement à couper et piquer des morceaux de l’omelette en train de refroidir, tandis qu’Andréa poursuivait :

— Tu devrais regarder le manuscrit sur lequel on bosse ce mois-ci.

Marly mastiqua, leva les sourcils, interrogative.

— C’est une histoire des clans industriels en orbite haute. L’auteur est un chercheur à l’université de Nice. Ton Virek est même dedans, maintenant que j’y pense ; il y est cité à titre de contre-exemple, ou plutôt comme modèle d’évolution parallèle. Ce type à Nice s’intéresse au paradoxe de la fortune individuelle dans une époque de multinationales, au paradoxe de son existence même. La grande fortune, je veux dire. Il voit dans les clans en orbite haute, les gens comme les Tessier-Ashpool, une variante très tardive des structures traditionnelles de l’aristocratie, tardive parce que le fonctionnement des entreprises ne permet pas vraiment une aristocratie. (Elle reposa la tasse sur l’assiette puis alla porter le tout dans l’évier.) À vrai dire, maintenant que j’ai commencé à le décrire, ce n’est pas si intéressant que ça. Il y a des tartines de prose terne sur la nature de l’Homme de Masse. Avec des majuscules. Le type est très porté sur les majuscules. Pas le grand styliste.