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— Bonne nuit.

— Vous êtes certaine de ne pas aimer mieux l’une des stations ? demanda monsieur Paleologos, élégant et mince comme une mante dans sa veste blanche en toile. (Il avait les cheveux blancs, ramenés en arrière avec un soin extrême pour dégager le front.) Ce serait moins coûteux et considérablement plus amusant. Vous êtes très mignonne fille…

— Pardon ? (Son attention brutalement détournée de la rue derrière la vitrine maculée de pluie.) Je suis quoi ?

Il parlait un français maladroit, enthousiaste, aux inflexions étranges.

— Une fille très mignonne, rectifia-t-il, un rien guindé. Vous n’aimeriez pas mieux une vacance dans un amas Med ? Avec des gens de votre âge ? Vous êtes juive ?

— Je vous demande pardon ?

— Juive. Vous l’êtes ?

— Non.

— Tant pis, remarqua-t-il. Vous avez les pommettes d’un certain type d’élégantes jeunes juives… J’ai une adorable remise sur une quinzaine pour Jérusalem Extra, un merveilleux environnement compte tenu du prix. Y compris location de scaphandre, trois repas par jour et navette directe depuis le tore de la JAL.

— Location de scaphandre ?

— Ils n’ont pas encore entièrement établi l’atmosphère dans Jérusalem Extra, expliqua monsieur Paleologos, en faisant passer une pile de dépliants roses d’un côté à l’autre de son bureau.

Il officiait dans un box minuscule aux murs décorés de vues holographiques de Poros et de Macao. Elle avait choisi son agence pour son évidente obscurité et parce qu’il lui avait été possible de s’y glisser sans quitter la galerie marchande de la station de métro la plus proche de chez Andréa.

— Non, dit-elle, je ne suis pas intéressée par les stations. Je veux aller ici.

Du doigt, elle tapa l’inscription portée sur le papier bleu froissé d’un paquet de Gauloises.

— Eh bien, fit-il, c’est possible, bien sûr, mais je n’ai pas la liste des possibilités d’hébergement. Ce serait pour rendre visite à des amis ?

— Voyage d’affaires, coupa-t-elle avec impatience. Je dois partir sur-le-champ.

— Très bien, très bien, dit monsieur Paleologos, en prenant un terminal miteux sur une étagère derrière son bureau. Pouvez-vous me donner votre code de crédit, je vous prie ?

Elle fourragea dans son sac de cuir noir pour en sortir l’épaisse liasse de nouveaux yens qu’elle avait retirée du sac de Paco pendant qu’il était occupé à examiner l’appartement où était mort Alain. Les billets étaient attachés avec un ruban élastique rouge translucide.

— Je veux payer en liquide.

— Ah, bigre ! fit monsieur Paleologos, tendant un index rose pour effleurer le billet du dessus, comme s’il s’attendait à voir le tout s’évanouir. Je vois. Eh bien, je comprends, c’est que je ne traite pas d’ordinaire les affaires de cette façon… Enfin, je suppose qu’on pourrait trouver un arrangement.

— Vite, dit-elle, très vite…

Il la regarda.

— Je comprends. Pouvez-vous me dire, je vous prie – ses doigts se mirent à voler sur les touches du terminal portable –, le nom sous lequel vous désirez voyager ?

EN ROUTE

Turner s’éveilla dans la maison silencieuse, au chant des oiseaux dans les pommiers du verger surchargé. Il avait dormi sur le divan défoncé que Rudy gardait dans la cuisine. Il tira de l’eau pour le café, provoquant des coups de bélier dans les canalisations de plastique qui descendaient du réservoir de toit tandis qu’il remplissait la cafetière avant de la poser sur la cuisinière au propane, puis il sortit sur la véranda.

Une pellicule de rosée couvrait les huit véhicules de Rudy, rigoureusement alignés sur le gravier. L’un des chiens augmentés traversa la clôture ouverte au moment où Turner descendait les marches, sa cagoule noire cliquetant doucement dans le calme matinal. Il marqua un arrêt, la bave aux lèvres, balança d’un côté à l’autre sa tête déformée, puis traversa l’allée à toute vitesse pour disparaître au coin du porche.

Turner s’arrêta près du capot d’une jeep Suzuki bronze terni, modifiée pour piles à combustible. Rudy avait dû faire le boulot lui-même. Quatre roues motrices, gros pneus tout-terrain à tétines incrustées de limon gris pâle. Un engin trapu, lent, solide, guère utile sur route…

Il dépassa deux berlines Honda piquées de rouille, identiques, même année, même modèle. Rudy devait en cannibaliser une afin de récupérer des pièces pour l’autre ; aucune n’était en état de marche. Il sourit, l’air absent, en contemplant la peinture immaculée brun et bronze sur le van Chevrolet 1949 : il se souvenait de la carcasse rouillée que Rudy avait ramenée d’Arkansas sur un plateau de location. L’engin marchait encore à l’essence, les parois internes du moteur sans doute aussi impeccables que la laque chocolat astiquée main de ses ailes.

Il y avait une moitié de Dornier à effet de sol, sous des bâches en plastique gris, puis une Suzuki de course noire, fine comme une guêpe, posée sur une remorque-maison. Il se demanda depuis combien de temps Rudy faisait sérieusement de la compétition. Il y avait une autoneige sous une autre bâche, une antiquité, près de la remorque porte-moto. Et puis, l’aéroglisseur gris moucheté, un surplus de guerre, une masse trapue d’acier blindé qui sentait le kérosène que brûlait sa turbine, avec sa jupe en toile armée avachie sur le gravier. Ses fenêtres étaient d’étroites fentes d’épais plastique pare-balles. Turner nota les plaques de l’Ohio boulonnées aux pare-chocs genre bélier de l’engin. Des plaques ordinaires.

— Je vois bien ce que tu dois penser, dit Sally, et il pivota pour la voir à la balustrade du porche, le pot de café dans la main. Rudy dit toujours : Si on ne peut pas passer dessus, on peut toujours passer au travers.

— C’est rapide ? demanda-t-il, la main contre le flanc blindé du glisseur.

— Bien sûr, mais t’auras besoin d’un changement de colonne vertébrale au bout d’une heure.

— Et du point de vue légal ?

— Peut guère dire que les flics apprécient son allure, mais il a son certificat d’homologation. Y a aucune loi contre les blindages, que je sache.

— Angie se sent mieux, l’informa Sally tandis qu’il la suivait par la porte de la cuisine, pas vrai, mon chou ?

Assise à la table de la cuisine, la fille de Mitchell leva les yeux. Ses coquards, comme ceux de Turner, avaient pâli pour devenir deux virgules épaisses, comme deux larmes peintes en bleu-noir.

— Mon ami, là, il est toubib, dit Turner. Il vous a examinée pendant que vous étiez en train de roupiller. Il dit qu’il n’y a pas de problème.

— Votre frère. Il n’est pas médecin.

— Désolée, Turner, intervint Sally, près du fourneau. Je suis plutôt directe…

— Bon, non, il n’est pas médecin, reconnut-il, mais il se débrouille. On avait peur que Maas ait pu vous faire quelque chose, s’arranger de telle manière que vous tombiez malade si vous quittiez l’Arizona…

— Comme une bombe corticale ?

Elle piocha ses céréales froides dans un bol fendillé avec un motif de fleurs de pommier courant autour du bord, un exemplaire d’un service dont Turner se souvenait.

— Seigneur, dit Sally, mais dans quoi t’es-tu fourré, Turner ?

— Bonne question.

Il prit un siège et s’assit à la table.

Angie les fixait en mâchonnant ses céréales.

— Angie, dit-il, quand Rudy vous a examinée au scanner, il a trouvé quelque chose dans votre tête.

Elle cessa de mâcher.

— Il ne savait pas ce que c’était. Un truc que quelqu’un a mis là, peut-être quand vous étiez beaucoup plus jeune. Voyez-vous ce que je veux dire ?