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San-Antonio

Concerto pour porte-jarretelles

CHAPITRE ZERO

Ils auront beau dire, prétendre, la seule véritable aventure, c'est l'homme. Le reste n'est que de l'épisode indigent pour feuilleton au rabais.

L'homme, tu prends une position confortable et tu le regardes vivre, agir ; en moins de rien tu es fasciné. Il te capte, te surprend, t'emmène. Là, le drame véritable commence. Car, tout à ta subjugance, tu cherches à communiquer avec lui. T'as besoin de lui expliquer que tu es un homme, toi aussi, et que, par conséquent, un homme plus un autre homme, ça doit faire deux hommes. Mais il ne l'entend pas de cette oreille, le fumier.

Non plus que de l'autre.

Et la dure évidence te vient, anéantisseuse d'espoirs.

Un homme, plus un homme, ça égale un homme plus un homme, mais jamais deux hommes.

Alors, tu sais quoi ? Tu vas te soûler la gueule, parce que devant l'impuissance, t'as pas d'autre recours que de te poivrer.

Attends, pars pas, je veux pas t'emmerder. Je cause pour le cher mon trop-plein. Une simple petite giclette préalable. La menue branlette du lourdaud trop gonflé des bômes, qu'est obligé d'étalonner sa glandaille pour ne pas bâcler sa partenaire qu'il attend. Je me mets à jour. Je m'accorde la lyre déconnante. On s'extirpe quelques vacheries tourmentantes, comme ça, et après ça va mieux.

Une fois que t'as traité un con de con, tu l'acceptes plus aisément. Te mettre en situation de remords, c'est l'unique solution pour arriver à le supporter. Mais attention, minute, Lisette : pas y prendre goût, virer sadique. Hou, que non ! Le dosage, c'est la force des nations. Un pianiste, tu l'as vu, le moment de passer à l'établi ? Il oppose ses deux mains comme pour prier. Il presse fortement ses doigts gauches contre ses doigts droits, afin de se craquer les jointures. Bien s'assouplir les salsifis avant de déclencher leur galoperie sur le clavier qu'est tellement large, le salaud. Mézigue, pareil. Je me fais craquer la cervelle avant la grande décarrade. Une bouffée délirante, plouf ! que les miasmes m'évadent. Tu crois que j'aurais d'en tirer trois quatre coups de pétard avant, histoire de mobiliser l'attention ? Avertir du beau chambard qui va suivre ? Verser des arrhes sur l'action, somme toute. Ce serait plus correct, mieux loyal vis-à-vis de toi, si féalement mien. Une manière de te toucher la bite en te parlant, en gage de délices futures. T'assurer que, déconneur mais présent, Santantonio, avec toute sa rutilante panoplie homicidiaire que t'halèteras d'ici pas loin. T'auras des sécrétions d'adrénaline dans le guignol et des lichées de chiasse dans le calbute devant tant d'horreurs si horribles, promis, juré. Label de qualité, tu me connais ! Les grands produits, c'est les grands produits ; San-Antonio, le cacao Van Houten, les potes Lustucru, t'as vite fait le tour. Bon, je t'accorde encore Manufrance et les petits-beurre Lu, mais ensuite y a plus d'ensuite. Tu peux retirer l'échelle et en faire un râtelier pour ta vache.

L'histoire qui va suivre est sans précédent, si tu me permets cette délicate plaisanterie, exceptionnelle chez moi qui les taille au burin dans la gadoue, d'ordinaire.

Je te vas narrer une affaire é-pou-van-table, mon drôle. Laisse que je descende des premières lignes afin de te la détailler (et tu verras comme ce verbe du premier groupe convient admirablement). Seulement, l'épouvante ne joue à plein que si tu connais bien les personnages. Toujours la magiquerie fascinante de l'homme. On ne s'intéresse bien qu'à ce que l'on connaît bien. Tiens, exemple : en pornographie… Leur tort c'est de te montrer des gonzesses en plein débordement sexuel sans que tu les connaisses préalablement ni des lèvres, ni du prose. Elles viennent d'où cela ? Elles sont qui est-ce, ces polissonnes bouffeuses de chagattes, pompeuses de biroutes, acalifourcheuses de zobs ?

Mystère et boules quiès ! Des bergères rassemblées sur un plateau, à cause de leurs nichemards bien drus, de leur fion bien pommé. Moteur ! Elles se foutent à l'ouvrage : minette, pipe, levrette tout azimut, roucoulades, pommades, paumade. Bravo. Mais mézigue, ça me laisse marmoréen comme le beau noble visage du maréchal Pétain. Tu sais because ? Parce que ces donzelles me déboulent à poil dans la vie que j'ignore tout d'elles et que dès lors je me tamponne de ce qui les concerne, leurs coûts y compris. Elles ont beau évertuer du valseur, se carrer des trognons de choux dans le bipbip en criant que c'est bon, copuler avec des dalmachiens, je m'en tu sais quoi ?

Branle ! Tandis que je te prends Le Rouge et le Noir de mon pote le Dauphinois, le passage où Julien Sorel, jeune précepteur timide, s'enhardit à saisir la main de Mme de Rénal sous la table, eh ben là ! je monte à la trique, camarade syndiqué. J'érecte à tout vent. Parce que ça, oui, c'est authentiquement pomo.

Bon, allez, ça y est, stop, finito, on ne débloque plus !

Ma philo est belle comme un glave de tubar dans un mouchoir de batiste, mais elle t'écarte les maxillaires, je le sens. T'as pas lerche d'autonomie, côté gamberge.

Tu bâilles vite et grand, c'est fou ce que tu t'ouvres promptement, l'ami, que ça m'en donne le vertige, tout ton vide ainsi exhibé.

Tout a démarré un matin, d'assez bonne heure, au siège de la Paris Détective Agency.

Je prenais un caoua en compagnie de Pinuche, dans mon fastueux burlingue.

On a une kitchenette à l'agence, avec une cafetière italoche impressionnante que la jolie Claudette pilote comme Belletoise une Ferrari.

Avec cet alambic chromé, elle réussit des jus de première : serrés comme des pucelles en guêpière et tellement odorants que tu te croirais, en rentrant chez nous, pénétrer à la Maison du Café.

Mais attends que je fasse les choses normalement, quand on est un grand romancier arrivé, faut pas commettre de fausses manœuvres, sinon on te dérépute vite fait, saligauds comme ils sont tous, et grincheux, poildecuteurs, compteurs de tout, avares de riens.

Par conséquent, si tu permets :

CHAPITRE PREMIER

Le bristol est de forte taille, gravé en belle anglaise luisante comme des pattes d'insecte. Il raconte, ce rectangle immaculé, les choses suivantes : Docteur Franck RÈCHE Ex-Interne des Hôpitaux de Paris Maladies du Système Nerveux Directeur de l'Institut des Blanches Mouettes, 74 SAVORGNAZ.

Ayant lu, je regarde la gente Claudette avec cet air charmeur pour lequel l'étoffé d'un slip ne constitue pas un obstacle.

— Ça consiste en quoi ? demande-je.

— Un beau gosse, répond-elle.

Et ce doit être vachement vrai, car elle s'y connaît, la gueuse.

— Il n'a rien dit ?

— Si : qu'il était votre ami et qu'il arrive de Haute-Savoie uniquement pour vous rencontrer.

Mon ami !

Je relis sa carte. Plonge dans le fouillis de ma mémoire, si bondée, la pauvrette. Pas plus de Franck Rèche dans mes souvenirs que d'accent circonflexe sur le « á » de chalet, contrairement à ce que la plupart des gens s'imaginent.

Plus tu vas, plus tu butes dans des pégreleux qui s'affirment tes aminches ; surtout si tu t'es fait un bout de nom. Des gonziers, tu leur as dit bonjour, un soir, chez des potes communs, et v'là qu'ils se propagent dans les univers en clamant bien haut qu'ils sont à tu et à toi avec ta pomme.

Je fais signe à Claudette d'évacuer nos tasses de moka. Quarante-quatre secondes plus tard (calendrier en main), elle m'introduit le docteur Rèche.

C'est un grand mec, brun de poil, beau gosse tel que les shampooineuses imaginent les beaux gosses ; c'est-à-dire qu'il a la mâchoire carrée, l'air sombre, la bouche sensuelle, le sourcil ténébreux et la chevelure épaisse et calamistrée, bourrée de reflets comme un guidon de vélo au soleil.

Effectivement, j'ai une très vague impression de déjà vu. Il me fonce contre, la vitrine éclairée d'un sourire large de trente centimètres dans lequel les Laboratoires …mail-Diamant-94-Le Ferreux ont leur mot à dire. Il porte un veston en mohair, style prince-de-galles, dans les teintes feuille-morte, un pantalon rouille, une chemise jaune et une cravate vert sombre. Avec ça, il doit se considérer comme étant le médecin le plus élégant de Haute-Savoie et des nations limitrophes.