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— Vous avez entendu ? demande le toubib.

— Heu… absolument pas, et quand bien même j'eusse entendu, croyez, monsieur, que…

Mais Franck Rèche ne lui laisse pas finir sa phrase. Il se courbe sur Baderne-Baderne, comme il s'est courbé sur moi.

— La lessive Patemouille ! redit-il, ce qui rend superflu ses précautions précédentes.

— Celle qui transforme le sale en neuf ? récite Pinuche qui n'écoute jamais la radio d'…tat.

— En personne. Eh bien ! le fils !

— Le fils Patemouille ?

— En réalité, ils s'appellent Blumenstein, mais qu'est-ce que ça change à la qualité de cette lessive ?

— Rien, admet volontiers Finaud.

— Il souffrait de quoi, le fils Patemouille ? reinterviens-je.

— Congénital, il m'a fait une turbulence endémique de la moelle téphal. Il a tenu tant bien que mal le coup jusqu'à l'adolescence, mais ensuite, il est devenu trop agité pour pouvoir rester chez ses parents. Ils l'ont promené dans plusieurs maisons avant de me le confier. Je commençais d'obtenir des résultats notoires, c'est dommage. Ainsi, par exemple, depuis quelques semaines, il ne se mordait plus que le pied gauche au lieu des deux et se masturbait de la main droite, alors qu'il avait été foncièrement gaucher auparavant. Autre chose : au lieu d'aboyer, il miaulait, ce qui, dans son cas, est très révélateur.

Il se tait, nous défrime. Son sourire revient, bon gré mal gré.

Pinaud fait craquer ses jointures, ce qui donne un bruit de casse-noix en activité.

— Première constatation, dit-il, les deux disparus sont des garçons jeunes ; seconde constatation, à travers ce que nous en dit M. le docteur Rèche, ni l'un ni l'autre ne paraissent aptes à circuler librement, en tout cas pas sans se faire remarquer.

— Conclusion, m'empressé-je, manière de sauvegarder mes prérogatives de chef aux yeux du client, ils ne se sont pas sauvés, mais ont été kidnappés.

Le toubib bondit :

— Kidnappés !

— C'est mon premier sentiment.

— Mais jamais personne n'a réclamé de rançon pour le premier, quant au second, j'ai appelé chez moi en arrivant à Paris, nul ne s'est encore manifesté.

— C'est ce qui fait la beauté de ce mystère, docteur.

Je décroche le bigophone.

— Moui ? demande roncheusement Claudette.

— Bérurier n'est pas là ?

— Il est chez son dentiste.

— Appelez-le, ça urge, nous partons pour la Haute-Savoie.

CHAPITRE 1 et demi

Une chose que je peux te certifier : quatre dans une Porsche Carrera, c'est pas le super-panard. D'autant que le docteur Rèche pilote comme s'il se trouvait sur l'anneau de vitesse de Monthléry. Lui, la limitation, il fait comme si pas. Derrière son caducée, il s'estime à l'abri des pandores et des accidents. Tu le verrais doubler des cohortes de gros culs, tu fermerais les yeux et te déboucherais les oreilles. La tornade blanche ?

C'est bien cézigue. Sa tire est immaculée comme une première communiante.

A l'arrière, Pinuche et Béru ressemblent à des bigorneaux dans leurs coquilles. Le Mastar ronchonne tout ce qu'il peut. Grâce aux autoroutes et aux 210 chevaux du bolide, il nous faut à peine cinq heures pour gagner Savorgnaz.

Un crissement de freins ponctué d'une giclée de graviers rosés, et nous voici rendus à destination.

— De nos jours, les distances sont pratiquement abolies, assure Franck Rèche en déhotant.

Nous unissons nos efforts pour arracher le Gravos à l'arrière du véhicule.

Il se tient comme un centenaire arthritique, Alexandre-Benoît, à l'équerre et de guingois, tire-bouchonné, torticolé, les fumerons en dedans, les côtelettes en paquet, les rognons meurtris, une épaule plus haute que l'autre. Pas content, je te prie. Vilainement hostile, même. Le regard cacateux.

— Dites donc, docteur, il interpelle, pourquoi vous v's' achèteriez pas une vraie bagnole, un jour ?

Rèche éclate de rire.

— Et vous, mon vieux, riposte-t-il, pourquoi ne feriez-vous pas un petit régime ?

Le ton est si joyeux, que le Grabide en reste coi. Lors, notre hôte nous désigne la vaste construction qui se dresse devant nous.

— Alors, fait-il, les poings (gantés de pécari) aux hanches, que pensez-vous de ma réalisation, mes bons amis ?

On regarde. Moi, tu connais mes goûts, hein ? Tu sais l'à quel point je suis pour la sobriété, l'unité du style, la pureté des lignes, tout ça ?

Alors j'ai l'épigastre qui s'écaille à visionner la merveilleuse réalisation du doc. Imagine une ancienne maison de maître, avec un perron, des portes-fenêtres, du lierre en branche, vu ? On l'a agrandie en y adjoignant, de part et d'autre, des blocs de béton cubiques dont les ouvertures sont garnies de verre dépoli. Et puis, comme ce premier temps de développement n'a pas suffi, on a greffé encore des rajouts sur les rajouts. Et on a trouvé le moyen, la seconde opération, de l'exécuter dans un troisième style, si tant est que la première en eût un. Il s'agit d'espèces d'ailes Renaissance italienne, avec des fenêtres arrondies et à faux meneaux, garnies de jardinières, s'il te plaît, dans lesquelles le géranium caracole. La façade en est bleu pastel, les entourages des croisées et des lourdes étant blancs. Si bien qu'au total de cette fabuleuse réalisation, tu trouves : au centre, de la pierre enlierrée, puis du béton brut à carreaux de verre, enfin du crépi bleu.

— C'est moins ancien que Chambord, mais c'est plus gai, déclare Béru.

— Intéressant, m'efforcé-je, en me disant qu'après tout, si c'eût été André Breton qui conçoive ce machin-là je le trouverais génial.

— Simple, déclare Rèche.

— En effet.

— Et fonctionnel ! Au centre, la partie réception, aire de divertissement, vous me suivez ? Ensuite, la partie traitement. Enfin, la partie résidentielle.

— Et vous, docteur, vous habitez ce palais ?

— Non, j'ai une bicoque au fond du parc. Ancienne maison de gardien retapée, besoin de rompre avec mon usine, comprenez-vous ?

Il nous entraîne à l'extrémité de l'esplanade. De là nous découvrons un panorama grandiose sur le Léman, avec, au-delà du lac, des vallonnements verdoyants, des villages aux grands toits protecteurs…

— Ici, on a la Suisse sur l'évier, triomphe Franck Rèche. Bon, venez que je vous montre vos appartements.

* * *

Je dispose d'une petite valoche minus, contenant mes effets de toilette, du linge de corps et un futal de rechange. Pinaud a pour bagage un cornet de papier de la Samaritaine, passablement froissé, lequel recèle sa chemise de nuit, ses granulés pour l'estomac et une paire de pantoufles du type charentaises. Quant à Béru, il se pointe les mains vides, ayant horreur, assure-t-il, de s'encombrer.

Le hall de la clinique est ultramoderne, malgré le lierre extérieur et le perron moussu : acajou, vitrages, acier. Tu te croirais dans une usine. Des filles très court-vêtues et avec rien dessous circulent languissamment, comme des lionnes dans une cage. Une mouette blanche, emblème de l'établissement, est brodée sur leurs blouses bleu ciel. Elles nous regardent avec intérêt, me sourient avec beaucoup de spontanéité et se laissent frôler que tu peux pas t'imaginer comme.

Grand escalier à double révolution (l'une de 1789, l'autre de 1848).

Au premier, une enculade de salons modernes et de salles de jeux admirablement équipées pour les pensionnaires : chevaux à bascule, train à traîner, ballons, tas de sable avec seaux et pelles, albums à colorier, etc.

Rèche nous dit que ce sont les pensionnaires calmes qui ont l'usage de ces lieux de plaisir. Effectivement, c'est plein de messieurs et de dames habillés d'un uniforme ample, gris-bleu, lequel se compose d'un pantalon très large, retenu à la taille par un élastique, et d'une casaque pourvue d'une immense poche ventrale. Des infirmières discrètes surveillent les ébats de ces bonnes gens. Une grosse dame fait du cheval à bascule en riant de plaisir, deux messieurs graves jouent au volant, tandis qu'un vieillard barbu passe de la couleur sans danger sur un dessin au trait représentant un perroquet sur son perchoir.