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Qu’ils allaient porter des réclamations pas ordinaires !

Qu’ils allaient…

* * *

Chapitre 4 : Aller au diable.

* * *

« Il avait les yeux si bleus qu’il faisait beau dans la nuit… » Bien sûr Catalina exagérait : elle n’y entendait rien à l’entendement, dans ces cas-là elle était fillette sautant couettes les premières dans les flaques, les caniveaux, dans ces cas-là elle était la brindille et le pont à la fois, le jeu entre le mur et l’armoire, du concentré de coquelicot ; ça la mettait dans tous ses états.

Elle pouvait sentir grincer les articulations de son Colosse.

Elle pouvait sentir ses écrous à des kilomètres.

Abandonnant les affamés aux eaux du fleuve, ils coupèrent à travers bois. Le chemin serait long, dangereux.

Ils trouvèrent une clairière abritée sous la lune. Réfugiée, elle aussi. Et d’une pâleur cadavérique en dépit du présent répit. Catalina et son Colosse avaient stoppé à la lisière. L’envie de se découdre était si forte qu’ils en oubliaient presque le danger…

— Tu sens quelque chose ? demanda-t-elle.

— Que toi.

La poitrine du Colosse luisait comme une lame. Catalina prit sa main cassée dans la sienne, cette main qui avait joué de la musique jusque dans le stade où on l’avait enfermé avec les autres, et l’attira vers le centre de la clairière. Ignorant les menaces du monde, ils marchèrent à l’ombre blanche de la lune, parmi les herbes hautes et la paille élimée.

Catalina dans tous ses états exhalait des miracles acrobatiques. Le Colosse entendait ses pieds nus sur les tiges, le froissement de sa robe à fleurs imprimées… Du reste, nulle trace.

Catalina ôta sa robe et s’allongea dans les herbes, l’odeur de sa peau mélangée.

Il déplia ses rouages à ses pieds, la respira longuement, à petites lapées… C’était bon mais l’odeur de sa peau flottait, repérable à des kilomètres…

Le vent leur ami…

Le vent leur a mis une couverture ; de soie blanche elle brillait de pacotille, cosmique, toute d’herbes pliées pour les recouvrir en entier.

Sans dessous, Catalina ouvrit ses vannes.

Ici ils seraient en sécurité.

Alors ses mains cassées sur ses seins parcourus, le Colosse se laissa mordre par la gelure. Catalina coulait en lui, azote fumant.

Catalina coulait en lui, étoile traçante.

Elle dit :

— Encore.

Ils firent l’amour au centre de la clairière. Personne ne saurait.

Personne n’en saurait jamais rien.

Personne n’en saurait jamais rien puisque personne jusqu’à présent n’avait jamais rien su.

On ne les prendrait pas.

On ne les avait jamais pris.

Ils firent l’amour comme s’ils se nettoyaient de quelque chose que d’autres avaient commis, puis violemment comme des bêtes, la paix, enfin la paix, une qu’on pouvait conquérir sans lutter, vaincre le sort même un instant les rendait terriblement vains, ils oubliaient tout en se grimpant dessus, les coups d’État, les tortures, ils oubliaient plus que de raison, ils en devenaient caillou, emboîtés mabouls, qui se cognaient les hanches et faisaient fuir les oiseaux.

Et s’il n’y en avait plus non plus… qu’importe.

— Encore…

Elle disait :

— Encore.

* * *

Chapitre le même : cachés sous les herbes, ils firent l’amour sans se faire prendre. Enfin, il n’y eut bientôt plus que leur souffle à déranger ; Catalina et son Colosse se tinrent serrés contre la terre, à présent exténuée, en signe de reconnaissance.

— Elle a bon dos la terre…

— Elle a bon dos, oui…

Elle n’avait surtout plus de sang, la terre : dévitalisée de la sève, passée à la moulinette. On lui avait épluché l’écorchure.

Heureusement ils étaient l’un sur l’autre, flanqués dessus comme un léopard sur sa branche.

Catalina prenait un bain de lune, nue parmi les herbes. Près d’elle, le Colosse revissait ses belles mains cassées, toute carcasse frémissante sous l’astre blanc. L’espace d’un instant, Catalina crut que tout était devenu comme avant, à vrai dire hier, que les désastres annoncés n’avaient pas eu lieu… Mais ça ne durerait pas.

— Tu entends ?

— Oui, quelque chose arrive…

Le Colosse se leva d’un bond. Le vent déjà s’était réfugié sous les branches. Même les feuilles s’étaient tues…

Ils arrivaient.

Catalina et son Colosse s’aplatirent. Ils avaient le cœur dans la gorge et les hautes herbes pour alliées. Il y eut d’abord quelques hululements lugubres, suivis de cris de ralliement comme on scierait un genou, puis ils jaillirent de la forêt, une véritable horde, qui très vite envahit la clairière.

Des dizaines de poupées mécaniques défilèrent au pas de course, des poupées enrichies, ce n’est pas ça, la valeur c’est autre chose, eux avaient toujours été les premiers, une horde obéissante, disciplinée, irresponsable : des poupées intelligentes au mécanisme redoutable qui avaient mis leur avenir dans celui d’aucun autre, et qui n’auraient pas d’enfants.

L’acier du Colosse était trempé de peur : ils emporteraient Catalina, de force, ils l’arracheraient au besoin, sa robe et les fleurs imprimées dessus, ils la cueilleraient comme du chiendent, ils la prendraient et la retourneraient jusqu’à la racine ; il ne pourrait pas tous les tuer, ils étaient trop nombreux, et bien entraînés ceux-là…

Catalina à ses pieds serrait son revolver, les yeux éteints.

Ne pas se faire repérer.

Lui retenait son souffle. L’odeur de sa peau était sensible à des kilomètres, il suffisait de respirer… La colonne passa devant eux, tapis comme des fauves affolés.

* * *

Chapitre 7 : en avoir ou pas — du travail.

Des performances.

* * *

Chapitre 8 : en avoir pas du tout.

* * *

— Ils sont partis…

Le Colosse aussi avait du mal à y croire.

— On dirait, oui…

La horde n’avait rien senti : ni l’odeur de Catalina ni la présence de la lune derrière les nuages. Était-ce qu’ils étaient trop nombreux occupés à compter ? De leur passage, il ne restait plus qu’un sillon de terre brûlée, des manières de bisons…

— Tu as vu comme ils avaient l’air…

— Oui. C’est étrange…

Jusqu’à présent, les hordes ne faisaient pas partie des traqués. Ils vivaient sur le dos, comme des tortues renversées, pas comme des rescapés.