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— C’est ça qui t’excite ? Tu en mouilles ta culotte ?

Elle se passa la langue sur les lèvres.

— Hmmmmm… J’adore…, roucoula-t-elle, en faisant sauter le bouchon.

Elle aimait se rouler dans la vulgarité la plus stupide, la plus abjecte. Surtout aujourd’hui. À chaque fois, elle pensait à son père. À ses efforts de despote pour faire d’elle une jeune fille éduquée et raffinée. Elle avait ruiné ses espoirs, bousillé ses rêves. Elle s’était évertuée au pire, en serrant les dents, certaine de sa revanche. Aujourd’hui, c’était le contraire : elle n’était pas là pour l’offenser mais l’honorer. Elle allait le venger, tout simplement. Comme quoi tous les chemins mènent au père…

Le champagne coulait dans les coupes. Mumbanza retira sa veste puis déposa son arme sur un fauteuil, à bonne distance de Gaëlle. Histoire de l’effacer définitivement, Gaëlle fit glisser la bretelle de sa robe le long de son épaule. Pour séduire un homme, pas besoin de s’embarrasser de savants calculs. Le mâle est une science exacte. Sa prévisibilité une valeur sûre.

Mumbanza, toujours debout, la contemplait avec gourmandise. Sa coupe dans la main droite, il malaxait de l’autre son sexe à travers son pantalon, sans la moindre gêne.

Elle fit rouler son rire dans sa gorge comme on secoue des dés dans un gobelet et lui envoya un clin d’œil. La peur commençait à s’insinuer dans ses veines à la manière d’une perfusion glacée.

Contre sa paume, elle serrait le bouchon de liège.

L’arme du crime.

99

Quelques minutes plus tard, enfermée dans la salle de bains, Gaëlle se préparait pour la petite orgie de Son Excellence.

Une légende tenace assure que durant la guerre d’Algérie, les femmes du bled, pour se protéger contre les viols des militaires français, glissaient une lame de rasoir dans une pomme de terre qu’elles s’enfonçaient dans le vagin. Vraie ou fausse, la rumeur migra vers l’Asie : pendant la guerre du Vietnam, les femmes vietminhs faisaient soi-disant la même chose. Plus récemment, en RDC — un viol par minute en 2007 —, on prétendait encore que des victimes utilisaient cette technique avec des fruits à noyau — ce dernier bloquant la lame au moment de l’acte.

Il faudrait penser à ajouter la Suisse à la liste.

Gaëlle venait d’extraire de son poudrier une demi-lame de rasoir. En opérant un mouvement rapide de va-et-vient, elle l’enfonça dans le bouchon de liège puis cracha dans sa main pour s’humecter la vulve. Fermant les yeux, elle y inséra l’objet qui y trouva une place quasi naturelle et remonta sa culotte.

Quelques pas pour vérifier sa liberté de mouvement. Parfait. Elle s’observa dans le miroir et vit que la peur ne cessait de gagner du terrain : elle était livide. Son corps était enduit d’une petite sueur perlée qui la picotait de partout. Ses gestes frémissaient de tremblements légers. Elle tendit ses muscles : ne pas laisser la trouille l’envahir. Surtout pas.

Quand elle sortit de la salle de bains, parfumée, dévêtue — dessous blancs rehaussés de paillettes (c’était ce qu’il fallait à Mumbanza : du chic, du pétillant, du sexe version Cristal Roederer) —, elle offrait toutes les apparences de la décontraction la plus salace. Le colosse eut un grognement de satisfaction. Il avait gardé sa chemise et son pantalon mais sorti son sexe monstrueux, retroussé comme un cor de chasse. Avec son gland rose qui pointait, on aurait dit un golliwog, ces poupées noires du XIXe siècle aux grosses lèvres de clown dont il existait une variante en biscuit.

Justement, il ordonna :

— Viens me sucer, salope.

Regard vitreux, bouche tremblante, le sang lui pissait littéralement du blanc des yeux. Gaëlle sentit la peur lui dévorer l’estomac. D’un geste, elle exhiba sa vulve imberbe et gonflée.

— Et si on inversait les rôles ? ricana-t-elle. All you can eat, mon salaud.

Il lui balança une gifle et l’envoya valdinguer sur le lit. En grognant, il l’immobilisa sur le dos et lui arracha sa culotte, lui écartant les cuisses comme pour un échauffement des petits rats de l’Opéra.

— Sale pute blanche, rugit-il, tu vas goûter mon sida…

Il la pénétra avec violence et s’arrêta net, semblant s’étouffer avec son propre cri. Des deux pieds, elle le repoussa de toutes ses forces. Mumbanza rebondit contre le mur, sa tête heurtant l’écran plasma suspendu. Il beuglait maintenant comme un porc qu’on égorge, les deux mains plaquées sur son entrejambe. Déjà, les gardes du corps cognaient à la porte.

Quelques secondes.

Gaëlle courut dans la salle de bains, enfila ses gants de chirurgien et, de retour dans la chambre, saisit sur le fauteuil le calibre de Mumbanza qui se tordait toujours à terre, la bite en sang. En une fraction de seconde, absurdement, elle mémorisa les initiales de l’arme : HK USP.

Les cerbères tentaient maintenant d’enfoncer la porte — vlam, vlam, vlam ! Encore quelques coups d’épaule et le verrou sauterait. Elle ôta le cran de sécurité du 9 mm, fit monter une balle dans la chambre — depuis septembre dernier, elle avait appris à manier ce genre de flingues — et se précipita vers la porte qui vibrait sur ses gonds à chaque poussée. Postée à gauche du châssis, elle tendit sa main libre et déverrouilla la serrure.

Les deux Luba se ruèrent dans la pièce, arme au poing, manquant de trébucher contre la table basse. Elle fit feu dans la tête du premier. Le temps que le second se retourne, elle lui tira une balle en plein visage. Tout s’arrêta — ou du moins c’est ce qu’il lui sembla. Trou noir dans le temps et l’espace.

Elle se reprit et évalua les dégâts. Deux géants en costume impeccable, magma de crânes ouverts et de morceaux de cervelle, empêtrés au pied d’un couvre-lit à fleurs, parmi des coupes brisées et des glaçons éparpillés. Au fond de la pièce, Mumbanza se traînait contre le mur façon limace.

Elle balança le HK USP sur le lit, se plaça à califourchon sur le Luba le plus proche du général. De ses deux mains gantées, elle saisit les doigts du mort toujours serrés sur son arme. Elle leva le bras inerte, vérifia que le calibre était armé, cran de sécurité baissé, et glissa son index dans le pontet. L’odeur de poudre et de sang l’enivrait comme un sniff de coke.

Mumbanza l’implorait de ses yeux rouges. Il se tordait comme un monstrueux ver coupé en deux, un rictus incrédule sur ses traits luisants de sueur.

Elle sourit et murmura, le canon braqué sur lui :

— Je suis la fille de Morvan, connard…

L’expression de stupeur sur sa face de fonte : elle la garderait en mémoire comme on conserve un précieux talisman. Elle appuya sur la détente. La première fois pour lui faire sauter la bite. La deuxième pour lui exploser le cœur. La dernière pour le défigurer. Elle laissa retomber la main du cadavre, récupéra le HK sur le lit, le plaça dans la paume du général et tira une nouvelle fois sans viser — des résidus de poudre brûlée sur les doigts du Congolais attesteraient que c’était lui qui avait fait feu, par trois fois.

Elle bondit dans la salle de bains, lava son visage éclaboussé de sang, enfila sa robe noire sans zip ni agrafe — elle avait prévu le coup —, récupéra ses affaires et se précipita dans le couloir tout en arrachant ses gants.

Personne. Il régnait encore entre ces murs un silence stupéfait. Elle gagna l’escalier de service, dévala les deux étages. Elle savait qu’aucune caméra ne l’avait filmée. Que la scène de crime évoquerait un règlement de comptes entre maître et esclaves. Qu’on ne pourrait pas la soupçonner, elle, plus qu’un autre dans ce palace.