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Les autres se mirent à rire aussi. L’onde de gaieté se transforma en hilarité générale, ponctuée par les sauts du singe.

Coup d’œil par-dessus son épaule : Béret rouge s’acharnait sur une des cantines.

— C’est un vrai Maï-Maï, hein ? relança Morvan.

— Le meilleur, patron ! Le meilleur !

Les assassins au cœur léger se frappaient les cuisses. L’animal, excité par la clameur, roulait de plus belle dans les feuilles mortes.

— Alors pourquoi il a pas de Kalach ?

La question les plongea dans une soudaine perplexité. Un sifflement fit tourner la tête à Grégoire : le chef lui ordonnait de venir. Il s’avança sans se presser — chaque seconde gagnée lui permettait de préciser son plan.

— Kisssk’ y a là-dedans ?

Le Noir frappa du pied une des caisses — de mémoire, elle contenait une quarantaine d’armes semi-automatiques.

— Du matériel de prospection. Je suis géologue.

— Ouvre-la ! ordonna le Black.

Morvan jeta un regard derrière lui : un milicien faisait mine de donner son fusil au singe, qui tentait de l’attraper, chaque fois le Maï-Maï esquivait le geste, déclenchant de nouveaux rires.

— Je ne sais plus où j’ai mis la clé.

Le mensonge était faible et le Noir ne s’y arrêta pas :

— Ouvre.

— Je te dis que je sais pas où…

— Ouvre, cousin. Sinon, je la chercherai sur ton cadavre.

Il palpa ses poches. Nouveau coup d’œil vers les autres : le singe venait de saisir l’AK-47. Morvan était certain que ces connards n’avaient pas mis le cran de sécurité.

— Je te jure…, marmonna-t-il, je…

Une rafale lui coupa la parole.

— Putain, qu’est-ce que…, hurla Béret rouge.

Le singe, doigt sur la détente, faucha les trois Maï-Maï. Tout le monde plongea à terre sauf le chef, qui resta pétrifié. Une balle dans la tête : Morvan avait dégainé et l’avait visé en premier. Il pivota et en plaça une autre dans le cœur des deux gardes alors qu’ils tentaient de le viser. Trente ans de tir sportif, ça fait la différence.

Il se retourna, prêt à abattre le singe, mais celui-ci, effrayé par les coups de feu qu’il avait lui-même tirés, avait lâché le fusil pour courir se cacher. Malheureusement, il s’était pris les pattes dans la courroie de la Kalach et n’arrivait pas à s’en dépêtrer. Un vrai numéro à la Charlie Chaplin.

La folie africaine : il n’y a que ça de vrai.

Un Noir bougeait encore. Morvan se précipita et lui fit exploser le crâne. Avançant avec prudence vers le singe qui tournait toujours sur lui-même, il sortit son couteau et parvint à couper la lanière du fusil-mitrailleur. La bestiole partit se planquer derrière un arbre, à quelques mètres de ses maîtres refroidis.

Tout redevint silencieux.

À première vue, les membres de son groupe étaient indemnes. Un putain de vrai miracle. Allongés, ils semblaient prêts à s’enterrer sous les feuilles mortes.

Sept morts, un score en équipe, avec l’aide d’un chimpanzé.

Michel se releva. Il tremblait tellement qu’il ne pouvait plus parler. Morvan n’était pas en meilleur état mais il parvint à ordonner :

— Récupérez leurs armes et leurs vivres.

La guerre était déclarée. Les détonations avaient signalé leur présence aux autres pillards. Donner des munitions à ses soldats. Accélérer la cadence. Atteindre les mines — Cross et ses hommes entraînés — le plus vite possible. Il n’aurait pas chaque fois une telle veine.

En rengainant, il désigna le singe derrière son tronc enliané :

— Filez-lui quelques morceaux de sucre. On lui doit la vie.

26

Il retrouvait la demeure familiale de Fiesole, sur les hauteurs de Florence, sans plaisir. En réalité, il n’aurait jamais cru y refoutre les pieds. On l’avait installé dans la chambre D’Annunzio — chaque pièce portait le nom d’un écrivain italien, ce qui ne manquait pas de sel dans la propriété d’un analphabète, paix à son âme. Il avait voyagé avec Sofia et les enfants, sans se départir d’un profond malaise. Qu’allaient penser Milla et Lorenzo ? Que leurs parents se remettaient ensemble ? Que la mort de nonno avait effacé les engueulades, les rancœurs ?

Durant le vol, il avait simulé la bonne humeur, la décontraction. Tout ce dont il était dépourvu depuis qu’il avait arrêté la coke. Les courbatures persistaient, les tremblements aussi. Assis à côté de Lorenzo, il l’avait aidé dans ses coloriages et avait passé ses nerfs sur les feutres.

Maintenant, il était seul. Enfin. Par la fenêtre de sa chambre, un songe saupoudré d’or et voilé de brume. Au loin, les dômes et les clochers de Florence, toits rouges, toits roses, rues exiguës regorgeant de chefs-d’œuvre. Plus près, les flancs de la colline, ponctués de palais paisibles qui commençaient à boire le soleil — le festin de lumière s’achèverait en beauté, ce soir, avec le crépuscule, miel ou or, selon l’humeur.

Il baissa les yeux vers le parc : terrasses de grès, piscine à débordement, haies verdoyantes, arbres centenaires… Le tableau atteignait une perfection sans âge, la quintessence de l’Italie. Même les cerbères qui allaient et venaient, sans doute armés, appartenaient à une certaine tradition du pays : mafia, combines, violence.

Loïc ne connaissait qu’un seul autre homme à s’entourer de ce genre de caricatures : son père. Il n’avait pas cherché à le joindre mais Maggie l’avait prévenu. Le Vieux était sans doute bouleversé. Loïc n’avait pas vraiment été choqué d’apprendre qu’ils étaient amis depuis des décennies et qu’ils avaient arrangé en douce le mariage de leurs enfants. Les caïds avaient voulu unir leurs familles comme le faisaient jadis les souverains pour fusionner leurs royaumes. Après avoir éprouvé un coup de chaud — il avait même menacé son père avec un calibre —, il s’était calmé. Au fond, les Anciens n’avaient agi que pour consolider leur patrimoine, c’est-à-dire l’héritage qu’ils leur laisseraient à eux, les rejetons, les bons à rien.

Il chaussa ses lunettes noires pour mieux percevoir les détails du parc. On n’aurait jamais pu deviner que les paparazzis s’agglutinaient au-delà des murs d’enceinte — l’assassinat de Montefiori, c’était le scoop de la semaine. Sous les cyprès, la comtesse donnait des ordres aux domestiques qui mettaient la table — en novembre, on allait pouvoir déjeuner dehors. Grande, fine, serrée dans sa robe Prada, elle ressemblait à une sculpture de Giacometti. Quand on l’approchait, on avait l’impression de pénétrer dans un confessionnal. Elle distillait une lumière sombre et parlait toujours à voix basse.

Les deux sœurs de Sofia n’étaient pas loin, faisant les cent pas le long de la piscine. Sans doute organisaient-elles les funérailles. Nerveuses, diplômées, arrivistes, elles vivaient crispées sur leur iPhone et griffaient les heures de leurs ongles laqués de rouge. Elles avaient toujours détesté Loïc : trop beau, trop cool, trop drogué. Mais maintenant qu’il était libre, peut-être allaient-elles changer d’avis…

Le plus étrange était que personne n’avait l’air bouleversé ni terrifié par la mort du Condottiere. Sa femme et ses filles s’attendaient-elles à une telle violence ? Étaient-elles au courant de certains faits ? Ces questions ramenèrent Loïc à son propre père. Difficile d’imaginer, avec cette méthode typiquement africaine — vol de cœur, cannibalisme : on avait finalement retrouvé des fragments mordus de l’organe —, que le Vieux ne soit pas lié au drame. En tant que victime potentielle ou au contraire, pourquoi pas, commanditaire du crime.