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— Je vous l’apprends peut-être mais votre père, depuis plusieurs années, faisait l’objet d’une enquête de la Guardia di Finanza, notamment sur des accords plutôt… obscurs qu’il avait passés avec l’empire Mediaset et des opérations de corruption établies avec des députés de Toscane et de Lombardie.

Sofia s’arrêta. Elle comprenait enfin : l’introduction pianissimo n’avait été qu’un leurre. Ils allaient passer sur le gril, elle et son financier de mari. Sabatini souriait toujours distraitement, comme s’il ne réalisait pas la violence de ses informations.

— Sa mise en examen n’était qu’une question de semaines, continua-t-il. Si les conditions du meurtre n’étaient pas si barbares, l’hypothèse du suicide serait la première retenue.

Sofia paraissait abasourdie. Loïc et le flic s’étaient immobilisés autour d’elle. Tout était prêt pour un duel à trois dans le cimetière, façon western spaghetti.

— En réalité, les dossiers complets sur ses sociétés, ses voyages et ses allées et venues en Italie sont déjà sur mon bureau. Contrairement à ce qu’on raconte, les services de police collaborent efficacement, et ils peuvent être très rapides. Parmi les sociétés dont Heemecht est actionnaire, il y a Coltano, ça vous dit quelque chose ?

— Vaguement, siffla-t-elle entre ses lèvres. Je vous répète que je ne m’occupe pas des affaires de mon père.

Pas question de dire ce qu’elle avait fini par découvrir : c’était pour fusionner leurs actions africaines que les deux pères avaient marié leurs enfants.

— Et vous ? demanda Sabatini en regardant Loïc, comme s’il l’invitait à entrer dans le jeu.

— Arrêtez de poser des questions dont vous avez les réponses, répondit-il dans son italien le plus parfait.

— Giovanni Montefiori partageait avec votre père des parts significatives dans cette société d’exploitation minière au Congo. Je pense que son meurtre est lié à ce fait.

— Pourquoi ?

— Parce que Philippe Sese Nseko, le directeur de Coltano sur le terrain, c’est-à-dire au Katanga, a été assassiné il y a deux mois exactement de la même façon.

— Mon père aurait été tué par des Africains ?

La phrase avait échappé à Sofia, sur un ton dégoûté qui pouvait passer pour raciste. Machinalement, Loïc lui prit le bras comme pour l’arrêter sur cette mauvaise pente.

— Les Italiens n’ont rien à envier à un pays quelconque pour la cruauté et la barbarie, poursuivit Sabatini, mais tout porte à croire, en effet, que ce meurtre a un lien avec l’Afrique et Coltano. Il s’agit peut-être d’une prise de pouvoir… radicale au sein du groupe.

D’un geste nerveux, Sofia attrapa une cigarette au fond de son sac.

— Je suis aujourd’hui l’héritière exclusive de ces parts, annonça-t-elle après avoir soufflé une bouffée dans le soleil. Je pourrais être menacée moi aussi.

Le flic balaya ce soupçon d’un geste léger :

— N’ayez crainte. Le mobile est ailleurs. En réalité, votre père ne possédait plus que quelques actions de Coltano.

— Qu’est-ce que vous racontez ?

Il était un peu tard pour affranchir Sofia mais Loïc souffla :

— Il a tout vendu ces dernières semaines. Je t’expliquerai…

— Moi aussi j’aimerais que vous m’expliquiez…

Loïc se recula : Sabatini le fixait droit dans les yeux.

— Les raisons de cette opération sont complexes, esquiva-t-il, il faudrait des heures pour…

— Prenons rendez-vous.

— Aucun problème, rétorqua Loïc, cachant son malaise, voici mon numéro.

Sabatini prit sa carte de visite avec satisfaction. En s’inclinant encore, il les invita à s’orienter vers un nouveau sentier. Sofia fumait comme si son corps fonctionnait à la vapeur.

— Isidore Kabongo, vous connaissez ? demanda l’ispettore à la cantonade.

— Non, fit Sofia d’une voix égarée. Qui c’est ?

— Le Monsieur Mines du Congo-Kinshasa. Il a été plusieurs fois ministre des Mines, des Industries minières et de la Géologie. Il conserve un rôle d’expert auprès du gouvernement de Joseph Kabila.

— Jamais entendu parler.

— Le général Trésor Mumbanza ?

— Non plus.

Loïc connaissait ces noms mais impossible de se souvenir de leur lien exact avec Grégoire.

— Le colonel Laurent Bisingye ?

— Vous pourriez plutôt nous expliquer, non ? intervint-il.

— Des personnalités impliquées dans l’exploitation et le commerce du coltan au Congo. Je n’ai pas encore les détails mais une chose est sûre : Bisingye, qui est l’adjoint de Mumbanza, le nouveau directeur de Coltano, est un criminel de guerre.

— C’est votre suspect ? demanda Loïc.

— Il faudrait d’abord prouver qu’il était en Italie au moment des faits.

Par association, Loïc songea de nouveau à Morvan.

— Mon père pourrait être en danger lui aussi ?

— En tout cas, il est imprudent. Selon mes sources, il serait là-bas actuellement.

— Exact.

— Vous avez une idée du motif de son voyage ?

— Non. Mon père partage avec Giovanni le goût du secret.

Sabatini sourit encore, faisant mine d’admirer le paysage : les tombes, les ifs, le ciel… L’air de rien, il les avait guidés jusqu’à la grille de sortie. Les berlines, le corbillard, les camions régie de la télévision avaient disparu.

— Je vous demanderai, pour l’instant, de ne pas quitter Florence.

— Vous commencez vraiment à m’agacer, explosa Sofia tout à coup. Vous nous parlez comme à des accusés. Vous avez l’air d’oublier que c’est mon père qui a été tué !

Loïc se planta devant le flic, lui bloquant le passage :

— Que voulez-vous au juste ?

— L’agenda de Giovanni Montefiori.

— On vous a dit que…

— Vous vous trompez. Selon nos témoignages, il notait ses rendez-vous confidentiels dans un carnet qu’il conservait à la villa. Il avait inventé un alphabet primaire, utilisé par lui seul, pour transcrire en phonétique le nom des lieux et des personnes à y rencontrer.

Loïc n’en avait jamais entendu parler mais à l’expression de Sofia, il comprit que le flic disait la vérité. Il songea à son père qui avait aussi la passion des codes, des secrets, des barbouzeries. Putains de vieux singes…

— Trouvez ce carnet, signora, nous vous en saurons gré. En dépit des enquêtes financières qui visaient votre père, nous ne pouvons pour l’instant perquisitionner dans le palais de Fiesole…

— Et si nous ne le trouvons pas ?

Sabatini se plia encore en deux — des manières onctueuses d’un autre siècle.

— La mort de votre père n’annule pas la procédure dont il faisait l’objet. L’inculpation qui le menaçait va se reporter sur votre mère, associée aux affaires de son époux, et sur vos deux sœurs qui ont eu la mauvaise idée de vouloir lui succéder.

Sofia alluma une nouvelle cigarette. Elle exhala la fumée dans une bouffée de rage et d’impuissance.

— Peut-être qu’à une autre époque, les réseaux de votre père l’auraient protégé mais ce temps est révolu, insista le flic. L’Italie a changé, signora. C’est ce que je me plais à espérer en tout cas.

Enfin, Sabatini tombait le masque : un petit-bourgeois qui bandait pour son boulot de justicier, trop heureux de se faire une famille aristocratique de Florence, doublée d’un clan de parvenus de l’ère Berlusconi.

— Je vous donne vingt-quatre heures.

Le flic les engloba d’un dernier regard puis tourna les talons, passant la grille sans se retourner.