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— Non, ça va aller ! En tout cas, moi, je vous remercie pour tout. Comment va se dérouler la suite des événements ?

— Très simple. Il plia son index sur la couverture. Je retrouve l'origine de ce langage, cela ne devrait pas être trop long, trois jours tout au plus. Ensuite j'attaque la traduction… Il feuilleta une nouvelle fois rapidement la centaine de pages. Il n'y a pas beaucoup de texte, cela devrait aller assez vite. Mais rien n'est sûr. Vous savez, il n'existe pas de dictionnaires qui font la traduction en français, il ne faut pas rêver ! Cette langue est peut-être parlée par cinquante individus dans le monde, alors vous comprenez…

Oui je comprends, tu veux faire monter les enchères…

— Faites-moi part de vos recherches au fur et à mesure ! Je vous appelle dès demain !

— Très bien, monsieur Wallace !

Sympathique le gars, tout de même, admit Warren, qui avait la mauvaise habitude de méjuger avec hâte.

Une fois les honoraires de ministre réglés, il s'envola direction la maison. Soulagé, il pressentait qu'ordre et logique guideraient sans tarder ses pas. Il truciderait encore une poignée de poissons, et après, retour probable à une mer calme. Pour protéger sa famille de ses intempestives humeurs, il avait déjà prévu de dormir sur le canapé. Faute d'étaler la vérité, il leur était redevable d'au moins ça…

3

Lionel arriva comme convenu aux alentours de 20 h 00 chez Sam. Lui aussi avait eu toutes les peines du monde pour trouver la fermette, mais heureusement, en bon dépressif qu'il était, il avait pris de la marge.

— Salut Lionel ! Je t'attendais, sourit Sam.

— Bonjour Sam… Il baissa les yeux et shoota dans une ribambelle de gravillons, mains avalées par ses poches. Tu sais, j'ai failli ne pas venir. Pas trop le moral ce soir… J'espère que ça va aller mieux, je ne voudrais pas gâcher la soirée…

Sam le fit entrer.

— Mais non, ça va aller, ne t'inquiète pas. Vodka ?

Sam était le serpent dans le jardin d'Eden, persuadé que ce mot magique aurait le même effet sur Lionel que le fruit défendu sur Ève. Avant même que l'invité eût le temps d'ouvrir la bouche, il l'avait déjà servi gracieusement.

— Merci ! Tu n'en prends pas ?

— Whisky plutôt pour moi… Santé ! Et n'oublions pas, nous sommes des êtres…

— Exceptionnels ! compléta-t-il, amusé.

Le sédatif léger que Sam avait dissout dans l'alcool plongea sans tarder la victime dans un état végétatif. Car, de toute évidence, même un paumé pris de court n'aurait sûrement pas accepté ce changement radical de vie. Dorénavant, il s'agissait de l'installer progressivement dans l'ambiance pour le préparer psychologiquement à subir une lobotomie salvatrice. Après un quatrième verre bien tassé, Sam apporta des tranches de rôti accompagnées de pommes de terre trop cuites. Pour la viande, il ne s'était pas foulé. Il avait pioché dans le congélateur et découpé ce qui restait de jambe au vieux fermier. Cuite à thermostat moyen, la chair humaine s'identifiait ni plus ni moins à du sanglier, avec un goût légèrement plus prononcé, mais le gangrené de l'âme, imbibé de vodka et prêt à s'embraser telle la flamme olympique, ne s'en apercevrait pas.

— Tu sais, dit Sam en lui servant un épais morceau de ce qui s'apparentait à un quadriceps, j'ai une méthode pour chasser les dépressions. Une recette de grand-mère, mais ça marche !

— Ah… Ah bon, j'en aurais bien besoin tu sais… C'est quoi, une infusion au tilleul ?

Il se mit à rire et frôla l'étranglement, un morceau s'étant rangé dans son larynx. Le mélange d'alcool et de cachets était une bombe, et Dieu seul sait les dégâts qu'il pouvait lui causer dans l'organisme.

— Non, non, ce n'est pas ce genre de recette ! objecta-t-il à voix basse, en secouant le tête. Je te montrerai tout à l'heure, tu verras, c'est extraordinaire ! À la tienne !

Servis par Dionysos en personne, les deux verres de vin tintèrent jusqu'aux oreilles de la tête de sanglier.

À la fin du repas qui fut, malgré de justifiés a priori, un véritable régal, Sam traîna Lionel par le bras. Le moment tant attendu était sur le point d'éclore.

— Allez suis-moi, il est grand temps de te guérir de ce mal qui te ronge depuis longtemps. Et après, j'aurai une surprise pour toi !

— Je… je te suis… C'est… c'est bon… tu peux me lâcher…

Il le guida jusqu'à l'abattoir fin paré pour reprendre du service. Les quatre fers regroupés et fagotés, deux lapins de Garenne remuaient sur les tables de métal telles des truites dans une bourriche. Le glas avait sonné, et les bêtes ne l'ignoraient pas.

— Je t'ai promis que je te sortirais de là, mais il va falloir que tu me fasses confiance. Si tu fais exactement ce que je te dis, ce mal qui t'emprisonne et te dévore comme un cancer sera chassé à tout jamais.

— Ça… ça consiste en quoi ? bafouilla Lionel, impressionné par la rudesse de l'endroit. Et c'est quoi ces… ces lapins ? Tu… tu vas les tuer ?

— Oui, ça fait partie de la guérison. Sam se colla l'index sur les lèvres. Chut… Laisse-moi t'expliquer, il faut que tu me croies, car c'est la vérité…

— Je… je t'écoute…

— Quand un animal meurt, son âme, constituée de toutes sortes d'instincts primitifs, cherche à quitter son enveloppe physique pour se réfugier dans un autre animal. Elle ne peut s'évader que si elle a un endroit où aller, car comprends bien qu'elle ne peut pas flotter dans l'air comme ça !

— O… oui… se contenta-t-il de répondre, à la limite d'éclater de rire.

— Si elle ne trouve pas d'hôte, elle meurt avec l'enveloppe corporelle au bout de quelques secondes. Il suffit donc de mettre en relation le mourant avec une autre bête, et l'âme déchue retrouve enfin un « foyer » pour l'accueillir. Toi, tu vas servir en quelque sorte de catalyseur entre ces deux animaux, tu vas les mettre en relation, tu vas guider l'âme de l'un vers le corps de l'autre.

Pièces de cinq francs vues de face, les pupilles de Lionel contrastaient avec celles de Sam, pièces de dix centimes vues de profil. Il poursuivit.

— L'âme déchue va circuler dans ton corps avant d'atteindre le second animal, à la manière d'un courant électrique. Tu vas servir d'interrupteur, tu me suis toujours ?

— Euh… oui, mais il faut avouer que c'est étrange…

Une ampoule, qui chuintait depuis le début, claqua sans prévenir. Le bruit de pétard fit frémir Lionel, qui avait subitement dessaoulé. Froid et peur judicieusement combinés sont de bien meilleurs remèdes que l'aspirine.

— Les émotions de ce lapin, ses douleurs, ses craintes, vont toutes te traverser. Et elles vont emporter tout ce qu'il y a de mauvais en toi, un peu à la manière d'un vent violent qui arrache tout ce qui se trouve sur son passage… Ne me demande pas pourquoi, c'est comme ça, c'est tout… Un miracle de la nature…

Le clair-obscur des lampes ramifiait les traits de son visage et créait d'inquiétantes zones d'ombres sous ses pommettes saillantes. Souillé par une mousse verdâtre due aux sédatifs à la commissure des lèvres, Lionel fut malgré tout enveloppé par la panique.

— Je… je trouve ça bizarre. Ça me fait peur, tout ce que tu me racontes… Je… je sais pas trop…

— Tu ne veux pas être guéri, bien dans ta peau, comme quelqu'un de normal qui aime la vie ?

— Si, si… Qui ne le voudrait pas… Mais explique-moi… Pourquoi tu es venu au cercle alors, si tu n'es pas malade ?

Au temps des grecs, Sam aurait été de toute évidence un stratège de référence, largement plus malin qu'Ulysse caché dans son cheval de Troie. Mûrie depuis des lustres, sa réponse fusa.