Si vous aviez vu la queue qui s'impatientait pour dégotter ne serait-ce qu'une poignée de ces perles rares !
Oui, c'était ça, la vraie vie, pas de gratte-ciel, pas de pots d'échappement, pas de sonneries de téléphone. Il se demandait entre quelles eaux pouvait bien naviguer Sam à ce moment.
Sans doute se prélassait-il au milieu d'une île paradisiaque, bercé par des vahinés à la peau de rose et aux senteurs exotiques. Qu'est-ce qu'il aimerait le rejoindre, ils pourraient ainsi jouer, comme avant…
22 h 08. Lionel s'imprégnait attentivement des instructions que lui dictait Sam. Il était déçu, ce soir-là, il ne tuerait pas. Une faim aiguë lui grignotait déjà les intestins.
— Donc, ta mission consiste à me repérer deux ou trois victimes potentielles, dit Sam, lui posant une main sur l'épaule.
Tu sais que c'est un travail de confiance, ce que je te demande là ?
— Oui Sam, je le sais.
— Il faut être extrêmement discret et prudent. Tu vas te rendre de l'autre côté de Paris, banlieue sud. Suffisamment loin du village d'hier pour ne pas prendre de risques. Ton but : trouver l'endroit le plus accessible et le plus isolé, pour qu'on puisse se charger de la pourriture qui y habite.
— Ouais ! On va se la faire cette sangsue ! Je lui arracherai les boyaux !
Sans attendre, Sam lui allongea une gifle, sèche et détonante.
Lionel, ou plutôt la partie animale de Lionel, était un peu trop volatile à son goût. Surtout, montrer dès le premier jour qui était le valet de trèfle et qui était le roi de pique était une priorité, sinon il ne le contrôlerait plus, il ne les contrôlerait plus. Promis à un bel avenir, Lionel était un bon élément, par conséquent le perdre contrecarrerait ses projets à court terme. De surcroît, il commençait à l'apprécier.
— Écoute-moi bien ! On n'est pas à DisneyLand ici ! On tue pour de vrai, on ne fait pas semblant ! Tu fais ce que je te dis !
Pas plus, pas moins. Comprends bien que moi aussi, j'ai envie de tuer, mais qu'on ne peut pas faire ça quand on veut, où on veut. La police aurait vite fait de nous tomber dessus ! Nous sommes une entreprise, et toute société demande de l'organisation, de la logistique, de la préparation. Les à-peu-près n'ont pas leur place ici ! Suis-je bien clair ?
Lionel se frottait la joue, grimaçant. Toutefois ses yeux, deux châtaignes qui germaient, brillaient toujours, de compassion, de respect, de redevance.
— Oui patron ! riposta-t-il du tac au tac.
— Très bien ! Je continue… Voici les pages jaunes, un annuaire et un guide des métiers. Comme tu peux constater, il y a le choix. Notaires, fonctionnaires de police, inspecteurs des impôts, et tout le tralala. Tu pioches des adresses là-dedans, tu te rends sur les lieux, et tu étudies la manière dont on peut entrer, l'isolement de la maison, présence ou pas d'autres personnes… Voici une grille que j'ai élaborée. Tu cocheras les cases comme il faut, et rempliras les zones si nécessaire. Est-ce que cela te paraît clair ?
— Oui, c'est bien clair, j'ai compris, répéta Lionel qui retrouvait son entrain.
— Voilà qui est une bonne chose ! Suis-moi, tu as bien mérité ton repas !
D'un pas pressé, il se dirigèrent vers la grange. La tête du hibou, péché à son endroit habituel, jouait les gyrophares de police. Sam s'empara d'un sac-poubelle de dessous des lattes de bois, pour en ôter une jambe d'huissier complète, encore intacte, qui aurait presque pu être greffée sur un cul-de-jatte.
Elle pesait son poids, et cet idiot de Lionel n'avait même pas pris le temps de lui enlever le soulier verni.
— Tiens, coupe-moi ça en deux, je prends la cuisse, toi tu n'as qu'à te charger du mollet !
— Super ! Regarde-moi ça ce beau morceau !
De sa force titanesque, il arracha le membre devenu dur comme une coque de noix. La rotule explosa dans un craquement moisi avant de rouler sottement sur les planches pour terminer sa course contre le mur. Le grand-duc, spectateur émérite, hulula des pics à glace pour montrer que lui aussi aurait bien participé au festin. Sam s'empara de sa pièce de choix, facilement assimilable à un jarret de porc, puis la renifla à la manière d'un œnologue qui s'attaque à un Châteauneuf-du-Pape. Moins puriste, Lionel ne se souciait pas de ces détails, arrachant les muscles jumeaux aussi simplement que lorsque l'on décortique des cuisses de grenouille. Après tout, c'était l'identique en un peu plus gros. Il s'appliqua tout de même à déchausser le pied, il avait faim, mais pas au point de mâcher du cuir.
— Qu'est-ce qu'il pue des pieds celui-là ! Il aurait pu faire un effort, quand même !
Le visage empourpré, Sam esquissa un sourire de citrouille d'Halloween, avant d'intervenir.
— Nous en aurons encore une pour demain. Lundi soir, tu auras une nouvelle mission. Je viendrai avec toi pour voir comment tu te débrouilles, mais je ne te dirai rien, je regarderai, juste !
— Oui, tu verras, tu ne seras pas déçu ! répondit Lionel en sautillant de joie.
La nécessité engendrant l'efficacité, Lionel apprenait, en roulant, les règles essentielles à tenir sous peine de sanction immédiate. Elles étaient justifiées, et en plus, pas très difficiles à appliquer.
Règle numéro 1, et cela tombait sous le sens : ne jamais parler de quoi que ce soit à personne. De toute façon, lui le paumé délaissé du monde, n'avait pas âme à qui en causer.
Règle numéro 2 : toujours porter sur soi le petit bidon d'essence, le briquet et le couteau que Sam lui avait donnés. En cas de fuite impossible, il avait pour consignes de se mettre le feu au visage, puis de se faire hara-kiri du haut du thorax jusqu'au bas du ventre. Bien sûr qu'il s'exécuterait, sans aucune hésitation ! Les animaux n'ont jamais peur de mourir, ils ont juste peur de perdre.
Règle numéro 3 : ne pas oublier le cœur. Cet organe était le meilleur morceau de l'homme, donc il était pour Sam, pour lui seul. Et surtout, c'était l'image de marque de la société, sa signature inimitable, sa charte graphique.
Règle numéro 4 : Ne pas agir si l'on soupçonnait une entourloupe, où si les circonstances ne le permettaient pas.
Les règles suivantes, enfantines, étaient faciles à retenir.
Deux grosses heures plus tard, il errait à quarante kilomètres au sud de Paris, à Fontenay-le-Vicomte plus précisément. Plutôt habité par une clientèle huppée, l'endroit pullulait sans nul doute de ces insectes odieux qui ne demandaient qu'à être écrasés du talon. Il s'était déjà rendu à trois adresses, sans qu'aucune ne remplît les critères. La première demeure, celle d'un banquier, était plantée en plein centre ville. Il n'avait même pas rempli la fiche, se contentant de biffer la ligne dans l'annuaire. Plus en périphérie, la deuxième se situait à trois cents mètres d'un poste de gendarmerie. Bien que toujours possible, toute intervention houleuse était proscrite, la présence des moustachus à casquette bleue à proximité constituant de toute façon un critère de non-sélection. Simplicité et risque zéro avant tout.
La troisième fut la bonne. Il remplit soigneusement la fiche fournie par Sam. Il y indiqua l'adresse, le métier (notaire), ainsi que les informations suivantes.
Environnement : campagne.
Type d'habitation : chalet de bois.
Maison la plus proche : il cocha 400 mètres.
Sources lumineuses : Aucune.
Manière d'entrer : Par-derrière, baie vitrée de véranda.
Chiens : pas en apparence (il n'avait pas coché non, bien qu'il n'eût rien flairé.)
Nombre de personnes dans le foyer : il ne savait pas quoi noter là non plus. Il entendait l'homme parler, ce qui signifiait qu'il était avec quelqu'un. Il entoura Au moins 2.