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— Alors inspecteur, ça se précise un peu ?

— O… oui… Ces gens sont différents la nuit et le jour. Ils tuent des animaux la nuit. Ils s'en nourrissent. Et le jour, ils redeviennent normaux. C'est bien ça ?

— Parfaitement ! Exactement ce qui arrive avec Wallace. La nuit, il fait des actes incontrôlés, et il ne s'en souvient jamais dans la journée. Dans ces récits, presque tous les gens sont conscients dès le départ de ce qui leur arrive. Mais pour certains, comme celui que je viens de vous lire, ils ne le savent pas.

— Celui-là le sait tout de même, à la fin ? dit le policier, qui, curieusement, croyait à ces sornettes. L'ambiance sordide du taudis y était certainement pour beaucoup… Et ce ciel qui noircissait… Ça grondait à l'horizon…

— Oui, mais nulle part c'est expliqué comment ils savent. Les autres probablement ont un rôle pour le rendre conscient de ses actes. Maintenant regardez ceci.

Il tourna les pages une à une, désignant à certains endroits un ensemble de hiéroglyphes qui semblaient constituer une phrase.

— Regardez-ici… Puis ici… Et encore ici…

— Toujours les mêmes caractères, constata l'inspecteur, léchant du bout des phalanges les inscriptions froides et rugueuses. À l'extérieur, la pluie se mit à battre avec une force inouïe, provoquant de l'agitation dans la rue de même qu'un écoulement de gouttes salies dans des bassines disposées sur le sol.

— Vous… vous saviez qu'il allait pleuvoir ? L'autre fois, il n'y avait pas ces bassines. Vous n'avez ni la télé, ni la radio… Comment saviez-vous ?

— Dieu ne m'a pas doté du physique, mais de beaucoup d'autres qualités. Celle-ci, qui consiste à pressentir le temps qu'il va faire, en fait partie… Alors inspecteur, ces caractères ?

— Oui… toujours les mêmes, en fin de page… Ça veut dire quoi ?

— « Merci à l'homme blanc, notre sauveur ! »

— Sacré bon sang. Qui… qui est-il ?

— Si on lit tout le livre, on se rend compte qu'il a le pouvoir de rendre ces gens comme ils sont. C'est lui ! C'est lui qui les transmue de la sorte. Animaux la nuit, humains le jour ! Dites-moi, les corps que vous retrouvez, ce ne sont pas de simples cadavres. On leur dévore de la chair ?

Lui, coupé du monde dans son trou à rats, savait, alors que même les paparazzis les plus acharnés l'ignoraient.

— Oui !

— Comme dans le livre. Sauf qu'en guise d'animaux, ce sont des humains !

— Sacré nom de Dieu !!

Le reste des dominos s'écroula d'un seul coup, au moment où des éclairs déchiraient le ciel et le vent gémissait à arracher des arbres. Bizarrement, cette bicoque tenait le coup, comme épargnée par la colère de Dieu. La voiture de l'inspecteur n'eut pas cette chance, un morceau de tôle déchirée traversa la rue avant de s'encastrer dans son pare-brise, qui explosa dans un vacarme effroyable. Toujours en restant courbé, il jaillit jusqu'à la fenêtre. Le dessus de son crâne frôla le plafond.

— Merde !! Ma voiture !! Fais chier !

Il retrouva graduellement son calme, guidé par un professionnalisme à toute épreuve.

— Vous… vous pensez que ce sont… des hommes-animaux qui font ça ?

— Je crois que quelqu'un abuse d'un pouvoir occulte, et s'en sert pour contaminer d'autres personnes à sa guise !

— Mais… on nage en pleine science-fiction !

— Peut-être. Je ne vous demande pas de me croire, après tout. Mais jugez par vous-même. Un type comme Wallace, fringué comme un chef d'orchestre, qui charcute son chien en pleine nuit et qui avoue qu'il ne se souvient de rien. Et puis ces meurtres, qui se multiplient plus vite que des lapins, ça sent la secte à plein nez. Jamais de témoins, je suppose ? Des cadavres déchiquetés, des bras arrachés, non ? Une force hors du commun ?

— Oui… oui, tout cela est exact ! Et… et pour le voisin de Wallace ?

— Je crois que c'est lui… Chaque animal a sa technique de chasse. Lui il perfore… Par contre, pourquoi il les remplit de poison pour les dissoudre, j'en sais trop rien… Quel animal ferait ça ?

— Je… Je sais pas… Mince, c'est trop louche !!

Des parpaings avaient pris la place des dominos, provoquant un grondement ahurissant dans sa tête.

— Mais je ne sais pas ce que prévoit la loi dans un tel cas… Il n'est pas coupable, même s'il a tué ! affirma Neil.

— Vous parlez d'un homme blanc… Il a dû nécessairement le rencontrer, puisque lui aussi, il se transforme en animal ?

— Peut-être pas… Dans le livre, ils ne disent pas de quelle façon cela s'est fait. Ce peut être par la pensée, le toucher, le travail à distance… J'en sais rien. Ce que je peux vous assurer en revanche, c'est que vous allez avoir toutes les peines du monde à mettre la main sur ces types. Normaux le jour, futés, agiles, et forts la nuit… Ça risque d'être difficile… Dire qu'ils peuvent être n'importe qui, c'est bien là le pire. Ils n'ont pas forcément la gueule de l'emploi, si vous voyez ce que je veux dire.

L'inspecteur coupa l'enregistrement, il avait oublié…

— Monsieur Neil, il faut que vous m'accompagniez au poste. Vous allez faire une déposition sur tout ce que vous savez de Wallace. Quant à ce livre, je l'emmène, si vous n'y voyez pas d'inconvénient.

— Euh… Il n'est pas à moi… Mais prenez-le… Vous n'en ferez pas grand-chose, de toute façon…

— Très bien… Mais dites-moi, il y a un fait qui me chiffonne… Qu'est-ce que pouvait bien faire un livre avec une telle reliure, de telles pages de papier précieux, au milieu de la jungle ? Et comment est-il tombé entre les mains de Wallace ?

— Mystère total. Il faut le lui demander…

13

Buste relevé, badge bien en évidence, l'inspecteur se présenta au poste de détention et s'approcha d'un des deux tortionnaires, toujours cimentés à la télévision. Quand il vit son supérieur entrer, le bourreau de Warren lui lança du regard des boules de feu, simplement pour lui rappeler que s'il l'ouvrait un peu trop, il aurait encore droit au bon goût acidulé de sa semelle. Le prisonnier ne se décolla pas de son lit, le dos raboté et les jambes enflées.

— Monsieur Wallace ! Il faut que je vous cause. J'ai quelques informations intéressantes pour vous…

Le regard morne de Warren ne s'éclaira pas pour autant.

— Vous, passez-lui les menottes, je l'emmène dans la salle d'interrogatoire.

À l'approche de l'agent, Warren eut un geste de repli, détail qui n'échappa pas à l'inspecteur.

— Qu'est-ce qui s'est passé ici ? demanda-t-il fermement.

— Rien, inspecteur Sharko, rien du tout. Dites-lui, vous !

— Non… non, rien du tout, mentit Warren.

Il se leva, et même si la brute au fond tapotait dans le creux de sa paume avec sa matraque, il ne put se retenir de grimacer.

L'inspecteur l'emmena dans une salle voisine.

— Excusez-moi pour les menottes, mais vous savez, je ne peux pas me balader comme ça avec vous sans prendre de précautions, surtout vis-à-vis de mes collègues. Tournez-vous ! Voilà… Asseyez-vous maintenant…

Encore sous le choc, Warren s'exécuta. L'inspecteur sortit le livre de sa pochette puis le posa devant lui, ouvert.

— Vous reconnaissez ceci ?

— Oui ! C'est le fameux livre que j'ai donné à ce traducteur ! Il avait oublié qu'il avait mal. Il vous a traduit ?

— Oui, et j'avoue qu'il y a certaines choses qui m'échappent, répondit l'inspecteur, pensif.

— Expliquez-moi inspecteur, qu'est-ce qui se passe là-dedans ?

— Dans ce livre, ils expliquent que des gens se transforment en animaux durant la nuit. Pas physiquement, mais intérieurement. Ils sont plus forts, plus vifs, et surtout ils dévorent tout ce qui leur tombe sous le nez… Il… il semblerait que vous soyez atteint par ce symptôme, et j'avoue que même si j'ai du mal à y croire, il n'y a pas que des stupidités dans ces histoires. Cela expliquerait pas mal d'événements…