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— Vous… vous voulez dire que je me transforme en animal ? Mais, comment ça c'est produit pour ces gens ? Pourquoi ? Pourquoi moi ?

— Ils semblent tous avoir été en contact avec un homme blanc. Dans presque toutes les histoires, ils le remercient de leur avoir offert ce… don. Vous n'avez pas rencontré ce type d'individu, ces derniers temps ? Quelqu'un qui vous aurait paru suspect, qui vous aurait touché, ou je ne sais pas moi ! Dites-moi !

Warren se constitua un masque de ses deux mains.

— …Non, non… je ne vois pas… Ça a commencé samedi dernier… Pas ce samedi-ci, mais l'autre d'avant… Le… le lendemain de mon anniversaire… Oui… Mon fils a commencé à être malade, et j'avais retrouvé mon premier poisson mort… Oui, c'était bien ce samedi-là !

— Et donc, le jour de votre anniversaire, rien de particulier ? Le vendredi ?

Warren entama les fouilles dans ce qui lui restait de lucidité, dépilant des boîtes de souvenirs, des blocs de mémoire.

Vendredi…

— Non, je suis allé travailler, comme tous les jours… Je n'ai pas quitté mon bureau de la journée… Tout un tas de devis à écrire… Puis je suis rentré, et là, ma femme m'avait préparé un bon repas pour mon anniversaire… Les enfants m'ont offert une montre, regardez comme elle est belle !

Sa voix cassée et celle du vilain petit canard ne faisaient qu'une. Cette montre, symbole de l'amour de sa famille, comptait tellement pour lui. Touché intérieurement, l'inspecteur resta cependant de marbre. Pas de sentiments ici, pas maintenant. D'ailleurs, il reprit d'un ton assez rude pour cacher une profonde émotion.

— En effet, elle est belle. Et ensuite ? Vous êtes sorti, quelqu'un est venu ? Des amis ?

Warren se trouvait face à un puits noir sans fond. Il pouvait détailler exactement ce qu'il avait mangé, mais était incapable d'expliquer pourquoi il s'était endormi si tard…

— Je… je me suis couché à une heure du matin… Mais, entre le repas et cette heure, je ne me souviens pas de ce que j'ai fait ! Il creusait désormais à grandes pelletées dans sa tête. Non ! Impossible de savoir ! Inspecteur, je ne me souviens pas de ce que j'ai fait entre 21 h et 1 h du matin ! Il… il faudrait demander à ma femme ! Elle doit savoir, elle, forcément !

L'inspecteur se propulsa jusqu'au téléphone accroché au mur. Le suspense était insoutenable.

— Madame Wallace ? Inspecteur Sharko… Non, il va bien… Il est ici, dans une salle avec moi… Oui…

Le récepteur bloqué entre menton et épaule, il poursuivit, sans omettre de lorgner Warren du coin de l'œil.

— J'ai besoin de connaître un détail… Vous souvenez-vous de ce qu'a fait votre mari le jour de son anniversaire ?… Parfait… Oui… Et le soir ?

À voir le visage incendié de l'inspecteur, Warren sut que c'était peine perdue.

— Vous êtes sûre ? … De rien du tout ? … Bon… Si des souvenirs vous revenaient, tenez-moi informé… Non, pas pour le moment… Nous allons le garder encore… Vous pourrez le voir peut-être dans deux jours… Très bien… Je passerai en fin de journée… À tout à l'heure…

— Comment va-t-elle ? se soucia Warren.

— Je vous mentirais si je vous disais bien… Je vais passer la voir… Pour lui expliquer, avec ce livre, et ce qui vous arrive…

— Alors, elle ne sait rien du tout ?

— Non, elle ne se souvient absolument de rien… Elle ne sait même plus à quelle heure elle s'est couchée… Ni si c'était avec ou sans vous… Faites un effort, essayez de vous rappeler !

Il ferma les yeux, les deux index enfoncés dans les tempes cette fois. Le noir complet, un mur de briques.

— Non, impossible… Désolé inspecteur…

— Jouez franc jeu avec moi, dit l'inspecteur, un poing sur la table. Vous savez que c'est vous qui avez tué ce petit vieux ?

— Je… je pense que c'est mon autre moi qui l'a fait… Vous savez, avec mon chien et mes poissons, j'ai su parce que j'avais déclenché mon caméscope… Sinon, je serais encore ignorant à l'heure qu'il est… Croyez-moi inspecteur, je ne suis pas coupable de ces meurtres… Je… je ne ferais pas de mal à une mouche !

— Je sais que vous êtes sincère, admit l'inspecteur, qui devinait au fond des yeux de ce pauvre homme une détresse profonde. Pour les autres crimes, nous savons que ça n'est pas vous. Mais pour celui-là… Je suis avec vous, monsieur Wallace… Je crois à cette histoire, aussi absurde que cela puisse paraître… Nous allons devoir vous garder, malheureusement… Le temps de tirer cette affaire au clair…

— Mais… Ça peut prendre des semaines ? dit Warren en paniquant.

— Je sais… Mais comprenez bien que vous êtes soupçonné de meurtre, et que la loi, pour l'heure, n'en a rien à faire de ces histoires à dormir debout. Dans l'après-midi, vous serez transféré à la maison d'arrêt de Sortaz…

— Non ! Je ne veux pas finir là-dedans inspecteur, je vous en supplie ! Je ne tiendrai pas le coup !! Ma femme, mes enfants…

Il pleurnichait, et ses yeux ressemblaient à ceux de son cocker.

Le pauvre homme, la pauvre femme, pensa l'inspecteur.

— Vous n'allez pas rester là-bas longtemps. Je vais demander à ce qu'on vous emmène au centre spécialisé de Longueline. Ils pourront certainement étudier votre cas… Enfin vous savez, votre état animal… Il y aura peut-être moyen de prouver que vous n'y êtes pour rien, que vous n'étiez pas conscient de tout cela… Vous pourrez voir votre femme et vos enfants. Il y a des horaires de visite. N'oubliez pas, vous auriez pu vous en prendre à votre famille ! Au moins, là, ils seront en sécurité le temps qu'on trouve la solution de ce sac de nœuds…

— Vous avez raison inspecteur, se résigna Warren, qui voyait peut-être, un jour, une issue à cette galère. Je dois bien m'avouer vaincu. Les neurones ne tournent pas rond chez moi… Ce que vous voulez, sauf la prison, c'est tout ce que je demande. On peut m'utiliser, faire toutes les analyses que l'on veut sur moi, mais pas ça !

— Je vous soutiendrai, comptez sur moi ! Et je sais que votre famille sera derrière vous. Je dois vous remettre ces menottes… Désolé…

Bien que rude au début de l'entretien, son ton avait désormais la douceur de pétales de rose. Warren coopéra sans ciller.

— Faites, inspecteur… Merci pour votre aide…

Les fers passés, on le rangea dans son cachot. L'inspecteur était un peu honteux de ses actes, sachant pertinemment que cet homme n'avait pas à être ici…

Chapitre 10

Le chaos

1

Les dix-huit jours qui suivirent furent une période faste pour L'Arrache-Cœur. Sam embauchait désormais à un train d'enfer, si bien que, par nuit, trois recrues fraîches enflaient les rangs des démonteurs de jambes. Ils s'affichaient déjà vingt-neuf au sein de l'entreprise. Les lieux de pêche s'étaient diversifiés : réunions des alcooliques anonymes, séminaires de désintoxication, et autres attroupements pacifiques pour les oubliés de la vie. Sans cesse renflouée par de nouvelles têtes, la réunion de Anna, mine inépuisable, restait cependant leur matière première la plus efficace.

Concernant les transformations, elles s'étaient toujours déroulées dans des conditions idéales, si bien que les tornades fusaient à rythme soutenu dans le sinistre abattoir. Sur toute la troupe, seuls trois, qu'il considérait comme des animaux de basse classe, ne partaient jamais en mission d'élimination, mais chaque fois, il se pliait en quatre pour leur trouver une tâche appropriée. Le jour où avait été enfanté cet humain-lièvre, Sam s'était posé de sérieuses questions. Trouvant la chair répugnante, l'homme-animal avait refusé de toucher à la viande humaine. Par contre, il était capable d'engloutir un champ de carottes complet si on l'écoutait. Parce qu'il était tant rapide que discret, Sam l'avait chargé de le fournir en sédatifs, couteaux, compas, et divers matériaux de première nécessité.