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Avant de partir pour les Tropiques, Sharko était venu plusieurs fois s'enquérir de l'état de santé de son protégé, et ce fut à cet instant qu'il comprit toute la sauvagerie qui pouvait animer les autres barbares, en liberté dans les rues où couraient des enfants.

Quant à Beth, elle le soutenait de tout son amour pour raviver cette flamme qui s'essoufflait dans le cœur de son époux. Elle ne visionnait pas les films, ça n'était pas le genre de cassettes dont on se régalait auprès d'un bon feu, un paquet de pop-corn dans les mains. Mais on lui dressait des comptes rendus, affirmant que l'on maîtrisait la situation. Les jumeaux ignoraient tout de ce qui pouvait se tramer, croyant que leur père était à l'hôpital pour une appendicite, même si les infirmières étaient de gros bourdons moustachus et que les autres malades avaient une poire ramollie en guise de cerveau…

6

2 h 00 du matin. Enfoui dans son lit et arme au poing, L'inspecteur avoisinait les dix-huit de tension. Pas un chuchotement, seul un fin filet d'air qui chuintait entre les tuiles du toit et qui rampait sur le sol du grenier. Parfois l'escalier ou les armoires craquaient d'eux-mêmes, alors systématiquement son palpitant s'emballait. Des zones de noir intense puis de clarté obscure se succédaient dans la chambre chaque fois que des nuages aux formes spectrales voilaient la lune, faisant courir de mystérieuses ombres sur la tapisserie du fond. Et pendant ces instants où il n'y voyait absolument rien, il était vulnérable. Braqué en direction de l'entrée, son revolver, dont la forme saillante se profilait sous les draps, lui glissait entre les doigts tellement ses mains étaient moites. Il préférerait ne pas le ou les tuer, afin de les interroger, mais aurait-il vraiment le choix ? S'ils étaient comme Wallace, bestiaux et affamés, que pourrait-il faire d'autre que d'ouvrir le feu ?

2 h 37. Toujours rien, juste cette saleté de lune qui jouait à cache-cache avec les nuages. Il se posait de sérieuses questions sur la stupidité de son acte. L'immonde gourou avait peut-être senti l'arnaque, et exécutait certainement dans de tranquilles bourgades, à l'abri de tous dangers… Ou alors cette histoire avec la Guyane n'était que du vent, une gigantesque tempête.

Ce silence de mort, ces ombres menaçantes sur les murs et cette impression que l'on s'était gentiment moqué de lui commençaient sérieusement à lui saccager la cervelle…

2 h 34, trois minutes plus tôt. Après avoir longé le champ encore embourbé, les quatre hommes-animaux se trouvèrent devant une palissade de plus de trois mètres de haut. Yvan, le chat, ne fit qu'une bouchée de cet obstacle, juste en s'aidant d'une de ses mains au sommet. Le reste de la meute peina un peu plus, mais tous la franchirent en moins de dix secondes.

Jean força la porte avec une facilité à rendre honteux un voleur de diamants. Son ouïe lui permettait d'entendre le cliquetis de la serrure, donc de connaître l'endroit exact où tourner une stupide lime à ongles pour que le verrou cédât. Bouche baveuse, langue dehors, rapides tels des furets hors de leur terrier, ils pénétrèrent d'un pas déterminé. Le temps d'un souffle, profitant de leurs sens si finement développés, ils étaient assurés qu'il n'y avait pas âme qui vive en bas. Ils volèrent jusqu'au bout du couloir, deux par deux. Yvan et Henri se rangèrent chacun de part et d'autre de la montée d'escalier, dos contre le mur, un pavé vissé à la main. Le chef de troupe fit signe aux deux éclaireurs qu'il était temps d'aller présenter la Faucheuse à l'inspecteur. Ils grimpèrent allégés de leur sac, alourdis par contre d'une énorme pierre. Sans la moindre plainte des marches, ils se scotchèrent sur le mur extérieur à l'entrée de la chambre. Seule une porte close les séparait d'une paire de jambes d'exception.

2 h 38. Le policier, cobaye de l'État, rêvassait à moitié, loin de se douter qu'un quatuor sanguinaire, doté de qualités exceptionnelles ainsi que d'une force colossale, s'organisait dans son couloir pour le radier du barreau de la manière la plus nette possible. Un bruit ! La poignée, elle tournait, lentement !

La lune avait enfin choisi son camp, elle éclairait du plus qu'elle pouvait de son croissant pourtant timide.

Meeeerde, ils sont là !!

Repoussant avec difficultés les lames de rasoir qui s'étaient engrangées dans sa vessie depuis le début de la nuit, il grimaça de douleur, mâchoire serrée. Ses paumes étaient trempées, la crosse glissait, ses membres tremblaient. Poignée tournée à fond, porte presque ouverte. Léger grincement, genre celui d'une fenêtre de manoir. Une bille de sueur lui noya le blanc de l'œil, et il dut le fermer tellement le sel lui brûlait. Il en sentit une autre rouler en direction de son œil valide, mais Dieu merci elle fut stoppée par son sourcil, éponge remplie d'eau. Ces secondes-là, celles pendant lesquelles il pouvait distinguer la fine frontière ondulant entre la vie et la mort, étaient abominables. Avec une lenteur extrême, les gonds se mirent à tourner, tandis qu'il recroquevillait ses jambes, prêt à rouler sur le sol. Deux spectres aux yeux brillants, jaunes, s'esquissèrent, bras tendus au-dessus de leur tête en position pour frapper.

— Bougez pas !! Bougez pas !! Ou je tire !! Un pas, le moindre mouvement, et je vous explose la tête !!

Le regard tendu, il libéra une main frémissante de son arme pour appuyer sur le bouton de la lampe de chevet. La lumière blanchâtre frappa les deux visages dont les pupilles se rétractèrent pour former un microscopique point noir.

— Qu… qu'est-ce qu'on fait, David ? demanda Jean, abasourdi par un accueil pour le moins inattendu.

Bras et jambes tendus, David sauta à la manière d'un écureuil volant, s'éleva dans les airs, avant d'être stoppé net par une balle au milieu du front. Le mutant au visage explosé atterrit exactement à l'endroit où le policier se trouvait deux secondes auparavant, raide mort. Gâchette mi-enfoncée, l'inspecteur tenait déjà son binôme en joue.

— Toi, bouge pas !! Enculé !! Couche-toi ! Couche-toi sur le sol !!

Jean ne broncha pas, agrippé dans le dos par la Mort qui voulait l'emmener. Pourtant pris au piège, il décida de ne pas s'exécuter comme l'avait ordonné Sam, trouvant stupide d'y rester sans auparavant tenter sa chance jusqu'au bout. Bloc de béton entre les mains, bras fléchis derrière la tête, il grogna avec rage pour lancer la pierre. Le cube n'eut pas le loisir de décoller de ses mains, le monstre avait déjà reçu une balle au sommet du crâne et chutait à la renverse pour dégringoler jusqu'en bas de l'escalier. Son visage en sang et amorphe termina sa course aux pieds d'Yvan, ses deux yeux vitreux fixant le plafond. Yvan ne bougea pas, clouant un doigt devant sa bouche qui ordonnait le silence. Le second acolyte, de l'autre côté, bomba le torse et redoubla d'attention. Ils attendaient, telle une mâchoire rétractile qui se fermerait dès qu'une présence traverserait le couloir.

Sharko retourna l'ignoble exécuteur qui avait le visage enfoui dans son lit. Ses yeux étaient redevenus normaux, néanmoins le bond qu'il avait fait du fond de la chambre confirmait qu'il n'était pas tout à fait humain. Désormais, il en avait la certitude, les histoires du livre étaient bien réelles. Arme fumante contre sa joue, il se positionna en haut de l'escalier pour vérifier que la seconde bête était bien morte. Il appuya sur le bouton situé sur le mur au sommet des marches, et cet interrupteur avait la particularité d'allumer les ampoules de la descente d'escalier, du salon et de la salle à manger. Sa femme avait insisté pour qu'il installât ce système, parce qu'elle avait une frousse insensée de traverser des pièces noires. La source lumineuse, placée au-dessus de la tête d'Yvan, projeta une longue ombre qui s'agitait sur le sol. Après l'avoir repérée, l'inspecteur éteignit aussitôt.