Nom d'un chien, il y en a encore un planqué en bas !! Il… il y en a un deuxième, l'ombre faisait des gestes à quelqu'un de l'autre côté !! Merde !!
Comment faire pour les éliminer ? Aucune solution probante n'était envisageable par cette voie, parce que plaqués contre le mur, ils lui fracasseraient le crâne au moindre courant d'air… Il retourna dans la chambre, lorgnant par la fenêtre.
Non, impossible de s'aventurer par là, trop haut, trop risqué.
Aucune fuite concevable, les affronter devenait l'unique alternative. Il souleva le cadavre par-dessous les bras pour le traîner au bord de la descente. Ceinturant le corps sans vie par la poitrine, serrant dans un même effort son arme, il dévala de quelques mètres, puis lâcha la masse inerte qui roula et alla s'écraser nez le premier sur le tapis oriental disposé au pied de la montée. Deux pavés se partagèrent chacun une moitié de sa tête, jetés si violemment que des morceaux de cervelle furent éjectés jusqu'aux chevilles de l'inspecteur.
— Merde ! Mais c'est… c'est…
Yvan, déboussolé, n'eut pas le temps de terminer sa phrase, un projectile cuivré lui traversa la gorge, donnant naissance à un fleuve de sang qui s'épancha du trou tel le vin qui coule d'une barrique. Le feu au visage, le dernier agresseur éparpillait ses boyaux derrière lui, s'éventrant jusqu'au bas-ventre tout en hurlant. La torche humaine, flambant tel un cascadeur dans un film d'action, fut stoppée par une balle dans le dos.
L'inspecteur se rua dans la cuisine, remplit un grand seau d'eau qu'il balança sur le rideau qui se consumait. Les flammes s'essoufflèrent dans un épais nuage de fumée grise. À voir les quatre kamikazes qui gisaient sur le carrelage, il prit réellement conscience de l'ampleur du phénomène, et quand il apprit, le lendemain matin, que quinze cadavres de notaires, d'avocats et de policiers avaient été découverts, il savait que le pays allait connaître le pire génocide de ce siècle…
Chapitre 11
La jolie petite linotte
La linotte avait enfin réussi à s'aventurer jusqu'à la salle de télévision de l'hôpital. Fine fleur des observatrices, elle avait dressé un plan dans sa maigre cervelle pour se rendre à la chambre de Warren. Autre fait important : la fin de soirée était une période creuse pendant laquelle le personnel dînait, lui offrant donc plus de champ pour manœuvrer. Bas et trop étroits, les couloirs, de surcroît surveillés par des mastodontes, interdisaient tout mouvement d'ailes. À l'entrée, elle profita de la relève pour se glisser à l'intérieur du bâtiment, puis évolua entre poubelles et piquets de béton pour bluffer les gardiens de l'accueil. Discrète et silencieuse, l'astucieuse exploratrice avait ensuite sautillé en longeant les murs infinis, pour se cacher sous un des fauteuils de la salle de repos où elle s'autorisa une brève halte. Après avoir récupéré, elle s'enfonça dans l'ultime allée, lorgna à droite, à gauche, puis se lança, queue serrée, s'appuyant sur de minuscules pas rapides. Derrière chaque fermeture, elle percevait les plaintes des malades qui tambourinaient contre les murs, sautaient sur leur lit ou se claquaient la tête contre les lavabos en plastique. Plus que quinze mètres avant la chambre… Une porte battante claqua, au fond ! Chargée de cuvettes de déchets, une montagne se dressa !
— Qu'est-ce que c'est que ça ? aboya le monstre.
Il jeta toutes ses encombrantes bassines, et de solides excréments semblables à de beaux cigares roulèrent pour terminer leur course contre les plinthes noires, cassés en deux.
Il se mit à la courser ! Elle n'avait pas le choix : entamer rapidement un demi-tour ou alors faire volte-face. Si près du but ! Paniquée et perdue, aveuglée par le blanc omniprésent, elle battit des ailes et se cogna contre le plafond trop bas ! Elle se claqua le bec contre le sol, à moitié assommée. Les petits gémissements qu'elle poussait n'attendrirent pas son agresseur, bien au contraire ! Trop violent, le coup l'empêchait de reprendre son envol, et dans ses inutiles efforts, elle abandonnait d'impressionnants paquets de plumes. Les pas se rapprochaient, le sol tremblait de plus en plus fort.
— Attends un peu que je t'attrape, salope !!
Elle sentait presque son souffle rauque. Elle paniquait, elle ne se souvenait plus comment on volait ! De sa semelle de plomb, il allait l'écraser ! Miracle, ses pattes ne touchaient plus le sol, elle avait décollé ! Au bout de l'allée, elle vrilla dans une cage d'escalier tel un cormoran qui torpille la mer, longea un autre couloir si long que les murs, pourtant parallèles, semblaient se rejoindre à l'horizon. Elle retrouva l'entrée, fermée !! Moult gardiens jaillirent de leurs bureaux, elle était prise ! Elle resta là, stoïque, juste au pied de la porte, les ailes rangées le long de ses flancs et la tête à demi enfoncée.
Essoufflé, le regard rouge de colère, écumant comme un taureau, l'homme en blouse blanche apparut.
— On te tient, petite merde !
Est-ce que ça allait marcher ? Elle espérait, elle ne voulait pas finir aplatie, pas avant d'avoir accompli son devoir. Elle s'était placée au centre du tapis couleur tête-de-nègre utilisé pour se frotter les semelles. Le poursuivant, seulement à quelques mètres d'elle, fit se déclencher l'ouverture automatique. La porte coulissa enfin.
— Merde ! Elle va se barrer, attrapez-la !!
Elle se faufila dans l'ouverture avant de disparaître. Son cœur, fragile machine de précision, battait à lui arracher la poitrine. Mais motivée par l'échec, demain, elle réessaierait.
Guyane française, cœur de l'Amazonie. L'inspecteur et son acolyte, du tiers de sa taille, s'enlisaient depuis quatre jours dans cet enfer vert. Les deux guides qui les accompagnaient dépiautaient, à coups de coupe-coupe approximatifs, des lianes encombrantes et des pieds-de-loup envahisseurs. Les branches des palétuviers ainsi que celles des hamamélis s'entrecroisaient pour constituer des murs filamenteux, qui venaient agripper leurs épaules alourdies par des gamelles de survie et les trousses à pharmacie. Neil, lui, ne portait rien. Il avait déjà suffisamment de mal à sortir la tête des broussailles pour avoir à se soucier de quoi que ce soit d'autre. Afin d'éviter les attaques surprises autant des aspics aux aguets que des mygales agressives, il avait chaussé des bottes qui lui chatouillaient le haut des cuisses.
Recouvert d'un tapis de feuilles verdâtre qui n'autorisait pas la moindre pénétration de rayons de soleil, le ciel n'était pas visible. Des cris de toucans colorés, peu habitués à de telles visites, perforaient ce brouhaha continu, entretenu par une faune aux mille visages. Au-dessus, des ouistitis amusés et des nasiques rêveurs suivaient nos expéditeurs à quarante mètres de hauteur, voltigeant d'arbre en arbre tels de chevronnés trapézistes de cirque. Il était à peine 17 h 00, pourtant le noir commençait à envahir la brousse, et mieux valait ne plus trop traîner désormais.
Comme prévu, ils arrivèrent au bord du Maroni pour y installer un campement sur la berge. Allumer un grand feu devenait prioritaire, seul moyen d'éloigner les prédateurs potentiels qui ne perdraient pas l'occasion de festoyer à la Sam. Après avoir échangé quelques mots en créole, le plus café au lait des deux guides s'avança vers l'inspecteur et le traducteur, tous deux trempés jusqu'aux os par leur propre sueur.
— Demain matin, nous arriverons dans l'une des communautés. Plus que trois heures de marche… Espérons qu'ils sont toujours à cet endroit… nous devrons rester calmes et prudents… Reposez-vous bien, et ne lâchez jamais votre arme ! Et surtout, si vous vous levez la nuit, restez toujours à proximité du feu ! Ne vous aventurez pas là-dedans, vous n'en reviendriez pas vivant… Tenez…