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La linotte avait envisagé d'être au côté de Warren lorsqu'il se réveillerait. Même s'il n'était pas 19 h 00, elle retenta sa chance, et bien que son aile la lancinât, elle s'était juré de le sortir de là. Pénétrer ne fut pas le plus difficile, les allers et retours se multipliaient à cette heure. Cependant, après un temps d'observation, elle ressortit désespérée, sachant que jamais elle ne serait capable de traverser ce satané couloir.

Nichée dans le parterre d'hortensias sur le côté du parvis, la tête légèrement à découvert, elle imagina une solution différente.

Les idées ne germaient que très lentement, simplement parce que sa cervelle basique ne traitait pas énormément d'informations à la fois. De l'extérieur, cet hôpital se dressait telle une muraille infranchissable, et dedans, c'était pire : d'interminables couloirs gardés comme unique moyen d'accès, des vitres partout livrées avec des surveillants cloués derrière, et des portes closes qui tronçonnaient les allées en compartiments indépendants.

Quand elle aperçut cette dame courbée par le temps approcher, au loin, le miracle s'esquissa. Accompagnée probablement par sa fille, elle venait sûrement rendre visite à son maboul de mari. La linotte futée au bec orange, à la gorge vermillon et aux deux rayures jaunes s'éleva dans les airs, puis vint se glisser derrière, les contournant par-dessus en se laissant habilement porter par les différents courants d'air. Elle s'approcha discrètement de la femme aux cheveux ferreux, avant de plonger dans l'ouverture de son sac à main, un vieux cabas de toile. Une fois enfouie, non sans difficultés, dans la cavité réduite, elle réalisa avec peine un demi-tour et se positionna, prête à jaillir en cas de danger. Son petit bec pointu dépassait tout juste, et la fière sentinelle avait un poste d'observation plus que correct. Si ce fichu gardien se mettait à fouiller le sac, elle était cuite. Mais il ne le ferait pas, pas à une vieille dame, tout de même ! Du moins s'était-elle basée sur cette hypothèse. Une fois l'entrée franchie, elles se présentèrent devant le poste de garde, dans le hall.

— Bonjour mesdames !

La voix du loubard de l'autre fois, elle l'avait clairement identifiée !! Si ce monstre lui tombait dessus, il lui tordrait le cou !! Trop tard pour se rendre compte que ce plan était d'une stupidité affligeante ! Les griffes emmêlées dans la dentelle d'un mouchoir, elle tenta de s'enfouir plus au fond du sac à main, mais un parapluie lui entravait la voie. Elle se trouvait bel et bien coincée.

La jeune fille parla.

— Nous venons voir monsieur Flamand, c'est mon père. Il est arrivé ici avant-hier.

— Bien mesdames. Il est au premier étage, je vais vous accompagner.

La linotte respirait, pourtant le danger rôdait plus que jamais.

Consciente qu'elle ne pourrait pas sortir de si tôt, elle glissa sa fine tête dans l'ouverture du cabas, tentant de mémoriser le chemin, mais ils traversèrent des couloirs, montèrent des escaliers, puis encore des couloirs, tous blancs. Un blanc qui fait mal, un blanc d'hôpital, tout simplement. Finalement, il les pria de patienter dans une salle joliment aménagée, dans laquelle s'étalaient deux gros fauteuils, une table de salon de jardin, ainsi qu'un ancien téléviseur portatif suspendu au mur. Il s'effaça dans une pièce voisine, probablement parti chercher le vieil homme. La dame avait posé son sac sur le côté, chance inespérée ! Une clé tournoyait déjà dans la serrure, laissant supposer que dans deux minutes, le mastodonte serait de retour.

La fluette aventurière bondit délicatement sur le sol, puis se dissimula derrière un gros canapé, queue en éventail, pattes serrées et mi-enfouies. Elle n'avait pu se retenir de faire ses besoins, mais quand ils s'en apercevraient, elle se serait déjà esquivée. En sautillant, elle s'enfonça dans le couloir par lequel il lui semblait qu'ils étaient arrivés. Les gémissements effrayants, derrière les portes verrouillées, lui bourdonnaient dans les oreilles. Le numéro de porte de Warren était le cinquante-deux, à deux étages dessous. Selon toute logique, elle aurait dû se diriger vers le fond, mais les trois blouses blanches qui discutaient accaparaient toute la largeur de la voie. Elle s'engagea alors dans la première cage d'escalier venue, et l'aspect faussement spacieux de l'endroit la rassura un tant soit peu. Assistée par de rapides battements d'ailes, elle dévala les marches quatre à quatre, semant involontairement des grappes de plumes sur son passage. Si elle ne prêtait pas plus d'attention, ils lui tomberaient dessus ! Elle se calma donc, reprenant péniblement son souffle. Son cœur, minuscule ocarina, lui jouait de timides refrains au travers de sa maigre poitrine. Elle gagna enfin le rez-de-chaussée. Numéro quatre-vingt-treize. Pas de chance, l'escalier éventrait un tronçon formé par deux portes battantes, percées d'une espèce de hublot à hauteur d'homme. Elle essaya bien de pousser, du bec, mais les gonds ne bougèrent pas d'un millimètre. Torse plaqué sur le battant, forces rassemblées, elle testa une ultime fois, mais ses brindilles de pattes glissaient sur le carrelage, son effort était vain. Il lui fallait attendre quelqu'un, puis jouer serré. Elle se plaça sur le rebord de la vitre, abaissée juste pour que seul le dessus de sa tête fût visible. Quelqu'un se présenta, au fond, puis tourna, malheureusement. Un autre déboula trois minutes plus tard, chargé de dossiers jusque par-dessus la tête. Oui, il allait passer ! Ses mains disproportionnées ne laissaient aucun doute quant au sort qu'il lui réserverait s'il lui tombait dessus.

Ailes rangées, elle se mit en équilibre sur un des gonds, à ras du plafond. Lorsque l'employé poussa les deux portes du pied, ensuite de l'épaule, elle se glissa dans l'ouverture avant de se poser sur l'autre gond, du bon côté cette fois-ci. Distrait par un bruissement d'ailes, le colosse se retourna, et Dieu merci il ne l'aperçut pas, ni elle, ni la plume qui traînait sous sa semelle. La porte battit plusieurs fois, et il fondit dans l'escalier.

Elle arrivait enfin à bon port. Porte cinquante-deux. Pas un bruit à l'intérieur, même pas un ronflement. Ankylosée par une suée intérieure, elle priait le ciel pour ne pas s'être trompée, consciente que ses heures étaient comptées. Elle se faufila par la fine trappe qui servait à déposer les plateaux de nourriture. À l'intérieur, enfin en sécurité, elle se plaça sur le sol dans un coin et patienta, la tête enfoncée dans ses plumes et les yeux fermés.

Son palpitant battait, et elle avait pris un sacré coup de vieux…

Chapitre 12

L'éclosion

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Certains faits étranges chiffonnaient Anna depuis nombre de séances. Quatre de ses patients s'étaient volatilisés sans qu'elle en comprît la cause. Yvan, le plus sérieux et le plus assidu de tous, n'avait plus jamais donné signe de vie. Puis Romuald, qui pourtant avait promis de suivre toutes les séances jusqu'à sa guérison, ne s'était présenté que deux fois. Et Sam, et Richard, qu'étaient-ils devenus ?