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— Je suis las de jouer les Pollux auprès de ce Castor, déclara-t-il un jour, plein de ressentiment, en jurant que maintenant qu’il était consul, ce serait différent.

César avait également contre lui pas moins de trois tribuns, Ancharius, Calvinus et Fannius, qui exercèrent chacun leur veto. Mais César était bien décidé à obtenir gain de cause, quel qu’en fût le prix, et il entama rien moins que la destruction délibérée de la constitution romaine — j’espère qu’il sera pour cela maudit à jamais par l’humanité tout entière.

D’abord, il intégra dans son projet de loi une clause exigeant que chaque sénateur prêtât serment — sous peine de mort — de ne jamais tenter d’abroger la loi une fois qu’elle serait promulguée. Puis il convoqua une assemblée publique à laquelle participèrent Pompée et Crassus. Cicéron se tenait avec les autres sénateurs et regarda Pompée se laisser convaincre de proférer, pour la première fois de sa longue carrière, une menace directe.

— Cette loi est juste, affirma-t-il. Mes hommes ont versé leur sang pour la terre romaine, et il n’est que justice qu’à leur retour, une partie de cette terre leur revienne en récompense.

— Soutiendrais-tu cette loi, lui demanda César non sans fourberie, au cas où ses adversaires emploieraient la violence pour empêcher qu’elle ne soit reçue ?

— Si l’on vient avec l’épée s’opposer à cette loi, répondit Pompée, je viendrai pour la soutenir en apportant même, avec l’épée, le bouclier.

La foule poussa un rugissement de plaisir. Cicéron ne toléra pas d’en entendre davantage. Il se détourna et se fraya un chemin parmi les sénateurs pour quitter l’assemblée.

Les paroles de Pompée étaient en effet un appel aux armes. Quelques jours plus tard, il commença à remplir Rome de ses soldats. Il paya pour les faire venir de toute l’Italie et les installa dans des tentes à l’extérieur de la ville ou dans des logements bon marché dans la cité même. Ils firent entrer en fraude des armes illégales qu’ils dissimulèrent en attendant le dernier jour de janvier, date à laquelle la loi devait être votée par le peuple. Les sénateurs notoirement opposés à cette loi se faisaient insulter dans la rue, et leurs maisons recevaient des pierres.

L’homme qui orchestra cette campagne d’intimidation pour le compte de la Bête à Trois Têtes était le tribun P. Vatinius, qui passait pour être l’homme le plus laid de Rome. Il avait attrapé la scrofule lorsqu’il était enfant et avait la figure et le cou couverts d’écrouelles bleuâtres. Il avait également le cheveu rare et les jambes torses, de sorte qu’il marchait les genoux écartés, comme s’il venait de faire une longue course à cheval ou bien s’était souillé. Curieusement, il était doté d’un charme certain et se moquait bien de ce qu’on pouvait dire de lui : il accueillait toujours les plaisanteries de ses ennemis concernant son physique par d’autres, bien plus drôles, de son cru. Les hommes de Pompée lui étaient fidèles, et le peuple aussi. Il organisa de nombreux rassemblements publics en faveur de la loi de César et fit même venir le consul Bibulus pour être interrogé à la tribune aux harangues. Bibulus était pour le moins d’un caractère emporté, et Vatinius le savait, aussi fit-il lier ensemble par ses gens des bancs de bois, pour constituer un pont reliant les rostres au carcer. Et lorsque, comme prévu, Bibulus dénonça la loi agraire en termes des plus violents — « Ta loi ne passera pas cette année, pas même si vous voulez tous l’adopter ! » —, Vatinius le fit arrêter et emmener par le pont jusqu’à la prison, comme un otage des pirates contraint de subir le supplice de la planche.

Cicéron assista à la plus grande partie de ces événements depuis son jardin, emmitouflé dans un manteau pour se garder du froid de janvier. Il se sentait très déprimé et s’efforça de rester en dehors de tout cela. De toute façon, il ne tarda pas à avoir des problèmes plus pressants à régler.

Un matin, au milieu de tout ce tumulte, j’ouvris la porte et trouvai Antonius Hybrida en train d’attendre dans la rue. Cela faisait plus de trois ans que je ne l’avais pas vu, et je ne le reconnus pas tout de suite. La bonne chère et le vin de Macédoine l’avaient fait beaucoup grossir tout en lui donnant le teint plus fleuri encore, produisant l’impression qu’il avait été tout entier recouvert d’une couche de graisse d’un rouge brouillé. Je le conduisis dans la bibliothèque, et Cicéron sursauta comme s’il avait vu un fantôme, ce qui, d’une certaine façon, n’était pas faux car c’était bien son passé qui revenait le hanter — et lui réclamer vengeance. Au début de son consulat, alors que les deux hommes venaient d’arriver à une entente, Cicéron avait donné à Hybrida son accord écrit que, si jamais il était poursuivi, il lui servirait d’avocat, et maintenant son ancien collègue venait réclamer son dû. Il avait amené avec lui un esclave qui portait l’acte d’accusation, et Hybrida le remit à Cicéron d’une main qui tremblait si violemment que je craignis qu’il ne nous fît une attaque. Cicéron présenta le document à la lumière pour l’étudier.

— Quand cela a-t-il été délivré ?

— Aujourd’hui.

— Tu sais de quoi il s’agit, n’est-ce pas ?

— Non. C’est pour ça que je t’ai apporté cette saloperie tout de suite. Je n’ai jamais compris un traître mot à tout ce charabia juridique.

— C’est une assignation pour trahison, dit Cicéron en examinant le document avec un étonnement grandissant. C’est étrange. J’aurais cru qu’ils te poursuivraient pour corruption.

— Dis donc, Cicéron, il n’y aurait pas moyen d’avoir un peu de vin, par hasard ?

— Attends un peu. Essayons d’avoir les idées claires pendant un petit moment pour démêler tout ça. Il est écrit ici que tu as perdu une armée en Histria.

— Seulement l’infanterie.

— Seulement l’infanterie ! s’esclaffa Cicéron. Quand cela s’est-il passé ?

— Il y a un an.

— Qui se charge de la partie plaignante ? A-t-on désigné quelqu’un ?

— Oui. Il a prêté serment hier. C’est ton petit protégé — tu sais, ce jeune freluquet de Caelius Rufus.

Cicéron reçut la nouvelle comme un coup. Il était de notoriété publique que Rufus s’était brouillé avec son ancien mentor. Mais qu’il choisît pour sa première véritable incursion dans la vie publique de poursuivre le collègue consulaire de Cicéron — ce n’était ni plus ni moins qu’un acte de trahison. Cicéron fut tellement pris de court qu’il dut s’asseoir.

— Je croyais que c’était Pompée qui était le plus décidé à te faire passer en procès ?

— C’est le cas.

— Alors pourquoi laisse-t-il Rufus se faire les dents sur une affaire aussi importante ?

— Je ne sais pas. Et ce vin, maintenant ?

— Oublie cette saleté de vin pendant une minute.

Cicéron roula l’assignation et s’assit un instant, la tapotant contre la paume de sa main.

— Ça ne me plaît pas. Rufus sait beaucoup de choses sur moi. Il pourrait mentionner toutes sortes de détails.

Il lâcha le rouleau sur les genoux d’Hybrida.

— Je crois que tu devrais trouver quelqu’un d’autre pour te défendre.

— Mais c’est toi que je veux ! Tu es le meilleur. Nous avions un accord, tu te rappelles ? Je te donnais une partie des revenus et tu me protégeais des poursuites.