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CONSUELO

PAR

GEORGE SAND

TOME PREMIER

1861

NOTICE

Ce long roman de _Consuelo_, suivi de _la Comtesse de Rudolstadt_ et

accompagné, lors de sa publication dans la _Revue indépendante_, de deux

notices sur _Jean Ziska_ et _Procope le Grand_, forme un tout assez

important comme appréciation et résumé de moeurs historiques. Le roman

n'est pas bien conduit. Il va souvent un peu à l'aventure, a-t-on dit;

il manque de proportion. C'est l'opinion de mes amis, et je la crois

fondée. Ce défaut, qui ne consiste pas dans un _décousu_, mais dans une

_sinuosité_ exagérée d'événements, a été l'effet de mon infirmité

ordinaire: l'absence de plan. Je le corrige ordinairement beaucoup quand

l'ouvrage, terminé, est entier dans mes mains. Mais la grande

consommation de livres nouveaux qui s'est faite de 1835 à 1845

particulièrement, la concurrence des journaux et des revues, l'avidité

des lecteurs, complice de celle des éditeurs, ce furent là des causes de

production rapide et de publication pour ainsi dire forcée, Je

m'intéressais vivement au succès de la _Revue indépendante_, fondée par

mes amis Pierre Leroux et Louis Viardot, continuée par mes amis

Ferdinand François et Pernet. J'avais commencé _Consuelo_ avec le projet

de ne faire qu'une nouvelle. Ce commencement plut, et on m'engagea à le

développer, en me faisant pressentir tout ce que le dix-huitième siècle

offrait d'intérêt sous le rapport de l'art, de la philosophie et du

merveilleux, trois éléments produits par ce siècle d'une façon

très-hétérogène en apparence, et dont le lien était cependant curieux et

piquant à établir sans trop de fantaisie.

Dès lors, j'avançai dans mon sujet, au jour le jour, lisant beaucoup et

produisant aussitôt, pour chaque numéro de la _Revue_ (car on me priait

de ne pas m'interrompre), un fragment assez considérable.

Je sentais bien que cette manière de travailler n'était pas normale et

offrait de grands dangers; ce n'était pas la première fois que je m'y

étais laissé entraîner; mais, dans un ouvrage d'aussi longue haleine et

appuyé sur tant de réalités historiques, l'entreprise était téméraire.

La première condition d'un ouvrage d'art, c'est le temps et la liberté.

Je parle ici de la liberté qui consiste à revenir sur ses pas quand on

s'aperçoit qu'on a quitté son chemin pour se jeter dans une traverse; je

parle du temps qu'il faudrait se réserver pour abandonner les sentiers

hasardeux et retrouver la ligne droite. L'absence de ces deux sécurités,

crée à l'artiste une inquiétude fiévreuse, parfois favorable à

l'inspiration, parfois périlleuse pour la raison, qui, en somme, doit

enchaîner le caprice, quelque carrière qui lui soit donnée dans un

travail de ce genre.

Ma réflexion condamne donc beaucoup cette manière de produire. Qu'on

travaille aussi vite qu'on voudra et qu'on pourra: _le temps ne fait

rien à l'affaire_; mais entre la création spontanée et la publication,

il faudrait absolument le temps de relire l'ensemble et de l'expurger

des longueurs qui sont précisément l'effet ordinaire de la

précipitation. La fièvre est bonne, mais la conscience de l'artiste a

besoin de passer en revue, à tête reposée, avant de les raconter tout

haut, les songes qui ont charmé sa divagation libre et solitaire.

Je me suis donc presque toujours abstenue depuis d'agir avec cette

complaisance mal entendue pour les autres et pour soi, et mes amis se

sont aperçus d'une seconde manière, plus sobre et mieux digérée, dont je

m'étais fait la promesse à moi-même, en courant à travers champs après

la voyageuse _Consuelo_. Je sentais là un beau sujet, des types

puissants, une époque et des pays semés d'accidents historiques, dont le

côté intime était précieux à explorer; et j'avais regret de ne pouvoir

reprendre mon itinéraire et choisir mes étapes, à mesure que j'avançais

au hasard, toujours frappée et tentée par des horizons nouveaux.

Il y a dans _Consuelo_ et dans _La Comtesse de Rudolstadt_, des

matériaux pour trois ou quatre bons romans. Le défaut, c'est d'avoir

entassé trop de richesses brutes dans un seul. Ces richesses me venaient

à foison dans les lectures dont j'accompagnais mon travail. Il y avait

là plus d'une mine à explorer, et je ne pouvais résister au désir de

puiser un peu dans chacune, au risque de ne pas classer bien sagement

mes conquêtes.

Tel qu'il est, l'ouvrage a de l'intérêt et, contre ma coutume quand il

s'agit de mes ouvrages, j'en conseille la lecture. On y apprendra

beaucoup de choses qui ne sont pas nouvelles pour les gens instruits,

mais qui, par leur rapprochement, jettent une certaine lumière sur les

préoccupations et, par conséquent, sur l'esprit du siècle de

Marie-Thérèse et de Frédéric II, de Voltaire et de Cagliostro: siècle

étrange, qui commence par des chansons, se développe dans des

conspirations bizarres, et aboutit, par des idées profondes, à des

révolutions formidables!

Que l'on fasse bon marché de l'intrigue et de l'invraisemblance de

certaines situations; que l'on regarde autour de ces gens et de ces

aventures de ma fantaisie, on verra un monde où je n'ai rien inventé, un

monde qui existé et qui a été beaucoup plus fantastique que mes

personnages et leurs vicissitudes: de sorte que je pourrais dire que ce

qu'il y a de plus impossible dans mon livre, est précisément ce qui

s'est passé dans la réalité des choses.

GEORGE SAND.

Nohant, 15 septembre 1854.

CONSUELO

I.

«Oui, oui, Mesdemoiselles, hochez la tête tant qu'il vous plaira; la

plus sage et la meilleure d'entre vous, c'est ... Mais je ne veux pas le

dire; car c'est la seule de ma classe qui ait de la modestie, et je

craindrais, en la nommant, de lui faire perdre à l'instant même cette

rare vertu que je vous souhaite....

--_In nomine Patris, et Filii, et Spiritu Sancto_, chanta la Costanza

d'un air effronté.

--_Amen_, chantèrent en choeur toutes les autres petites filles.

--Vilain méchant! dit la Clorinda en faisant une jolie moue, et en

donnant un petit coup du manche de son éventail sur les doigts osseux et

ridés que le maître de chant laissait dormir allongés sur le clavier

muet de l'orgue.

--A d'autres! dit le vieux professeur, de l'air profondément désabusé

d'un homme qui, depuis quarante ans, affronte six heures par jour toutes

les agaceries et toutes les mutineries de plusieurs générations

d'enfants femelles. Il n'en est pas moins vrai, ajouta-t-il en mettant

ses lunettes dans leur étui et sa tabatière dans sa poche, sans lever