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maître Reuter.

--C'est l'école du Porpora, répondit l'autre; mépris et moquerie.

--Si l'on n'y prend garde, le vieux récitatif et le style _osservato_ nous

envahiront de plus belle que par le passé, reprit Holzbaüer; mais soyez

tranquille, j'ai les moyens d'empêcher cette _Porporinaillerie_ d'élever la

voix.»

Quand on se leva de table, Caffariello dit à l'oreille de Consuelo:

«Vois-tu, mon enfant, tous ces gens-là, c'est de la franche canaille.

Tu auras de la peine à faire quelque chose ici. Ils sont tous contre toi.

Ils seraient tous contre moi s'ils l'osaient.

--Et que leur avons-nous donc fait? dit Consuelo étonnée.

--Nous sommes élèves du plus grand maître de chant qu'il y ait au monde.

Eux et leurs créatures sont nos ennemis naturels, ils indisposeront

Marie-Thérèse contre toi, et tout ce que tu dis ici lui sera répété avec

de malicieux commentaires. Ou lui dira que tu ne l'as pas trouvée belle,

et que tu as jugé son cadeau mesquin. Je connais toutes ces menées. Prends

courage, pourtant; je te protégerai envers et contre tous, et je crois que

l'avis de Caffariello en musique vaut bien celui de Marie-Thérèse.»

«Entre la méchanceté des uns et la folie des autres, me voilà fort

compromise, pensa Consuelo en s'en allant. O Porpora! disait-elle dans

son coeur, je ferai mon possible pour remonter sur le théâtre. O Albert!

j'espère que je n'y parviendrai pas.»

Le lendemain, maître Porpora, ayant affaire en ville pour toute la journée,

et trouvant Consuelo un peu pâle, l'engagea à faire un tour de promenade

hors ville à la _Spinnerin am Kreutz_, avec la femme de Keller, qui s'était

offerte pour l'accompagner quand elle le voudrait. Dès que le maestro fut

sorti:

«Beppo, dit la jeune fille, va vite louer une petite voiture, et

allons-nous-en tous deux voir Angèle et remercier le chanoine. Nous avions

promis de le faire plus tôt, mais mon rhume me servira d'excuse.

--Et sous quel costume vous présenterez-vous au chanoine? dit Beppo.

--Sous celui-ci, répondit-elle. Il faut bien que le chanoine me connaisse

et m'accepte sous ma véritable forme.

--Excellent chanoine! je me fais une joie de le revoir.

--Et moi aussi.

--Pauvre bon chanoine! je me fais une peine de songer...

--Quoi?

--Que la tête va lui tourner tout à fait.

--Et pourquoi donc? Suis-je une déesse? Je ne le pensais pas.

--Consuelo, rappelez-vous qu'il était aux trois quarts fou quand nous

l'avons quitté!

--Et moi je te dis qu'il lui suffira de me savoir femme et de me voir telle

que je suis, pour qu'il reprenne l'empire de sa volonté et redevienne ce

que Dieu l'a fait, un homme raisonnable.

--Il est vrai que l'habit fait quelque chose. Ainsi, quand je vous ai

revue ici transformée en demoiselle, après m'être habitué pendant quinze

jours à te traiter comme un garçon... j'ai éprouvé je ne sais quel effroi,

je ne sais quelle gêne dont je ne peux pas me rendre compte; et il est

certain que durant le voyage... s'il m'eût été permis d'être amoureux de

vous ... Mais tu diras que je déraisonne...

--Certainement, Joseph, lu déraisonnes; et, de plus, tu perds le temps

à babiller. Nous avons dix lieues à faire pour aller au prieuré et en

revenir. Il est huit heures du matin, et il faut que nous soyons rentrés

à sept heures du soir, pour le souper du maître.»

Trois heures après, Beppo et sa compagne descendirent à la porte du

prieuré. Il faisait une belle journée; le chanoine contemplait ses fleurs

d'un air mélancolique. Quand il vit Joseph, il fit un cri de joie et

s'élança à sa rencontre; mais il resta stupéfait en reconnaissant son

cher Bertoni sous des habits de femme.

«Bertoni, mon enfant bien-aimé, s'écria-t-il avec une sainte naïveté,

que signifie ce travestissement, et pourquoi viens-tu me voir déguisé de

la sorte? Nous ne sommes point au carnaval...

--Mon respectable ami, répondit Consuelo en lui baisant la main, il faut

que Votre Révérence me pardonne de l'avoir trompée. Je n'ai jamais été

garçon; Bertoni n'a jamais existé, et lorsque j'ai eu le bonheur de vous

connaître, j'étais véritablement déguisée.

--Nous pensions, dit Joseph qui craignait de voir la consternation du

chanoine se changer en mécontentement, que votre révérence n'était point la

dupe d'une innocente supercherie. Cette feinte n'avait point été imaginée

pour la tromper, c'était une nécessité imposée par les circonstances, et

nous avons toujours cru que monsieur le chanoine avait la générosité et la

délicatesse de s'y prêter.

--Vous l'avez cru? reprit le chanoine interdit et effrayé; et vous,

Bertoni... je veux dire mademoiselle, vous l'avez cru aussi!

--Non, monsieur le chanoine, répondit Consuelo; je ne l'ai pas cru un

instant. J'ai parfaitement vu que votre révérence ne se doutait nullement

de la vérité.

--Et vous me rendez justice, dit le chanoine d'un ton un peu sévère, mais

profondément triste; je ne sais point transiger avec la bonne foi, et si

j'avais deviné votre sexe, je n'aurais jamais songé à insister comme je

l'ai fait, pour vous engager à rester chez moi. Il a bien couru dans le

village voisin, et même parmi mes gens, un bruit vague, un soupçon qui me

faisait sourire, tant j'étais obstiné à me méprendre sur votre compte.

On a dit qu'un des deux petits musiciens qui avaient chanté la messe le

jour de la fête patronale, était une femme déguisée. Et puis, on a prétendu

que ce propos était une méchanceté du cordonnier Gottlieb, pour effrayer et

affliger le curé. Enfin, moi-même, j'ai démenti ce bruit avec assurance.

Vous voyez que j'étais votre dupe bien complètement, et qu'on ne saurait

l'être davantage.

--Il y a eu une grande méprise, répondit Consuelo avec l'assurance de

la dignité; mais il n'y a point eu de dupe, monsieur le chanoine. Je ne

crois pas m'être éloignée un seul instant du respect qui vous est dû, et

des convenances que la loyauté impose. J'étais la nuit sans gîte sur le

chemin, écrasée de soif et de fatigue, après une longue route à pied.

Vous n'eussiez pas refusé l'hospitalité à une mendiante. Vous me l'avez

accordée au nom de la musique, et j'ai payé mon écot en musique. Si je

ne suis pas partie malgré vous dès le lendemain, c'est grâce à des

circonstances imprévues qui me dictaient un devoir au-dessus de tous les

autres. Mon ennemie, ma rivale, ma persécutrice tombait des nues à votre

porte, et, privée de soins et de secours, avait droit à mes secours et à

mes soins. Votre révérence se rappelle bien le reste; elle sait bien que

si j'ai profité de sa bienveillance, ce n'est pas pour mon compte. Elle

sait bien aussi que je me suis éloignée aussitôt que mon devoir a été

accompli; et si je reviens aujourd'hui la remercier en personne des bontés