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ceci, j'aime mieux le croire faible que lâche. On l'avait fait abbé, on

le comblait de bienfaits; la cour était dévote; ses amours avec une

comédienne y eussent fait grand scandale. Il n'a pas voulu précisément

trahir et tromper la Bulgarini: il a eu peur, il a hésité, il a gagné du

temps,... elle est morte...

--Et il en a remercié la Providence, ajouta l'impitoyable maestro. Et

maintenant notre impératrice lui envoie des boîtes et des bagues avec son

chiffre en brillants; des plumes de lapis avec des lauriers en brillants;

des pots en or massif remplis de tabac d'Espagne, des cachets faits d'un

seul gros brillant, et tout cela brille si fort, que les yeux du poëte sont

toujours baignés de larmes.

--Et tout cela peut-il le consoler d'avoir brisé le coeur de la Romanina?

--Il se peut bien que non. Mais le désir de ces choses l'a décidé à le

faire.

--Triste vanité! Pour moi, j'ai eu bien de la peine à m'empêcher de rire

quand il nous a montré son chandelier d'or à chapiteau d'or, avec la devise

ingénieuse que l'impératrice y a fait graver:

_Perche possa risparamiare i suoi occhi!_

Voilà, en effet, qui est bien délicat et qui le faisait s'écrier avec

emphase: _Affettuosa espressione valutabile più assai dell' oro!_ Oh! le

pauvre homme!

--O l'homme malheureux!» dit Consuelo en soupirant.

Et elle rentra fort triste, car elle avait fait involontairement un

rapprochement terrible entre la situation de Métastase à l'égard de

Marianna et la sienne propre à l'égard d'Albert. «Attendre et mourir!

se disait-elle: est-ce donc là le sort de ceux qui aiment passionnément?

Faire attendre et faire mourir, est-ce donc là la destinée de ceux qui

poursuivent la chimère de la gloire?»

«Qu'as-tu à rêver ainsi? lui dit le maestro; il me semble que tout va bien,

et que, malgré tes gaucheries, tu as conquis le Métastase.

--C'est une maigre conquête que celle d'une âme faible, répondit-elle, et

je ne crois pas que celui qui a manqué de courage pour faire admettre

Marianna au théâtre impérial en retrouve un peu pour moi.

--Le Métastase, en fait d'art, gouverne désormais l'impératrice.

--Le Métastase, en fait d'art, ne conseillera jamais à l'impératrice que

ce qu'elle paraîtra désirer, et on a beau parler des favoris et des

conseillers de Sa Majesté... J'ai vu les traits de Marie-Thérèse, et je

vous le dis, mon maître, Marie-Thérèse est trop politique pour avoir des

amants, trop absolue pour avoir des amis.

--Eh bien, dit le Porpora soucieux, il faut gagner l'impératrice elle-même,

il faut que tu chantes dans ses appartements un matin, et qu'elle te

parle, qu'elle cause avec toi. On dit qu'elle n'aime que les personnes

vertueuses. Si elle a ce regard d'aigle qu'on lui prête, elle te jugera

et te préférera. Je vais tout mettre en oeuvre pour qu'elle te voie en

tête-à-tête.»

XC.

Un matin, Joseph, étant occupé à frotter l'antichambre du Porpora, oublia

que la cloison était mince et le sommeil du maestro léger; il se laissa

aller machinalement à fredonner une phrase musicale qui lui venait à

l'esprit, et qu'accompagnait rhythmiquement le mouvement de sa brosse sur

le plancher. Le Porpora, mécontent d'être éveillé avant l'heure, s'agite

dans son lit, essaie de se rendormir, et, poursuivi par cette voix belle

et fraîche qui chante avec justesse et légèreté une phrase fort gracieuse

et fort bien faite, il passe sa robe de chambre et va regarder par le trou

de la serrure, moitié charmé de ce qu'il entend, moitié courroucé contre

l'artiste qui vient sans façon composer chez lui avant son lever. Mais

quelle surprise! c'est Beppo qui chante et qui rêve, et qui poursuit son

idée tout en vaquant d'un air préoccupé aux soins du ménage.

«Qu'est-ce que tu chantes là? dit le maestro d'une voix tonnante en ouvrant

la porte brusquement.»

Joseph, étourdi comme un homme éveillé en sursaut, faillit jeter balai

et plumeau, et quitter la maison à toutes jambes; mais s'il n'avait plus,

depuis longtemps, l'espoir de devenir l'élève du Porpora, il s'estimait

encore bien heureux d'entendre Consuelo travailler avec le maître et de

recevoir les leçons de cette généreuse amie en cachette, quand le maître

était absent. Pour rien au monde il n'eût donc voulu être chassé, et il se

hâta de mentir pour éloigner les soupçons.

«Ce que je chante, dit-il tout décontenancé; hélas! maître, je l'ignore.

--Chante-t-on ce qu'on ignore? Tu mens!

--Je vous assure, maître, que je ne sais ce que je chantais. Vous m'avez

tant effrayé que je l'ai déjà oublié. Je sais bien que j'ai fait une grande

faute de chanter auprès de votre chambre. Je suis distrait, je me croyais

bien loin d'ici, tout seul; je me disais: A présent tu peux chanter;

personne n'est là pour te dire: Tais-toi, ignorant, tu chantes faux.

Tais-toi, brute, tu n'as pas pu apprendre la musique.

--Qui t'a dit que tu chantais faux?

--Tout le monde.

--Et moi, je te dis, s'écria le maestro d'un ton sévère, que tu ne chantes

pas faux. Et qui a essayé de t'enseigner la musique?

--Mais... par exemple, maître Reuter, dont mon ami Keller fait la barbe,

et qui m'a chassé de la leçon, disant que je ne serais jamais qu'un âne.»

Joseph connaissait déjà assez les antipathies du maestro pour savoir qu'il

faisait peu de cas du Reuter, et même il avait compté sur ce dernier pour

lui gagner les bonnes grâces du Porpora, la première fois qu'il essaierait

de le desservir auprès de lui. Mais le Reuter, dans les rares visites qu'il

avait rendues au maestro, n'avait pas daigné reconnaître son ancien élève

dans l'antichambre.

--Maître Reuter est un âne lui-même, murmura le Porpora entre ses dents;

mais il ne s'agit pas de cela, reprit-il tout haut; je veux que tu me dises

où tu as pêché cette phrase.»

Et il chanta celle que Joseph lui avait fait entendre dix fois de suite

par mégarde.

--Ah! cela? dit Haydn qui commençait à mieux augurer des dispositions du

maître, mais qui ne s'y fiait pas encore; c'est quelque chose que j'ai

entendu chanter à la signora.

--A la Consuelo? à ma fille? Je ne connais pas cela. Ah çà, tu écoutes

donc aux portes?

--Oh non, Monsieur! mais la musique, cela arrive de chambre en chambre

jusqu'à la cuisine, et on l'entend, malgré soi.

--Je n'aime pas à être servi par des gens qui ont tant de mémoire, et

qui vont chanter nos idées inédites dans la rue. Vous ferez votre paquet

aujourd'hui, et vous irez ce soir chercher une autre condition.»

Cet arrêt tomba comme un coup de foudre sur le pauvre Joseph, et il alla