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pleurer dans la cuisine où bientôt Consuelo vint écouter le récit de sa

mésaventure, et le rassurer en lui promettant d'arranger ses affaires.

«Comment, maître, dit-elle au Porpora en lui présentant son café, tu veux

chasser ce pauvre garçon, qui est laborieux et fidèle, parce que pour la

première fois de sa vie il lui est arrivé de chanter juste!

--Je te dis que ce garçon-là est un intrigant et un menteur effronté;

qu'il a été envoyé chez moi par quelque ennemi qui veut surprendre le

secret de mes compositions et se les approprier avant qu'elles aient vu

le jour. Je gage que le drôle sait déjà par coeur mon nouvel opéra, et

qu'il copie mes manuscrits quand j'ai le dos tourné! Combien de fois

n'ai-je pas été trahi ainsi! Combien de mes idées n'ai-je pas retrouvées

dans ces jolis opéras qui faisaient courir tout Venise, tandis qu'on

bâillait aux miens et qu'on disait: Ce vieux radoteur de Porpora nous

donne pour du neuf des motifs qui traînent dans les carrefours! Tiens!

le sot s'est trahi; il a chanté ce matin une phrase qui n'est certainement

pas d'un autre que de _meinherr_ Hasse, et que j'ai fort bien retenue;

j'en prendrai note, et, pour me venger, je la mettrai dans mon nouvel

opéra, afin de lui rendre le tour qu'il m'a joué si souvent.

--Prenez garde, maître! cette phrase-là n'est peut-être pas inédite.

Vous ne savez pas par coeur toutes les productions contemporaines.

--Mais je les ai entendues, et je te dis que c'est une phrase trop

remarquable pour qu'elle ne m'ait pas encore frappé.

--Eh bien, maître, grand merci! je suis fière du compliment; car la phrase

est de moi.»

Consuelo mentait, la phrase en question était bien éclose le matin-même

dans le cerveau d'Haydn; mais elle avait le mot, et déjà elle l'avait

apprise par coeur, afin de n'être pas prise au dépourvu par les méfiantes

investigations du maître. Le Porpora ne manqua pas de la lui demander.

Elle la chanta sur-le-champ, et prétendit que la veille elle avait essayé

de mettre en musique, pour complaire à l'abbé Métastase, les premières

strophes de sa jolie pastorale:

Già riede la primavera

Col suo florito aspetto;

Già il grato zeffiretto

Scherza fra l'erbe e i flor.

Tornan le frondi algli alberi,

L'herbette al prato tornano;

Sol non ritorna a me

La pace del mio cor.

«J'avais répété ma première phrase bien des fois, ajouta-t-elle, lorsque

j'ai entendu dans l'antichambre maître Beppo qui, comme un vrai serin des

Canaries, s'égosillait à la répéter tout de travers; cela m'impatientait,

je l'ai prié de se taire. Mais, au bout d'une heure, il la répétait sur

l'escalier, tellement défigurée, que cela m'a ôté l'envie de continuer mon

air.

--Et d'où vient qu'il la chante si bien aujourd'hui? que s'est-il passé

durant son sommeil?

--Je vais t'expliquer cela, mon maître; je remarquais que ce garçon avait

la voix belle et même juste, mais qu'il chantait faux, faute d'oreille, de

raisonnement et de mémoire. Je me suis amusée à lui faire poser la voix et

à chanter la gamme d'après ta méthode, pour voir si cela réussirait, même

sur une pauvre organisation musicale.

--Cela doit réussir sur toutes les organisations, s'écria le Porpora.

Il n'y a point de voix fausse, et jamais une oreille exercée...

--C'est ce que je me disais, interrompit Consuelo, qui avait hâte d'en

venir à ses fins, et c'est ce qui est arrivé. J'ai réussi, avec le système

de ta première leçon, à faire comprendre à ce butor ce que, dans toute sa

vie, le Reuter et tous les Allemands ne lui eussent pas fait soupçonner.

Après cela, je lui ai chanté ma phrase, et, pour la première fois, il l'a

entendue exactement. Aussitôt il a pu la dire, et il en était si étonné,

si émerveillé, qu'il a bien pu n'en pas dormir de la nuit; c'était pour

lui comme une révélation. Oh! Mademoiselle, me disait-il, si j'avais été

enseigné ainsi, j'aurais pu apprendre peut-être aussi bien qu'un autre.

Mais je vous avoue que je n'ai jamais rien pu comprendre de ce qu'on

enseignait à la maîtrise de Saint-Etienne.

--Il a donc été à la maîtrise, réellement?

--Et il en a été chassé honteusement; tu n'as qu'à parler de lui à

maître Reuter! il te dira que c'est un mauvais sujet, et un sujet musical

impossible à former.

--Viens ça, ici, toi! cria le Porpora à Beppo qui pleurait derrière la

porte; et mets-toi près de moi: je veux voir si tu as compris la leçon que

tu as reçue hier».

Alors le malicieux maestro commença à enseigner les éléments de la

musique à Joseph, de la manière diffuse, pédantesque et embrouillée

qu'il attribuait ironiquement aux maîtres allemands.

Si Joseph, qui en savait trop pour ne pas comprendre ces éléments, en dépit

du soin qu'il prenait pour les lui rendre obscurs, eût laissé voir son

intelligence, il était perdu. Mais il était assez fin pour ne pas tomber

dans le piège, et il montra résolument une stupidité qui, après une longue

épreuve tentée avec obstination par le maître, rassura complètement ce

dernier.

«Je vois bien que tu es fort borné, lui dit-il en se levant et en

continuant une feinte dont les deux autres n'étaient pas dupes. Retourne

à ton balai, et tâche de ne plus chanter, si tu veux rester à mon service.»

Mais, au bout de deux heures, n'y pouvant plus tenir, et se sentant

aiguillonné par l'amour d'un métier qu'il négligeait après l'avoir exercé

sans rivaux pendant si longtemps, le Porpora redevint professeur de chant,

et rappela Joseph pour le remettre sur la sellette. Il lui expliqua les

mêmes principes, mais cette fois avec cette clarté, cette logique puissante

et profonde qui motive et classe toutes choses, en un mot, avec cette

incroyable simplicité de moyens dont les hommes de génie s'avisent seuls.

Cette fois, Haydn comprit qu'il pouvait avoir l'air de comprendre; et

Porpora fut enchanté de son triomphe. Quoique le maître lui enseignât

des choses qu'il avait longtemps étudiées et qu'il savait aussi bien que

possible, cette leçon eut pour lui un puissant intérêt et une utilité bien

certaine: il y apprit à enseigner; et comme aux heures où le Porpora ne

l'employait pas, il allait encore donner quelques leçons en ville pour

ne pas perdre sa mince clientèle, il se promit de mettre à profit, sans

tarder, cette excellence démonstration.

«A la bonne heure, monsieur le professeur! dit-il au Porpora en continuant

à jouer la niaiserie à la fin de la leçon; j'aime mieux cette musique-là

que l'autre, et je crois que je pourrais l'apprendre; mais quant à celle

de ce matin, j'aimerais mieux retourner à la maîtrise que d'essayer d'y

mordre.

--Et c'est pourtant la même qu'on t'enseignait à la maîtrise. Est-ce qu'il

y a deux musiques, benêt! Il n'y a qu'une musique, comme il n'y a qu'un