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celle de madame de Pompadour.

XCI.

On sait que Marie-Thérèse donnait audience une fois par semaine à quiconque

voulait lui parler; coutume paternellement hypocrite que son fils Joseph II

observa toujours religieusement, et qui est encore en vigueur à la cour

d'Autriche. En outre, Marie-Thérèse accordait facilement des audiences

particulières à ceux qui voulaient entrer à son service, et jamais

souveraine ne fut plus aisée à aborder.

Le Porpora avait enfin obtenu cette audience musicale, où l'impératrice,

voyant de près l'honnête figure de Consuelo, pourrait peut-être prendre

quelque sympathie marquée pour elle. Du moins le maestro l'espérait.

Connaissant les exigences de Sa Majesté à l'endroit des bonnes moeurs et

de la tenue décente, il se disait qu'elle serait frappée, à coup sûr, de

l'air de candeur et de modestie qui brillait dans toute la personne de son

élève. On les introduisit dans un des petits salons du palais, où l'on

avait transporté un clavecin, et où l'impératrice arriva au bout d'une

demi-heure. Elle venait de recevoir des personnages d'importance, et elle

était encore en costume de représentation, telle qu'on la voit sur les

sequins d'or frappés à son effigie, en robe de brocart, manteau impérial,

la couronne en tête, et un petit sabre hongrois au côté. Elle était

vraiment belle ainsi, non imposante et d'une noblesse idéale, comme

ses courtisans affectaient de la dépeindre, mais fraîche, enjouée, la

physionomie ouverte et heureuse, l'air confiant et entreprenant.

C'était bien _le roi_ Marie-Thérèse que les magnats de Hongrie avaient

proclamé, le sabre au poing, dans un jour d'enthousiasme; mais c'était,

au premier abord, un bon roi plutôt qu'un grand roi. Elle n'avait point de

coquetterie, et la familiarité de ses manières annonçait une âme calme et

dépourvue d'astuce féminine. Quand on la regardait longtemps, et surtout

lorsqu'elle vous interrogeait avec insistance, on voyait de la finesse

et même de la ruse froide dans cette physionomie si riante et si affable.

Mais c'était de la ruse masculine, de la ruse impériale si l'on veut;

jamais de la galanterie.

«-Vous me ferez entendre votre élève tout à l'heure, dit-elle au Porpora;

je sais déjà qu'elle a un grand savoir, une voix magnifique, et je n'ai pas

oublié le plaisir qu'elle m'a fait dans l'oratorio de _Betulia liberata_.

Mais je veux d'abord causer un peu avec elle en particulier. J'ai plusieurs

questions à lui faire; et comme je compte sur sa franchise, j'ai bon espoir

de lui pouvoir accorder la protection qu'elle me demande.»

Le Porpora se hâta de sortir, lisant dans les yeux de Sa Majesté qu'elle

désirait être tout à fait seule avec Consuelo. Il se retira dans une

galerie voisine, où il eut grand froid; car la cour, ruinée par les

dépenses de la guerre, était gouvernée avec beaucoup d'économie, et le

caractère de Marie-Thérèse secondait assez à cet égard les nécessités de

sa position.

En. se voyant tête à tête avec la fille et la mère des Césars, l'héroïne de

la Germanie, et la plus grande femme qu'il y eût alors en Europe, Consuelo

ne se sentit pourtant ni troublée, ni intimidée. Soit que son insouciance

d'artiste la rendît indifférente à cette pompe armée qui brillait autour de

Marie-Thérèse et jusque sur son costume, soit que son âme noble et franche

se sentît à la hauteur de toutes les grandeurs morales, elle attendit dans

une attitude calme et dans une grande sérénité d'esprit qu'il plût à Sa

Majesté de l'interroger.

L'impératrice s'assit sur un sofa, tirailla un peu son baudrier couvert de

pierreries, qui gênait et blessait son épaule ronde et blanche, et commença

ainsi:

«Je te répète, mon enfant, que je fais grand cas de ton talent, et que je

ne mets pas en doute tes bonnes études et l'intelligence que tu as de ton

métier; mais on doit t'avoir dit qu'à mes yeux le talent n'est rien sans la

bonne conduite, et que je fais plus de cas d'un coeur pur et pieux que d'un

grand génie.»

Consuelo, debout, écouta respectueusement cet exorde, mais il ne lui

sembla pas que ce fût une provocation à faire l'éloge d'elle-même; et

comme elle éprouvait d'ailleurs une mortelle répugnance à se vanter des

vertus qu'elle pratiquait si simplement, elle attendit en silence que

l'impératrice l'interrogeât d'une manière plus directe sur ses principes

et ses résolutions. C'était pourtant bien le moment d'adresser à la

souveraine un madrigal bien tourné sur sa piété angélique, sur ses vertus

sublimes et sur l'impossibilité de se mal conduire quand on avait son

exemple sous les yeux. La pauvre Consuelo n'eut pas seulement l'idée de

mettre l'occasion à profit. Les âmes délicates craindraient d'insulter

à un grand caractère en lui donnant des louanges banales; mais les

souverains, s'ils ne sont pas dupes de cet encens grossier, ont du moins

une telle habitude de le respirer, qu'ils l'exigent comme un simple acte

de soumission et d'étiquette. Marie-Thérèse fut étonnée du silence de la

jeune fille, et prenant un ton moins doux et un air moins encourageant,

elle continua:

«Or, je sais, ma chère petite, que vous avez une conduite assez légère,

et que, n'étant pas mariée, vous vivez ici dans une étrange intimité avec

un jeune homme de votre profession dont je ne me rappelle pas le nom en ce

moment.

--Je ne puis répondre à Votre Majesté Impériale qu'une seule chose, dit

enfin Consuelo animée par l'injustice de cette brusque accusation; c'est

que je n'ai jamais commis une seule faute dont le souvenir m'empêche de

soutenir le regard de Votre Majesté avec un doux orgueil et une joie

reconnaissante.»

Marie-Thérèse fut frappée de l'expression fière et forte que la physionomie

de Consuelo prit en cet instant. Cinq ou six ans plus tôt, elle l'eût sans

doute remarquée avec plaisir et sympathie; mais déjà Marie-Thérèse était

reine jusqu'au fond de l'âme, et l'exercice de sa force lui avait donné

cette sorte d'enivrement réfléchi qui fait qu'on veut tout plier et tout

briser devant soi. Marie-Thérèse voulait être le seul être fort qui

respirât dans ses États, et comme souveraine et comme femme. Elle fut donc

choquée du sourire fier et du regard franc de cette enfant qui n'était

qu'un vermisseau devant elle, et dont elle croyait pouvoir s'amuser un

instant comme d'un esclave qu'on fait causer par curiosité.

«Je vous ai demandé, Mademoiselle, le nom de ce jeune homme qui demeure

avec vous chez maître Porpora, reprit-elle d'un ton glacial, et vous ne me

l'avez point dit.

--Son nom est Joseph Haydn, répondit Consuelo sans s'émouvoir.

--Eh bien, il est entré, par inclination pour vous, au service de maître

Porpora en qualité de valet de chambre, et maître Porpora ignore les vrais

motifs de la conduite de ce jeune homme, tandis que vous les encouragez,